Quand les drapeaux rendus ou brûlés ne suscitent qu'indifférence, quel est l'avenir d'une nation ?
7 décembre 2003
es assauts de patriotisme ne durent-ils que le temps
d'une campagne électorale ? Lorsqu'en un même jour le drapeau suisse est
rendu officiellement ou brûlé sous les caméras dans l'indifférence généralisée
de la classe politique et médiatique, il faut se demander quel est l'avenir de
la nation helvétique.
Le vendredi 5 décembre 2003, à Lausanne, la division de
campagne 2 a été officiellement dissoute lors d'une cérémonie qui s'est
déroulée au Palais de Beaulieu. En présence de presque tous ses officiers
incorporés, cette Grande Unité a mis un terme à 130 années d'existence par la
reddition formelle des drapeaux et étendards de ses 22 bataillons et groupes,
transmis par leurs commandants au divisionnaire Bertrand Jaccard sous le
roulement du tambour. Un imposant drapeau suisse veillait sur la scène comme un
témoin digne et ému.
«... Négliger aussi bien la sécurité et les hommes qui s'engagent pour l'assurer que les augures des actions susceptibles de la compromettre témoigne d'une irresponsabilité flagrante. »
Le même jour, avec quelques heures d'écart, des membres
masqués du groupe terroriste Hamas brûlaient à Naplouse un drapeau suisse pour
protester officiellement contre les Accords de Genève parrainés par la
Confédération. Une foule de 3000 personnes en liesse était présente pour
célébrer le spectacle, qui comprenait également l'autodafé des drapeaux
américain et israélien, ainsi que celui d'effigies représentant les principaux
initiateurs de ces accords de paix.
Ces deux événements ont deux points communs : la mise en
scène du symbole le plus fort de la nation suisse, et l'indifférence
généralisée des dirigeants et des médias. La Télévision Suisse Romande n'a
ainsi consacré que quelques secondes au pitoyable spectacle de Naplouse, dans
la dernière partie de son 19h30, alors que la dissolution de la div camp 2 est
un tel « non-événement » journalistique qu'elle sera reléguée aux
chroniques des quotidiens régionaux.
L'avenir d'une nation
Durant la campagne en vue des élections fédérales, certains
partis politiques n'avaient pourtant pas hésité à s'approprier les vertus du
patriotisme en multipliant les croix blanches sur fond rouge dans leur
iconographie propagandiste. Pour savoir ce qu'il en reste aujourd'hui, il
suffit de relater la citation de Victor Hugo par laquelle la cheffe socialiste
du Département neuchâtelois de la justice, de la santé et de la sécurité,
Monika Dusong, a jugé bon de conclure son allocution à Beaulieu : « deux
mains jointes font plus d'ouvrages sur la terre, que tout le roulement des
machines de guerre. » Insulter 1000 officiers en niant l'utilité de
leur engagement exceptionnel semble un privilège de la classe politique.
L'armée constitue l'un des piliers du pays, mais il est
parfois permis d'en douter. De nos jours, on interdit à des militaires en
sortie de pénétrer dans un certain quartier de Berne peuplé d'extrémistes de
gauche violents, afin que ces derniers n'agressent pas nos soldats. On engage
chaque mois par milliers des militaires en cours de répétition pour compenser
les heures de travail supplémentaires des policiers bernois ou genevois. On
coupe encore et toujours dans le budget de la défense, au mépris de la volonté
populaire exprimée en novembre 2000, au point de mettre en péril la mise en
place de la nouvelle armée. Dans ces conditions, que l'on ignore le drapeau et
sa valeur symbolique centrale ne saurait étonner personne.
Ce constat amène cependant deux réflexions. Premièrement,
l'effritement constant de l'identité nationale est un phénomène qui demeure
largement ignoré de nos élites politiques, médiatiques, académiques et
économiques. Par confort intellectuel ou par aveuglement idéologique, on
considère encore que les valeurs portées par notre constitution sont inculquées
comme par enchantement à chaque détenteur d'un passeport à croix blanche, alors
même que le sens civique dépend étroitement de la perception de la nation en
tant que collectivité essentielle. Le sentiment d'être suisse est aujourd'hui
doublement déchiré par le communautarisme, qui conteste les bases éthiques et
juridiques du pays, et par les mouvances planétaires, qui contestent ses
limites frontalières et les prérogatives qu'elles impliquent.
Deuxièmement, le fait qu'un groupe terroriste puisse brûler
notre drapeau et nous vouer aux gémonies sans susciter d'alarme particulière
montre bien à quel point nos dirigeants sont accoutumés à nier toute menace.
Dans un monde où le chaos rétrograde s'oppose au progrès désenchanté, s'engager
en faveur de l'ordre et de la prospérité fait de nous des belligérants - ou au
moins des complices. Cela ne signifie pas que le Conseil fédéral a tort de
parrainer un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens, quel que soit le
caractère irréaliste du texte en question ou la manière éminemment discutable
dont il est présenté aux deux parties. Mais il faut prendre conscience des
risques qu'implique l'interaction avec un conflit érigé en symbole planétaire.
La conjonction de ces deux phénomènes est éminemment
dangereuse pour la crédibilité de l'Etat-nation en tant que structure sociétale
et politique efficace, et donc durable. Négliger aussi bien la sécurité et les
hommes qui s'engagent pour l'assurer que les augures des actions susceptibles
de la compromettre témoigne d'une irresponsabilité flagrante. On voit
difficilement comment la prise de conscience sera possible sans un désastre
majeur.
Maj EMG Ludovic Monnerat