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L’attaque du Palais fédéral : entretien avec Jacques Neirynck

9 mai 2004

Conseil fédéral, 2004A

ncien conseiller national, Jacques Neirynck a mis en scène dans son dernier ouvrage la prise en otage du Conseil fédéral. En dehors d’un scénario qui peut se lire de manière anecdotique, cet ouvrage met le doigt sur les problèmes que rencontre notre politique de sécurité face aux défis actuels. Il a bien voulu répondre à nos questions.

Conseiller national PDC vaudois durant la dernière législature, et à ce titre bien connu du public, Jacques Neyrinck est également physicien, professeur émérite à l'EPFL, mais aussi un romancier à succès, auteur notamment de livres tels que La prophétie du Vatican (La Renaissance 2003), Le Manuscrit du Saint-Sépulcre (Cerf 1994) ou encore Le Siège de Bruxelles (Desclée de Brouver 1996). Son dernier livre , intitulé L'attaque du Palais fédéral (Editions Favre 2004), est un polar qui s'inspire directement de son séjour au parlement et de ses réflexions sur la sécurité au coeur des institutions fédérales.


«... Si le Conseil fédéral, tout en étant vivant, est fait prisonnier, non seulement la Suisse n'a plus de gouvernement mais elle n'a pas le droit d'en élire un. Ce sont les institutions elles-mêmes qui défaillent. »


Votre ouvrage se base sur votre expérience de conseiller national. Pouvez-vous nous parler, selon votre expérience, de la sécurité mise en place autour de la Coupole fédérale et des autorités en général ?

Cette sécurité était quasiment inexistante en 1999 quand j’y suis arrivé. Comme vous le savez, parce que j’était le doyen d’âge, j’ai dû présider la première séance et, comme tout bon ingénieur, je me suis renseigné sur les procédures de sécurité s’il y avait une panique, un attentat… On a souri et on m’a dit : « Ecoutez Monsieur, en Suisse, on ne fait pas d’attentat, donc nous nous glorifions du fait qu’il n’y a pas de policiers armés, pas de mesures, pas de fouilles, le citoyen doit avoir un accès libre à son parlement, comme du reste aux différents départements qui sont à gauche et à droite dans le Palais fédéral. »

J’ai trouvé cela tout à fait irraisonnable, et j’ai du reste pu vérifier, lors d’une visite que j’ai rendue à Pascal Couchepin, en parlant avec l’huissier, qu’il n’y avait strictement aucune mesure de protection si quelqu’un en voulait à la vie du Conseiller fédéral. Il m’a dit du reste que, lui, ça ne le dérangeait pas, parce qu’il estimait que cela faisait partie des dangers du métier mais que pour le personnel, ses secrétaires en particulier, il trouvait que c’était déraisonnable et effectivement, en 2002, il y a eu l’accident de Zoug. A ce moment-là, subitement, on s’est rendu compte que même en Suisse il y a des fous, que la Suisse n’est pas un endroit où il n’y a pas de gens dangereux. On a pris les mesures, toute une série ; il y a maintenant des badges magnétiques, des sas d’entrée, bien entendu il y a des portiques sous lesquels les gens doivent passer pour voir qu’ils n’ont pas d’arme. Donc des mesures sérieuses ont été prises.

Dans un récent article de l’Hebdo (1er avril 2004), vous parliez de cette absence de système de sécurité au parlement. N’est-ce pas à votre sens un signe de confiance vis-à-vis des citoyens, le fait que ceux-ci aient accès à nos autorités ? Cela n’entre-t-il pas dans le cadre de notre système de défense original ?

Oui, tout à fait. C’est bien ça, mais c’est un mythe, en ce sens que la réalité est tout à fait différente. L’excité de Zoug qui est entré avec trois armes sans être fouillé et qui a tiré pendant dix minutes avant que la police n’arrive ; ce personnage était un fou. Alors moi, je veux bien que l’on se mette à défendre la thèse selon laquelle il n’y a pas de fou en Suisse : première thèse. Seconde thèse : jamais les terroristes internationaux ne vont franchir la frontière. Je veux bien que des gens défendent ces thèses-là, mais alors qu’ils prennent leurs responsabilités et qu’ils en subissent les conséquences. Ce sont des thèses tout à fait déraisonnables.


Dans le scénario de votre ouvrage, l’attaque sur le Conseil fédéral réussit essentiellement à cause d’un vacuum de sécurité en Suisse, indépendamment des mesures prises pour la sécurité du gouvernement. A votre avis existe-t-il des remèdes à ces manques et si oui quels sont-ils ?

Il faut distinguer deux choses. Il faut distinguer dans mon livre L’attaque du Palais fédéral, pour donner son titre exact, d’une part l’anecdote : je suppose qu’un commando de terroristes, probablement islamistes, on ne le sait pas, réussit à prendre en otage la totalité du Conseil fédéral. Ça, c’est une anecdote, alors même les services de sécurité me disent « avec toutes les mesures que nous avons prises, si on falsifie les badges magnétiques d’entrée, n’importe qui peut entrer. » Et c’est bien ce que je suppose, mais je ne vais pas raconter l’histoire, bien entendu. Mais le but de ce livre n’est pas de parler des systèmes de sécurité du parlement, c’est tout de même un sujet très particulier ; le but c’est de montrer à quel point les institutions en Suisse sont d’abord naïves, ce qui suppose que rien ne va arriver.

C’est votre question initiale, on est dans un pays qui est une exception par rapport au reste du monde. Je demande : pourquoi et comment ce serait une exception ? Et secundo comme on n’a pas pris les précautions voulues, en matière de droit par exemple, si le Conseil fédéral, tout en étant vivant, est fait prisonnier, non seulement la Suisse n’a plus de gouvernement mais elle n’a pas le droit d’en élire un, puisque la Constitution dit qu’un Conseiller fédéral cesse d’exercer quand il donne sa démission ou quand il meurt. Donc, là, ce n’est pas le système de sécurité, ce sont les institutions elles-mêmes qui défaillent et je montre bien l’état de panique qui se répand à ce moment-là. Tout ceci a été vérifié par les juristes du département de justice ou du service du parlement qui m’ont dit que c’était absolument exact.


Donc on pourrait supposer en fait que les institutions et le cadre juridique pourraient avoir un rôle à jouer en ce qui concerne la sécurité du pays en cas de danger ?

Je dirais qu’il y a deux choses à faire ; tout d’abord il faut prévoir un droit d’urgence. Dans tous les pays c’est fait. Par exemple aux Etats-Unis : si le Président est abattu, ce qui est arrivé, je me permets de vous le rappeler, automatiquement c’est le Vice-président, après le Vice-président, c’est le Secrétaire d’état… enfin, il y a toute une série de gens qui se succèdent. En Suisse, cette liste n’est pas faite. Une fois de plus, c’est une exception puisqu’on vit dans l’illusion que nous serons toujours en paix. Ça, c’est au niveau du droit.

Au niveau de la sécurité, maintenant, de la sécurité du Conseil fédéral, mais dans ce livre il n’est que le symbole du peuple suisse, parce que tout le peuple suisse peut être menacé, comme on l’a vu aux Etats-Unis avec l’attentat contre le World Trade Center, on peut avoir un attentat majeur dans le pays. Je dirais qu’il faut garantir la sécurité du pays en s’occupant des dangers qui nous menacent. Certains de ces dangers se sont concrétisés lors du G8 ; il y a eu des émeutes, des émeutes qui n’étaient du reste pas faites par des Suisses mais par des gens qui sont venus ici chez nous pour les faire. Et la police était incapable de maîtriser ça, au point que l’on a engagé et payé des policiers allemands, un millier de policiers allemands. Donc avec notre politique de sécurité qui est tout à fait décalée par rapport aux vrais menaces qui sont autour de nous, on finit par faire appel à des troupes étrangères, sous prétexte d’indépendance et de neutralité. Donc c’est l’aberration la plus totale.

Est-ce qu’on pourrait réfléchir un instant au rôle de notre armée ? Notre armée est constituée d’une armée de milice faite pour résister, si on essaie d’occuper notre territoire, si les Français ou les Autrichiens ou les Italiens ou les Allemands viennent occuper notre territoire. Mais cela ne se passera jamais. Donc, d’une part, on dépense quatre milliards pour nous protéger contre une menace qui n’existe pas mais à l’intérieur de ces quatre milliards on ne trouve pas d’argent, par exemple, pour avoir de bons soldats professionnels qui protègeraient nos ambassades là où elles sont menacées. Je me permets de vous rappeler que notre ambassade à Bagdad ne peut pas être protégée par l’armée suisse, qui n’est pas adéquate pour ces fonctions et que ce sont donc des mercenaires sud-africains que nous payons. Il y a quelque chose de dérisoire. On entretient une armée qui n’est pas faite pour les véritables dangers qui nous menacent.


Justement, dans votre ouvrage, le président du Conseil national assène une critique assez acerbe à l’armée en lui reprochant de ne pas répondre présente alors que le pays est en danger et que l’on a besoin d’elle, malgré les quatre milliards que l’on dépense, et qu’elle est donc inutile. Vous avez répondu à ceci dans votre réponse précédente mais dans le cadre de votre ouvrage, la libération du Conseil fédéral devrait-elle être une tâche réservée à l’armée ou n’est-ce pas plutôt une tâche de police ? Et dans un cadre plus large, on remarque que le parlement donne de moins en moins de moyens financiers à l’armée alors que d’un autre côté ses tâches augmentent ; n’y a-t-il pas ici une distorsion assez malsaine ?

Oui, tout à fait. C’est-à-dire que l’on sent bien au parlement que l’armée, dans sa constitution actuelle j’insiste, ne peut pas remplir les rôles pour lesquels on a besoin d’elle ; je pense à la neutralisation des émeutiers du G8 : ça, c’était une bonne mission. Mais c’était une armée de milice et on ne pouvait pas utiliser une armée de milice ici, c’est beaucoup trop dangereux. Il y a eu un accident dans les années 30, à Genève, donc il faut en tirer la conclusion: il nous faut des professionnels. Et peut-être qu’il nous faut aussi une police fédérale, l’équivalent du FBI aux Etats-Unis. Je crois qu’il est raisonnable d’avoir une police de proximité qui soit en charge des cantons, mais il y a un certain nombre d’opérations pour lesquelles les cantons ne sont pas équipés ou [pour lesquelles] ils sont rapidement débordés. Cela a été le cas pour Genève et le canton de Vaud, encore une fois, dans le cadre du G8.


Dans votre livre, vous parlez également à un certain moment des services de renseignement et vous dîtes qu’ils sont « réputés dans les milieux internationaux pour leur maladresse et leur inefficacité ». Alors, à votre sens, est-ce qu’il faudrait également développer le renseignement suisse, non seulement dans une composante militaire mais également civile ? Et est-ce qu’on peut le faire sans que cela soit une entorse à la neutralité ?

C’est bien le problème, une entorse à la neutralité. Je crois qu’il faut être raisonnable : ou bien on proclame notre neutralité et puis on suppose que rien ne va nous arriver parce que nous avons proclamé notre neutralité, ce qui était le cas pendant les deux guerres mondiales. Au fond, ça arrangeait les Allemands et les Français que la Suisse disent « nous sommes prêts à défendre nos frontières ». N’est-ce pas ? « Vous pouvez être rassurés, ne venez pas vous battre chez nous, nous assurons l’ordre et la neutralité de la Suisse et fin. »

La neutralité, c’est ne pas prendre parti lorsqu’il y a un conflit entre deux voisins, et ce n’est plus le cas maintenant, la paix est rétablie en Europe et peut-être que plus jamais on ne se battra, du moins pendant des décennies ; et je ne vois pas à quoi servirait un service de renseignement suisse sinon pour nous prémunir contre des attaques terroristes, mais je ne vois pas un petit pays comme celui-ci réussir à découvrir à temps les menaces qui vont nous tomber dessus. Je vous rappellerais que les Etats-Unis n’ont pas vu venir, la France n’a pas vu venir, l’Espagne n’a pas vu venir… Est-ce que l’on peut encore concevoir la sécurité de la Suisse en tant que Suisse, en tant que pays de sept millions d’habitants ?

Pour des raisons qui sont probablement techniques, je ne suis pas un spécialiste du renseignement, ma réponse est non. Nous n’avons pas les moyens, nous n’avons pas l’étendue, nous maintenons le mythe d’une neutralité qui est très mal comprise, du reste, par la population. Pour moi, le problème du renseignement, puisque vous le soulevez, est un problème, comme beaucoup d’autres, qui ne peut pas être résolu dans le cadre de la Suisse. Il doit être résolu dans le cadre de l’Europe. Mais nous ne faisons pas parti de l’Europe. Voilà… C’est comme le Vatican ; on a fini par tirer sur la pape parce que le Vatican avait une police qui est la police que l’on pouvait se payer au Vatican.


On a vu récemment que les attentats de Madrid ont frappé un pays qui connaît bien le phénomène terroriste, notamment avec les activistes de l’ETA, et pourtant la terreur a frappé et fait des centaines de mort en plein cœur de la capitale espagnole. Cela rejoint quelque peu le scénario de votre livre où l’on voit la Suisse également frappée en plein cœur. L’Espagne connaissait pourtant bien ce danger, est-ce que l’Europe a les moyens de lutter contre celui-ci ?

L’Europe pour l’instant n’est pas dotée d’une police qui est l’équivalent du FBI ni d’une armée européenne. Mais dans le monde où nous vivons, l’Europe va rapidement comprendre qu’elle sera obligée de le faire. Et elle a la taille, 455 millions d’habitants, pour le faire. La Suisse ne l’a pas, de toute façon, nous sommes trop petits. Nous avons la population de la région Alpes – Côte d’Azur ; c’est comme si la région Alpes – Côte d’Azur se mettait à dire « je vais organiser ma sécurité ». C’est absurde ! C’est un métier spécialisé ; il faut des moyens, il faut des gens très bien formés ou qui sont relativement rares. Donc ce n’est pas possible. De la même façon, nous ne pouvons pas surveiller notre frontière, ce n’est pas possible non plus. Aux alentours de Genève, la frontière est une véritable passoire ; par la force des choses, elle passe au milieu d’une ville. Donc il n’y a pas de moyens de contrôler et n’importe qui rentre chez nous ; il y a 300’000 travailleurs au noir ; n’importe qui peut faire n’importe quoi. Un jour, ça va nous tomber dessus !


Une dernière question, cette fois-ci spécialement sur votre ouvrage : Pouvez-nous nous en dire plus sur les commanditaires de cet attentat ?

Ah non, justement, non ! Non, parce que c’est le but même du roman. Le but du roman, c’est de dire ceci : je vais vous raconter un polar, un thriller tout à fait ordinaire avec menaces, prises d’otages, etc… Et puis je vais vous faire comprendre, c’est mon but, que le véritable ennemi du Conseil fédéral, c’est-à-dire de la Suisse dont il est le symbole, ce n’est pas l’étranger, c’est nous-mêmes. On voit, une fois qu’il est mis sous pression, ce Conseil fédéral se disloquer en plusieurs partis comme ce que l’on appelle la concordance ; c’est fini. Et puis on se met même à se soupçonner les uns les autres. Donc je ne vais pas vous dire qui c’est dans la réalité. Ainsi, la dernière phrase le dit très bien dans le livre, elle dit finalement ceci : « Nous devons réfléchir à nos institutions ». Et il y a tout de même un certain nombre d’aménagement qui doivent être faits. Ça ne fonctionne pas très bien et en cas de crise, ça ne fonctionne pas du tout.

Nous avons vécu une crise qui heureusement n’était pas aussi dramatique que celle que j’évoque : c’est l’affaire Swissair, et là c’était la panique, le désordre ! On ne savait plus que faire ! Il n’y a aucun pays moderne dont la flotte aérienne a été clouée au sol un matin parce qu’il n’y avait plus d’argent pour payer le kérosène. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il n’y a pas de véritable ministre de la navigation aérienne qui s’occupe de ça. C’est cela que ça veut dire. Dans le roman, on parle très peu des terroristes, mais on parle énormément de ce qui se passe à l’intérieur du Conseil fédéral lorsqu’il est prisonnier et, à l’intérieur du parlement, je montre, c’est mon expérience, qu’une fois qu’il y a quelque chose d’imprévu qui se produit, ça réagit très mal, sauf quelques personnes courageuses, comme toujours, qui prennent des initiatives et sauvent la baraque.



Questions : Julien Grand    









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