Les dossiers déclassifiés de l'Union soviétique montrent que l'Irak n'a rien à voir avec le Vietnam
23 novembre 2003
a comparaison entre la situation irakienne et le conflit
indochinois reste un lieu commun dans les médias. Pour l'analyste militaire
russe Pavel Felgenhauer, le rôle déterminant joué par l'Union soviétique au
Vietnam et l'absence de superpuissance opposée aujourd'hui aux Etats-Unis
excluent cependant toute similitude.
Cinq hélicoptères américains se sont récemment écrasés en
Irak, entraînant la mort de 39 soldats. Dans les six premiers mois de
l'occupation, une moyenne de 20 militaires US ont été tués par mois suite à une
action adverse. En novembre, cependant, les pertes ont augmenté de manière
dramatique.
«... Il est ridicule de comparer l'Irak au Vietnam ou à l'Afghanistan. Aucune superpuissance ne fournit à la résistance irakienne des spécialistes militaires et de nouvelles armes ultra-performantes. »
La semaine passée, l'ancien sénateur démocrate Max Cleland,
qui a perdu les deux jambes et le bras droit en combattant au Vietnam, a
violemment attaqué la stratégie militaire de l'administration Bush, en
affirmant que le conflit en Irak ressemble maintenant à la guerre du Vietnam. « Nous
n'avons pas une stratégie pour gagner ou pour partir », a dit Cleland
durant une réunion sur l'Irak à Arlington.
L'occupation de l'Irak est le premier engagement majeur de
longue durée effectué par les Forces armées américaines depuis le Vietnam. Les
souvenirs amers du bourbier indochinois sont aujourd'hui utilisés dans la
plupart des critiques adressées à l'administration Bush dans le pays comme à
l'étranger. Mais est-ce que l'analogie avec le Vietnam est précise ?
Le soutien de l'URSS
La guerre du Vietnam était une bataille de la guerre froide
dans laquelle l'influence russe a été décisive. Des dossiers soviétiques partiellement
déclassifiés démontrent que 6359 officiers et généraux russes ont pris part aux
opérations de combat au Vietnam. Les Soviétiques pilotaient des avions à
réaction qui attaquaient les Américains et faisaient fonctionner des batteries
de missiles antiaériens, tout en entraînant les Nord-Vietnamiens.
Les armes soviétiques les plus récentes étaient envoyées au
Vietnam. Le chasseur MiG-21, le missile sol-air C-75 [SA-2 dans la
terminologie OTAN, note du traducteur] et le lance-roquettes multiples Grad
ont tous été employés en premier au Vietnam. Les ingénieurs de l'industrie
militaire soviétique étaient envoyés au Vietnam pour contribuer à entretenir et
à moderniser l'équipement. Dès que les Etats-Unis introduisaient des nouveautés
qui modifiaient l'équilibre des forces sur le champ de bataille, les Russes
produisaient à la hâte des modernisations idoines qui étaient expédiées au
Vietnam. Et le tout gratuitement.
La guerre du Vietnam n'était pas une « lutte de
libération populaire », comme l'a décrite la propagande communiste et
anti-guerre. La campagne américaine pour gagner les cœurs et les esprits des
Sud-Vietnamiens afin de gagner la guerre était sans objet dès le départ. En
fait, la plupart des Sud-Vietnamiens soutenaient les Américains ou étaient neutres,
mais leur opinion n'avait aucune importance : c'étaient les cœurs et les
esprits des généraux russes et nord-vietnamiens, des membres du Politburo à
Hanoi et à Moscou, qui étaient le facteur décisif. En 1975, ce n'étaient pas
des « guérilleros » qui ont envahi le Sud en violant le traité de
paix de Paris, mais 14 divisions nord-vietnamiennes qui ont écrasé l'armée
sud-vietnamienne et pris Saigon avec des centaines de chars, de canons lourds
et de missiles antiaériens.
Au total, plus de 8000 avions et hélicoptères américains ont
été détruits, alors que près de 60'000 Américains et plus de 2 millions de
Vietnamiens ont été tués. Mais les Etats-Unis ne pouvaient pas gagner au
Vietnam sans battre d'abord le centre de gravité de la puissance ennemie :
l'Union Soviétique. Les forces US ont sans cesse décimé les unités
nord-vietnamiennes, mais celles-ci se repliaient et profitaient d'une sécurité
relative pour se regrouper et réarmer. Le Vietnam était aussi impossible à
gagner pour les Américains que la guerre des Soviétiques en Afghanistan.
Il est dès lors ridicule de comparer l'Irak au Vietnam ou à
l'Afghanistan. Aucune superpuissance ne fournit à la résistance irakienne des
spécialistes militaires et de nouvelles armes ultra-performantes. Ses capacités
sont sérieusement limitées, et le niveau des pertes américaines est
incomparable avec la saignée du Vietnam.
Aujourd'hui, il apparaît clairement que Saddam Hussein a
anticipé la défaite de son armée et de sa Garde républicaine en combat frontal,
et que des préparatifs ont été faits pour établir une résistance souterraine
sous occupation. Le réseau de résistance de Hussein est parvenu à le maintenir
en sécurité et à déclencher des attaques de guérilla. Il reçoit également le
soutien de djihadistes et de radicaux anti-occidentaux.
Mais il est tout aussi clair que l'Irak n'est pas un nouveau
Vietnam. La stratégie gagnante est évidente : tuer ou capturer Hussein,
qui est le centre de gravité de la force ennemie ; et engager de nombreux
Irakiens dans la police et le personnel de sécurité afin d'écraser
l'insurrection, tout en fournissant un appui américain en matière de logistique
et de puissance de feu.
Une large proportion de la population irakienne semble prête
à soutenir les Américains dans sa confrontation avec les terroristes islamistes
et les fidèles de Hussein. Les Etats-Unis ont déjà réussi à rassembler quelque
100'000 Irakiens armés, alors qu'en Tchétchénie les Russes n'ont pas plus de
quelques milliers de collaborateurs après des années d'occupation.
La suprématie militaire globale des Etats-Unis garantit
qu'aucune force armée étrangère ne va envahir l'Irak, comme cela s'est produit
au Sud-Vietnam. Aujourd'hui, la « vietnamisation », c'est-à-dire la
politique américaine consistant à armer les Sud-Vietnamiens pour se défendre
eux-mêmes, pourrait bien réussir en Irak.
Texte original: Pavel Felgenhauer, "Iraq Is No Vietnam Repeat", The Moscow Times, 18.11.2003
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat