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Pourquoi Ariel Sharon a finalement décidé
d’éliminer le chef du groupe Hamas

28 mars 2004

'Poster du cheik YacineL

e 22 mars dernier, les Forces aériennes israéliennes ont supprimé le cheik Yacine, chef du Hamas, sur ordre d’Ariel Sharon. Comment expliquer cette décision ? Selon l’analyste iranien Amir Taheri, elle s’inscrit dans un plan d’ensemble comprenant le retrait de la bande de Gaza.

« Dans mes prières, je demande toujours au Dieu tout-puissant de m’accorder l’honneur du martyre. » Voilà comment le scheik Ahmed Yacine exprimait souvent son désir le plus profond.

Malgré de telles déclarations, il était extrêmement attentif à ne pas être pris dans une situation où son vœu de martyre pourrait s'accomplir. Mais lundi dernier, le chef du Hamas a vu ce vœu être exaucé par une poignée d'Israéliens engagés pour l'éliminer, et obéissant aux ordres de son ennemi le plus déterminé, le Premier ministre Ariel Sharon. Mais pourquoi Sharon voulait-t-il se débarrasser du scheik - et pourquoi maintenant ?


«... En 2003, le nombre d'Israéliens tués par le Hamas, et d'autres groupes radicaux tels que le Jihad Islamique pour la Libération de la Palestine, a chuté de presque 50% par rapport à 2002. »




Le plan d’Ariel Sharon

« L’assassinat ciblé » de Yacine pourrait faire partie du plan plus large de Sharon, consistant à retirer les forces israélienne de Gaza et à démanteler les colonies juives qui s’y trouvent. Le Premier ministre ne veut pas que son retrait de Gaza ressemble à celui du Sud-Liban décidé par Ehoud Barak, et que le Hezbollah a transformé en un grand triomphe. Sharon veut quitter Gaza en position de force. Il a donc besoin de réduire autant que possible l’infrastructure du Hamas.

Avant de partir, il doit trouver quelqu’un capable d’assumer le contrôle de Gaza. Des négociations secrètes ont été menées depuis des mois avec l’Egypte. Celle-ci, qui a administré Gaza entre 1947 et 1967, a fait part de son intérêt à reprendre un rôle intérimaire – à deux conditions :

  • Premièrement, elle ne doit pas affronter des groupes armés radicaux qui pourraient retourner leurs armes et leurs terroristes suicidaires contre les forces égyptiennes après le départ des Israéliens ;


  • Deuxièmement, le monde occidental doit fournir un ensemble d’aides urgentes pour ranimer l’économie de Gaza et fournir du travail pour une partie au moins de la population active – qui, exclue du marché du travail israélien, serait dans une situation désespérée.

L’espoir de Sharon est de redonner vie au plan « Gaza d’abord » élaboré par Shimon Peres en 1993. L’idée consistait à laisser Gaza influer au mieux sur son destin. Mais Gaza pourrait facilement devenir un autre Sud-Liban, et donc une autre épée de Damoclès suspendue au-dessus d’Israël. C’est pourquoi Sharon veut que tous les groupes palestiniens à Gaza soient désarmés avant que l’enclave ne soit placée sous le contrôle de l’Egypte, l’un des deux seuls États arabes ayant signé un traité de paix avec Israël.

Sharon pense aussi qu’en décapitant le Hamas – et dans ce contexte il faut s’attendre à d’autres « assassinats ciblés » – il pourrait mettre rapidement un terme à l’actuelle intifada. Une tactique similaire avait été utilisée pour faire cesser la première Intifada avec l’élimination de ses principaux leaders, notamment Khalil al-Wazir (Abu Jihad), le n°2 et plus proche associé de Yasser Arafat.

Le minutage de l’assassinat de Yacine pourrait également être lié à deux autres faits. D’une part, il s’est produit juste quelques jours avant le sommet arabe de Tunis – où la Syrie, appuyée par son vassal libanais, entend promouvoir une nouvelle version du « front du rejet » à la fois contre Israël et contre l’initiative américaine pour un nouveau Moyen-Orient. D’autre part, Sharon doit prochainement se rendre à Washington pour dissuader certaines tentatives visant à exclure le Hamas de la liste des organisations terroristes internationales tenue par le Département d’État.

Mais la plus importante raison pour laquelle Sharon croit qu’il peut frapper le Hamas au plus niveau de commandement est peut-être la conviction israélienne que le mouvement radical palestinien perd son élan. En 2003, le nombre d’Israéliens tués par le Hamas, et d’autres groupes radicaux tels que le Jihad Islamique pour la Libération de la Palestine, a chuté de presque 50% par rapport à 2002. Bien que cela soit dû en partie à un travail de prévention plus efficace, il y a également eu un déclin rapide dans le nombre total d’attaques planifiées.

Le Hamas, comme virtuellement tous les autres groupes radicaux palestiniens, a rencontré des difficultés croissantes à attirer de nouvelles recrues, en particulier pour les opérations suicides. Le Hamas fait également face à des difficultés financières. La chute de Saddam Hussein a supprimé ce qui était devenu la plus grande source de fonds pour le Hamas dans les 5 dernières années. Plusieurs autres pays arabes ont été contraints de fermer les canaux à travers lesquels les fonds étaient collectés et distribués au Hamas.

Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont également interrompu des sources financières du Hamas. Jusqu’en 2001, près de la moitié des contributions étrangères lui venaient d’organisations faîtières situées aux Etats-Unis. Des discussions entre l’Iran et le Hamas, tenues à Téhéran en février, ont échoué à produire une augmentation massive des contributions iraniennes. Depuis novembre dernier, la récompense offerte aux familles des « martyrs suicidaires » a été réduite de 25'000 $ à environ 11'000 $.

Le pari de Gaza lancé par Sharon peut donner l’impression d’un geste tactique courageux. Ce qui est nécessaire, cependant, c’est une stratégie visant à permettre l’émergence d’un nouveau leadership palestinien. Coincés entre des chefs « suicidaires » comme Yacine et des despotes corrompus comme Arafat, les Palestiniens n’ont aucune chance de rassembler une direction politique modérée et intègre pour mener leur nation hors de l’impasse actuelle et sur le chemin d’une paix basée sur le principe de deux États.

La plupart des Palestiniens savent que les attaques suicides n’ont jamais donné la liberté et l’indépendance à aucune nation. Ils savent également que la coterie d’Arafat ne peut pas, voire ne veut pas, mener le pays sur cette voie. Mais la combinaison d’Arafat avec son poids financier et de Yacine avec des groupes suicidaires ont laissé peu de place pour un leadership alternatif. Et sans une telle direction palestinienne, les perspectives d’une fin durable de la violence restent faibles.

Dans les années 80, Israël a contribué à créer le Hamas comme un contrepoids à l’Organisation de Libération de la Palestine. Dans les années 90, Israël a sorti Arafat de sa tombe politique afin de prendre de flanc les chefs palestiniens modérés comme Faysal al-Hussaini et Heidar Abdul-Shafi. Ce leadership avait fait le choix stratégique d’accepter Israël comme une réalité, ce que ni Yacine, ni Arafat ont été capables de faire. Le résultat, c’est que la majorité des Palestiniens sont exclus de tout rôle significatif qu’à l’orientation de leur avenir. La chute de Yacine pourrait provoquer un bouquet final d’attentats-suicides. Mais une fois celui-ci achevé, nous serons toujours confrontés avec le vrai problème : comment aider Palestiniens et Israéliens à émerger de l’impasse résultant de la violence et de la terreur.



Texte original: Amir Taheri, "Why Sharon Did It", New York Post, 24.3.2004  
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat
  









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