La démocratie laïque à l'occidentale est devenue
le cauchemar irakien d’Al-Qaïda
7 septembre 2003
es efforts américains pour instaurer une démocratie stable en Irak suscitent une immense inquiétude dans les rangs d’Al-Qaïda. Un livre récent publié par les fondamentalistes montre clairement leur haine de la laïcité.
«Ce n’est pas la machine de guerre américaine qui devrait en premier lieu inquiéter les musulmans. Ce qui menace le futur de l’islam, et en fait sa survie, c’est la démocratie américaine.» Tel est le message d’un nouveau livre qui vient d’être publié par Al-Qaïda dans plusieurs pays arabes.
L’auteur de ce livre, qui a pour titre «Le futur de l’Irak et de la péninsule arabique après la chute de Bagdad», est Youssouf al-Ayyeri, l’un des plus proches associés d’Oussama ben Laden depuis le début des années 90. Ce citoyen saoudien avait adopté Abu Mohammed comme nom de guerre, et il a tué dans une fusillade avec des forces de sécurité à Riyad en juin dernier.
«... Ce n'est pas la machine de guerre américaine qui devrait en premier lieu inquiéter les musulmans. Ce qui menace le futur de l'islam, et en fait sa survie, c'est la démocratie américaine. »
Le livre a été publié par le Centre de Recherche et d’Etudes Islamique, une société mise sur pieds en 1995 par ben Laden avec des succursales – maintenant fermées – à New York et à Londres. Durant les 8 derniers années, ce centre a publié plus de 40 ouvrages écrits par des «penseurs et chercheurs» d’Al-Qaïda, y compris des militants comme Ayman al-Zawahiri, le bras droit de ben Laden.
La conversion de l’humanité
Al-Ayyeri s’est initialement fait un nom au milieu des années 90 en tant que commandant du camp Farouk, dans l’est de l’Afghanistan, où Al-Qaïda et les Taliban ont entraîné des milliers de «candidats au martyre.» Il explique que l’histoire de l’humanité est celle d’une «guerre perpétuelle entre croyants et mécréants.» Au fil des millénaires, tous deux sont apparus sont différentes formes.
En ce qui concerne la foi, sa forme ultime est représentée par l’islam, qui «annule toutes les autres religions et croyances.» Dès lors, les musulmans ne peuvent avoir qu’un seul but : convertir toute l’humanité à l’islam et «effacer les dernières traces des autres religions, croyances et idéologies.»
L’incroyance (kufr) a connu diverses apparences, mais un seul objectif : détruire la foi en Dieu. En Occident, l’incroyance est parvenue à faire oublier Dieu à une majorité de gens et à leur faire adorer le monde. L’islam, cependant, résiste à cette tendance parce que Allah a l’intention de lui donner la victoire finale.
Al-Ayyeri montre ensuite comment différentes formes d’incroyance ont attaqué le monde islamique au siècle dernier, pour être vaincues d’une manière ou d’une autre. La première forme d’incroyance à attaquer était le «modernisme» (hidatha), qui a mené à la destruction du califat et à l’émergence en terre islamique d’Etats basés sur les identités ethniques et les dimensions territoriales plutôt que la foi religieuse.
La deuxième était le nationalisme importé d’Europe, qui a divisé les musulmans en Arabes, Perses, Turcs et autres. Al-Ayyeri affirme que le nationalisme a maintenant été brisé dans presque toute la terre islamique. Il clame qu’un vrai musulman ne saurait être loyal envers un quelconque Etat-nation.
La troisième forme d’incroyance était le socialisme, qui comprend le communisme. Elle a également été battue et éliminée du monde musulman, déclare Al-Ayyeri. Il présente le baasisme, l’idéologie partisane que Saddam Hussein a fait régner sur l’Irak, comme la quatrième forme d’incroyance à affecter les musulmans, et en particulier les Arabes.
Le baasisme, qui est aussi l’idéologie officielle du régime syrien, offre aux Arabes un mélange de panarabisme et de socialisme comme alternative à l’islam. Al-Ayyeri écrit que les musulmans «devraient se réjouir de la destruction du baasisme en Irak. La fin de règne du Baas en Irak est bonne pour l’islam et pour les musulmans. Là où la bannière du Baas a chuté s’élèvera la bannière de l’islam.»
Le danger de la démocratie
L’auteur note aussi comme «un paradoxe» le fait que toutes les formes d’incroyance ayant menacé l’islam ont été vaincues avec l’aide des puissances occidentales, et plus spécifiquement des Etats-Unis.
Le mouvement de modernisation du monde musulman a été définitivement discrédité lorsque les puissances impériales européennes ont exagéré leur domination en terre islamique, transformant ainsi ses élites occidentalisées en leurs «valets». Les nationalistes ont été battus et discrédités dans des guerres menées contre eux par différentes puissances occidentales ou, dans le cas du nassérisme en Egypte, par Israël.
L’Occident a également contribué à défaire le socialisme et le communisme dans le monde musulman. L’exemple le plus frappant s’est produit lorsque l’Amérique a aidé les moudjahidins afghans à détruire le régime communiste et pro-soviétique de Kaboul. Et à présent, les Etats-Unis et leurs alliés britanniques ont détruit le baasisme en Irak, et l’ont peut-être fatalement sapé en Syrie.
Ce que voit maintenant Al-Ayyeri, c’est un «champ de bataille net» sur lequel l’islam affronte une nouvelle forme d’incroyance. Il nomme celle-ci la «démocratie laïque.» Cette menace est «bien plus dangereuse pour l’islam» que toutes les précédentes additionnées. Il explique dans un chapitre entier que les raisons doivent en être trouvées dans les «capacités séductrices» de la démocratie.
Cette forme d’incroyance persuade les gens qu’ils sont responsables de leur propre destin et que, en utilisant leur intelligence collective, ils peuvent choisir leur politique et voter les lois qu’ils estiment bonnes. Ce qui les amène à ignorer les «lois inaltérables» promulguées par Dieu pour l’humanité toute entière, et codifiées dans la loi islamique jusqu’à la fin des temps.
Le but de la démocratie, selon Al-Ayyeri, est de faire en sorte que «les musulmans aiment ce monde, oublient le monde suivant et abandonnent le djihad.» Si elle était établie dans un pays musulman pendent une certaine période, la démocratie pourrait mener à la prospérité économique, ce qui à son tour rendrait les musulmans «peu disposés à mourir en martyrs» pour défendre leur foi.
Il affirme qu’il est vital d’empêcher toute normalisation et toute stabilisation en Irak. Les militants islamiques devraient s’assurer que les Etats-Unis ne parviennent pas à organiser des élections en Irak et à créer un gouvernement démocratique. «Si la démocratie s’installe en Irak, la prochaine cible [de la démocratisation] sera la totalité du monde musulman», écrit Al-Ayyeri.
L’idéologue d’Al-Qaïda affirme que le seul pays musulman déjà affecté par «le début de la démocratisation» et ainsi en «danger mortel» est la Turquie. «Voulons-nous que ce qui s’est produit en Turquie survienne dans tous les pays musulmans ?», demande-t-il. «Voulons-nous que les musulmans refusent de prendre part au djihad et se soumettent à la laïcité, ce mélange venu des Sionistes et des Croisés ?»
Al-Ayyeri écrit que l’Irak deviendra le tombeau de la démocratie laïque, exactement comme l’Afghanistan est devenu le tombeau du communisme. Son idée est que les Américains, confrontés à des pertes croissantes en Irak, vont «juste s’enfuir», comme l’ont fait les Soviétiques en Afghanistan. Ceci parce que les Américains aiment ce monde et ne s’inquiètent que de leur propre confort, alors que les musulmans rêvent des plaisirs que le martyre leur offre au paradis.
«Aujourd’hui, en Irak, il n’y a que deux camps», certifie Al-Ayyeri. «Nous avons un conflit entre deux visions du monde et du futur de l’humanité. Le camp prêt à accepter le plus de sacrifices va l’emporter.»
L’analyse d’Al-Ayyeri peuvent sembler naïve ; il se trompe en outre dans la plupart des faits qu’il mentionne. Mais il a raison lorsqu’il rappelle au monde que ce qui se produit en Irak pourrait affecter d’autres pays arabes – et, en fait, la totalité du monde musulman.
Texte original: Amir Taheri, "Al Qaeda's Agenda for Iraq", New York Post, 4.9.2003
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat