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Afghanistan, la sécurité avant tout : entretien avec le lieutenant-général Gliemeroth

14 mars 2004

Lt-gen G. F. GliemerothL

’Allemagne s’est engagée depuis 2002 dans la stabilisation et la reconstruction de l’Afghanistan au sein de la force internationale mandatée par l’ONU. L’ancien commandant de cette force, le lieutenant-général allemand Goetz Gliemeroth, s’exprime ici sur l’importance et la déroulement de sa mission.

La Force internationale de sécurité et d’assistance (FISA) a entrepris au cours de l’année 2003 un développement de ses activités, initialement limitées à la capitale afghane. De manière à renforcer l’autorité du gouvernement de Hamid Karzai, elle a commencé à déployer des forces dans le reste du pays, avec notamment une antenne allemande à Kunduz, au nord. Elle a également accru sa collaboration avec les troupes sous commandement américain actives dans de larges portions du territoire.

Jusqu’au 9 février dernier, le commandant de la FISA était le lieutenant-général allemand Goetz F. Gliemeroth. Un correspondant le revue militaire Europäische Sicherheit a profité d’un voyage à Kaboul en novembre 2003 pour interroger le commandant sur les activités et les préoccupations de la FISA, quelques jours seulement avant la tenue de la Loya Jirga qui a permis de faire adopter la nouvelle constitution afghane.


«... A Kaboul même, la situation apparaît en surface calme. Mais nous vivons depuis le début de la mission de la FISA avec un nombre considérable de menaces précises qui augmentent en permanence. »




Votre charge, en tant que commandant général des troupes de l’OTAN de la FISA, sous mandat onusien, vise à la création de la sécurité et de la stabilité en Afghanistan et au maintien de celles-ci grâces au soutien des forces de sécurité indigènes. Dans quels secteurs doit-il y avoir priorité ? A Kaboul, ou ailleurs, comme à Kunduz ou dans les huit à douze autres régions ? Où se situent les priorités et les limites ?

Le point central est de pouvoir garantir une sécurité minimale qui permette la reconstruction dans de bonnes conditions, en passant notamment par un développement politique et constitutionnel.

Concernant la sécurité en Afghanistan, il faut rappeler la situation à la frontière pakistanaise, où nous enregistrons des tentatives considérables de la part des forces ennemies pour entrer de manière illégale dans le pays. En outre, nous connaissons une nouvelle formation des Taliban dans les régions est et sud-est du pays. Les engagements américains conduits dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom », comme stratégie de défense contre les Talibans, sont à considérer ici comme indispensables et comme une réussite. Une perte de sécurité globale est donc à exclure.

Simultanément, nous connaissons récemment des conflits dans le nord qui ne sont pas d’ordre religieux ou politiques, mais malheureusement plutôt dus à l’égoïsme et aux rivalités de chefs de milices entêtés. Toutefois, on en est arrivé entre-temps à une première consolidation et stabilisation de la part du gouvernement de transition afghan qui a obtenu, par l’engagement de 300 policiers, le maintien du cessez-le-feu et donc une manifestation de sa propre souveraineté.

A Kaboul même, la situation apparaît en surface calme. Mais elle n’est nullement stabilisée de manière constante. Nous vivons depuis le début de la mission de la FISA avec un nombre considérable de menaces précises qui augmentent en permanence. En septembre, nous avons essuyé une attaque à la roquette, et seule une grande chance nous a permis de nous en tirer sans dégât. Mais nous devons déplorer la perte de deux soldats canadiens qui – selon notre évaluation – sont passés sur un terrain qui venait d’être miné.

La tâche principale de la FISA demeure inchangée : soutenir le gouvernement de transition dans son devoir de garantir une sécurité minimale dans le secteur déjà limité auparavant, c’est-à-dire Kaboul et ses proches environs. Nous remplissons cette mission avec nos propres forces par le biais de patrouilles et de checkpoints, mais également en apportant une aide pour les structures des forces de sécurité afghanes. Ainsi durant des mois des policiers afghans ont été formés ; domaine dans lequel l’Allemagne demeure une nation leader. La FISA mène environ 35% de ses patrouilles avec les policiers de Kaboul, visant à leur perfectionnement.

Nous apportons le même soutien à la future armée afghane (ANA, Armée nationale afghane). Nous avons réussi à inciter l’Allemagne à organiser une équipe intégrée dans le bataillon blindé afghan. Elle se composera d’environ vingt officiers et sous-officiers qui accompagneront la formation du bataillon. De tels exemples montrent qu’il ne suffit pas d’apporter des conseils éloignés ou de mettre à disposition des fonds, mais qu’il faut également apporter des exemples quant à l’instruction et au leadership et s’investir de manière personnelle.


Où placez-vous Kunduz d’un point de vue stratégique ? Les 450 soldats allemands en soutien des ERP (équipes de reconstruction provinciale) seront-ils suffisants, et peuvent-ils servir d’exemple pour les autres nations ? Peut-on s’attendre à une augmentation de la coopération civilo-militaire dans les ERP ? Comment se passe la collaboration entre la communauté internationale et l’OTAN, ce qui n’avait encore jamais eu lieu ?

Les Etats-Unis ont établi avec succès les quatre premières ERP en Afghanistan. Ce deuxième « pilier opérationnel » dans la reconstruction de la nation afghane est un concept qui requiert sans doute un élargissement. D’autres ERP vont suivre. Je suis content du fait que l’Allemagne ait pris l’initiative de reprendre des Américains une telle ERP dans la région de Kunduz, ce qui prouve ainsi notre solidarité. L’Allemagne a du reste placé la majorité des forces dans le cadre du maintien de la paix ici et fournit pour la FISA des performances civilo-militaires considérables.

Selon notre vision il n’existe pas de concept pour les ERP, aucun modèle selon lequel une ERP pourrait être organisée. Cela reste un effort national. L’Allemagne s’est attachée dès le début à ce que son ERP soit placée sous mandat des Nations Unies.

Le fonctionnement étendu, telle qu’il était prévu jusqu’à maintenant par la Task Force CJTF 180 dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom », sera repris par la FISA, donc par l’Alliance atlantique, sous un mandat des Nations Unies. Par conséquent la FISA garantira la coordination et la bonne marche de Kunduz et éventuellement pour d’autres ERP – selon la décision définitive de l’Alliance.

Actuellement, il s’agit pour celle-ci d’arrêter des décisions détaillées. Comme on le sait les autorités militaires de l’OTAN s’occupent de présenter les différentes options au Conseil atlantique afin de parvenir à une décision. En résumé, les ERP ont besoin d’une coordination minimale pour continuer leur travail de reconstruction. Elles requièrent aussi une protection étendue, qui va de l’évacuation médicale à un renforcement rapide, en passant par une extraction prompte de forces ou aussi un renforcement des lignes de communication. Il est clair que des ressources supplémentaires et complémentaires doivent être fournies par rapport au contingent actuel. Il s’agit également de pouvoir maintenir ces ressources à long terme.


Kaboul n’est qu’un point de départ. Comment les Nations Unies peuvent-elles, avec l’aide de l’OTAN, faire le grand écart entre le pouvoir des princes régionaux ou des chefs de guerre locaux et l’objectif d’installer un État national et démocratique (mais également traditionnel et religieux) en Afghanistan ? Les pays occidentaux ont-ils choisi une bonne solution en plaçant des élections générales et libres si tôt ? Les potentats locaux vont-ils participer à cette politique et sous quelles conditions ?

L’imposition, à moyen terme, de la souveraineté de l’État central dans les provinces revêt une importance quasi stratégique. Jusqu’ici toutes les évaluations montrent que l’instrument des ERP est approprié. De cette manière l’aide humanitaire est aussi coordonnée dans les provinces et la reconstruction civile mise en route. Dans les provinces, il s’agit de recruter et instruire les nouveaux policiers ainsi que de mener la réforme judiciaire. De même, un travail semblable en ce qui concerne l’armée dans les provinces a une grande importance, d’autant plus que le corps central se trouve en garnison à Kaboul. Toutes ces mesures peuvent être liées aux ERP.

Quand je considère la situation dans le pays, les données du problème deviennent claires : aboutir à une constitution et développer ou mettre en place dans les provinces des structures de sécurité. Je dois rappeler que l’on a pas octroyé aux Afghans à Bonn un plan détaillé, mais plutôt un plan de développement rédigé avec des échéances dans le temps, qui se sont révélées ambitieuses. Avec le travail le plus urgent pour nous, la Loya Jirga, nous avons pris un retard de deux mois. Mais nous nous trouvons toujours dans le temps défini par l’accord de Bonn. Le retard de temps peut cependant s’avérer utile à la discussion nationale requise pour la préparation de la Loya Jirga. Il est quasi certain que l’Afghanistan sera une république islamique.

L’Afghanistan est historiquement caractérisé par des structures tribales. Cela ne veut pas dire forcément que les provinces doivent être comprises uniquement comme un antipode. De plus, chaque gouverneur avec un corps d’armée de l’ancienne milice n’est pas en même temps un chef de guerre avec une armée privée. Il existe des gouverneurs loyaux et représentant l’État, qui savent que l’armée à leur disposition forme une partie du monopole de la violence légitime de l’État. Une chose demeure certaine, les comportements dans le pays sont très hétérogènes. Et dans une telle situation je ne vois pas de terrain favorable à la constitution. Après la réorganisation réussie du département de la défense, les 22 fonctions-clés dans le fonctionnement de l’État ont été réparties de manière équitable entre les ethnies. Cela représente presque un modèle pour montrer comment, par compensation, les parties prenantes peuvent être intégrées au pouvoir.


Vous dites que la FISA, sous le commandement de l’OTAN, peut agir par le biais de différents contacts et réseaux ? Les expériences connues dans Kaboul et les environs par la FISA et surtout de la BMNK (Brigade multinationale de Kaboul) seront-elles transférables au pays ?

Sans prévoir tous les détails, il se profile déjà, par un élargissement progressif, de laisser le pays coordonner une, puis plusieurs ou même toutes les ERP de la mission FISA. Je caractérise les bases de la FISA comme un champ de force, d’où la politique peut rayonner.

A Kaboul, la FISA utilise une station radio, pas pour le divertissement de nos soldats, mais avec un émetteur qui atteint l’entier de la population de Kaboul. Il existe également un journal tiré à 160’000 exemplaires et qui est publié par la FISA. Il paraît en pashto, en dari ainsi qu’en anglais et remporte un vif succès. Sous le nom de « Voix de la liberté », il est aussi utilisé dans les écoles et hautes écoles notamment pour des exercices de traduction. Des possibilités semblables vont sûrement s’établir dans les provinces. Avec tous ces moyens il sera possible de démontrer que les engagements militaires croissants ne sont pas une occupation militaire.


Les chefs de guerre locaux disposent déjà de forces militaires propres. Le désarmement, la démobilisation et la réintégration des milices régionales ne vont pas se passer rapidement malgré les avantages offerts pour les anciens combattants des milices locales ou ethniques. Comment participe l’OTAN à ce processus et comment sera-t-il intensifié ?

L’OTAN – de la même façon que les nations leaders – a toujours encouragé énergiquement ce processus. Plus de 100’000 miliciens restent armés. Il leur a manqué jusqu’à maintenant l’impulsion de répondre à l’appel, bien qu’ils ne soient pas payés régulièrement et de manière différente selon les régions, mais le fait de rester dans une milice représente malheureusement pour eux leur gagne-pain. Le projet appelé DDR (désarmement, démobilisation, réintégration) est une des tâches centrale de la Réforme du secteur de sécurité (RSS). Cela couvre une fonction que la FISA est engagée à remplir. Nous avons donc constaté au cours des premiers projets pilotes – Kunduz est le premier projet pilote mené avec succès – que dans tous les cas il faut prendre en considération Kaboul dans un tel projet. Une valeur particulière doit être accordée à la capitale afghane.

L’entier du projet DDR est certainement un travail de plusieurs années. La FISA a toujours œuvré pour que le « R », pour réintégration, garde une signification centrale dans l’acronyme. Il faut également éviter d’induire en erreur des miliciens, surtout quand des formations entières sont démobilisées.

Au cours de ces démobilisations sensibles, il faut trouver un équilibre entre les aspects politiques, ethniques et géographiques. Kaboul a donc une importance centrale. Par rapport au Président et à l’administration j’ai ainsi posé clairement cet aspect en arrière-plan. Dans l’accord de Bonn et le programme dérivé DDR on parle moins des armes lourdes. Ce qui distingue Kaboul, toutefois, c’est la présence de plus de 120 chars de combat mi-lourds et de plus de 300 véhicules blindés qui ne sont pas utiles à la sécurité interne de Kaboul. Autrement dit, nous devons tous veiller à ce que Kaboul devienne la capitale de tous les Afghans et non plus la base militaire principale tadjike-pandjire.

Selon notre conception, que j’ai présentée au Président, les armes lourdes doivent être retirées de Kaboul et placées dans des « cantonnements » – à l’instar des projets réussis qui se sont déjà déroulés dans les Balkans. Les armes lourdes seront enfermées à double tour pour garantir qu’en cas de tensions politiques aucun côté ne puisse y avoir recours. Cela clarifie à quel point la FISA travaille de manière engagée dans ce domaine. Jusqu’ici nous sommes tenus à nos « Termes de référence » et à notre « Zone de responsabilité », c’est-à-dire Kaboul. En outre, nous apportons notre soutien par le transport d’armes et leur vérification ou encore par la mise hors service ou la destruction de celles-ci ainsi que de munitions.


Comment est conçue la coopération ou la passation de pouvoir avec l’Etat démocratique ? Le 10 décembre 2003, l’assemblée constitutionnelle de la Loya Jirga décidera du projet de constitution, de manière positive ou au contraire de manière négative. Peut-on déjà prévoir les conflits qui en sortiront ? Comment réagit la FISA sur ce sujet ?

La Loya Jirga constitue un point central dans notre activité. La FISA est responsable, avec le recours aux structures de sécurité du régime de transition, donc avec la police de la nouvelle armée afghane, de la préparation et du bon déroulement, à Kaboul, de l’assemblée constitutionnelle. Par la mise en place de cette sécurité il s’agit également de manifester la souveraineté du régime de transition. La FISA est aussi bien un conseiller qu’un coordinateur.

En conséquence, nous avons développé un concept, qui doit être efficace sur la totalité de Kaboul, séparé de la Loya Jirga. Naturellement à cette opération est intégrée la CJTF 180, donc « Enduring Freedom » - à cause de leur équipement particulier -, avec lesquels nous entretenons une excellente coopération, malgré la différence des mandats respectifs. Comme vous le savez, le projet de constitution a été terminé dernièrement et présenté au public. Il s’agira alors de laisser la Loya Jirga débattre sur celui-ci. Il connaîtra des modifications légitimes. Il nous appartient que ce travail aboutisse à une constitution équilibrée. Avant tout selon notre vision – qui est partagée par beaucoup d’Afghans – les droits fondamentaux et inaliénables ne doivent pas être affaiblis, mais au contraire définis en tant que tels.

Entre autre compte l’égalité des droits de la femme. Il s’agira de garantir, à la mi-2004, la tenue d’élections auxquelles les femmes puissent également participer, en tant qu’électrices mais également comme candidates. Nous recevrons les premières indications lors de l’établissement du registre des électeurs et il faudra procéder à des avancées en la matière. D’autre part, on ne doit pas charger à l’avance la Loya Jirga de préoccupations. Dans le pays, une discussion politique véhémente a débuté, et on ne doit pas être non plus trompé par le niveau élevé de l’analphabétisme en Afghanistan. Toutefois, il ne faut pas qu’une influence trop grande ne revienne aux valeurs traditionnelles d’influences – que ce soit les chefs religieux, chefs de guerre ou princes. Je demeure optimiste sur le fait que la Loya Jirga parvienne à dessiner sans dommage les éléments centraux de la constitution.


Après vos expériences avec les forces de la FISA, vous pouvez partir d’une coopération relativement sans heurt des forces militaires de Kaboul et environs. On parle déjà de modèle FISA, qui pourrait être aussi applicable à l’Irak – sous un mandat des Nations Unies et sous la conduite de l’OTAN. Voyez-vous ce projet d’un bon œil ou êtes-vous plutôt sceptique ? Une telle approche est-elle prématurée ?

Je pense que notre procédure sous le titre FISA peut être considérée tout à fait comme un modèle ou un concept. Toutefois, je me défends de vouloir développer une telle fonction en Irak – déjà par le fait que ce sont les Américains qui sont en premières lignes en Irak. On ne doit pas oublier que les troupes américaines ont réalisé à plusieurs reprises un excellent travail de maintien de la paix et on devrait également se rappeler que dans les Balkans, seuls les Américains étaient en mesure d’endiguer le conflit et permettre une opération de maintien de la paix.

Ils ont prouvé ici comme auparavant être en mesure d’effectuer un excellent travail. En comparaison avec l’Afghanistan, la question se pose également de savoir comment de tels conflits ont été créés puis résolus. A cet égard, nous nous concentrons avec la FISA sur la fonction qui nous incombe ici. Nous voulons apporter notre assistance pour la création et le renforcement de nouvelles structures, pour la reconstruction et la garantie de plus de sécurité. Tout ceci comme base d’un développement autant politique qu’économique. Malgré l’apport de nouvelles ressources, nous ne voulons cependant pas apparaître comme une force d’occupation.




Texte original: Götz F. Gliemeroth, "Sicherheit hat oberste Priorität", Europäische Sicherheit, Dezember 2003  
Traduction et réécriture: Julien Grand
  









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