Les quatre décisions-clefs prises par les Alliés durant la campagne en Irak
27 avril 2003
'opération "Iraqi Freedom" a été un succès retentissant pour les Forces alliées. D'après l'analyste stratégique Ralph Peters, quatre décisions-clefs ont été l'un des facteurs de ce succès. Mais deux autres décisions prises au plus haut niveau étaient mauvaises, et les troupes au sol ont dû les racheter.
Les plans ne gagnent pas les guerres. Ce sont les soldats qui le font. Mais les plans de qualité et les décisions judicieuses aident énormément les combattants sur le terrain, en facilitant le succès et en sauvant des vies.
«... Deux autres décisions malencontreuses ont été rachetées par la valeur et l'habileté des hommes et femmes en uniformes. »
Au cours de cette guerre, quatre décisions-clefs ont contribué à une victoire rapide et décisive. Deux autres décisions malencontreuses ont été rachetées par la valeur et l'habileté des hommes et femmes en uniformes.
Les bonnes décisions
La première décision cruciale de la campagne a été de lancer l'attaque terrestre en avance sur l'horaire. Le but immédiat était d'empêcher la destruction des champs pétrolifères au sud de l'Irak, mais l'effet concret s'est révélé bien plus grand. Bien que les Irakiens aient été avertis qu'il n'y aurait aucune campagne aérienne prolongée avant que les véhicule blindés n'enclenchent leurs moteurs, ils ne s'attendaient pas à ce que les Alliés commencent par les troupes terrestres.
La décision de lancer le premier grand coup de poing au sol a exigé une grande confiance de la part du commandement coalisé, puisqu'elle défiait la sagesse conventionnelle selon laquelle la puissance aérienne doit "former le champ de bataille" avant que les formations terrestres ne soient engagées. Pris par surprise, les Irakiens ne s'en sont jamais relevés. Malgré le manque de frappes aériennes intensives pour affaiblir leur ennemi, les forces alliées ont invariablement poussé à une vitesse si élevée que les Irakiens n'ont jamais réussi à réagir d'une manière efficace et coordonnée. En langage militaire, elles ont opéré à l'intérieur de leur cycle de décision.
La deuxième décision essentielle a été prise tôt, lorsqu'un degré inattendu de résistance par des forces irrégulières a menacé d'enliser la campagne à Nasiriyah et dans d'autres zones urbaines. Certains commandants tactiques voulaient sécuriser leurs lignes de communication avant de reprendre leur offensive. L'appel à pousser plus avant sur Bagdad malgré le risque pris au sol devait être fourni en haut lieu, là où les leaders pouvaient voir au-delà des soucis tactiques immédiats. La décision de frapper profondément était critique et correcte.
La leçon à en tirer n'est pas que les décideurs hauts placés savent toujours mieux quoi faire. La guerre est plus complexe que cela. Parfois, les types au sol savent ce que les présidents et leurs conseillers ignorent. Mais il y a aussi des exemples où un président peut voir ce que le Captain Jinks ne voit pas. Il n'y a pas de règle fixe dans la prise de décision en temps de guerre.
«... Les forces alliées ont poussé à une vitesse si élevée que les Irakiens n'ont jamais réussi à réagir d'une manière efficace et coordonnée. »
La troisième décision critique a consisté à réinventer la campagne aérienne. Lorsque les résultats de l'offensive de bombardement stratégique se sont révélés décevants, la proportion de puissance aérienne dédiée à l'appui de l'Armée et des Marines a été drastiquement augmentée. Ceci a mis le turbo à une avance déjà rapide. Avec des opérations interarmées d'une intensité sans précédent et dirigée contre les défenseurs irakiens, aussi bien leur volonté que leur capacité de résister se sont effondrées.
La quatrième décision-clef impliquait un changement abrupt des plans. Les Alliés s'attendaient à devoir faire le siège de Bagdad. Mais lorsque les chefs militaires ont aperçu une chance de bondir en avant et de toucher au but, ils n'ont pas hésité. Premièrement, ils ont "développé la situation" avec une exploration en force à large échelle, en l'occurrence une poussée blindée vers le cœur de la cité. Le raid a suscité une réponse furieuse, mais les généraux l'ont lue correctement : les attaques désespérées sur le groupement de combat sont venues d'irréguliers, des restes militaires inorganisés et des combattants étrangers, et non de troupes disciplinées. Les Irakiens se sont faits massacrer dans les rues. La chaîne de commandement a réalisé que Bagdad n'avait plus de défense cohérente. Le matin suivant, la 3e DI roulait dans la ville.
Les mauvaises décisions
L'audace, le courage et la flexibilité durant toute la campagne ont été très payants. Mais des erreurs ont également été commises. Et les deux plus graves l'ont été au plus haut niveau.
Premièrement, la campagne aérienne "choc et stupeur" a été une telle déception que les porte-paroles du Pentagone l'ont immédiatement effacée de l'histoire de cette guerre, un peu comme le Politburo de Staline avait l'habitude d'effacer les victimes des purges sur les photographies officielles. La vérité, c'est que la campagne aérienne stratégique valait la peine d'être tentée. Et nous pouvons encore apprendre des résultats inattendus des frappes de décapitation. Mais aucun effort aérien n'aurait pu être à la hauteur du battage publicitaire que les "experts" en ont fait.
Pour qu'une campagne aérienne de ce type puisse fonctionner, trois exigences doivent être remplies : la surprise, des coups vraiment irrésistibles et un leadership ennemi pour lequel la reddition est envisageable. Mais des mois de menaces dignes d'une cour d'école venant du Pentagone quant à ce que la campagne aérienne ferait au régime de Saddam ont à la fois écarté toute surprise et préparé psychologiquement l'ennemi. Lorsqu'elles sont finalement arrivées, les frappes aériennes étaient hautes en couleur, mais prudentes et sans grand effet. De plus, Saddam et ses amis n'ont jamais envisagé la reddition.
La seconde erreur, plus grave, a été le refus idéologique d'envoyer davantage de troupes sur le théâtre d'opérations avant le début des hostilités. Lorsque les commandants au sol se sont plaints qu'ils avaient besoin de plus de troupes, les chefs supérieurs les ont réduits au silence. Lorsque des généraux en retraite ont souligné que plus de troupes auraient dû être envoyées, le Bureau du Secrétaire à la Défense (Office of the Secretary of Defense, OSD) les a dénoncés de manière effrontée comme des hommes déloyaux, en accusant de défaitisme des héros de guerre et en déformant leurs commentaires à un degré proche du Ministre irakien de l'information.
Attendons que les soldats ayant mené cette guerre écrivent leurs mémoires. Nous jugerons ensuite. Certes, les Etats-Unis ont remporté une victoire magnifique. Mais les militaires l'ont fait en dépit de la micro-conduite de l'OSD.
«... Davantage de troupes auraient permis de prendre Tikrit et de boucler les routes vers la Syrie une semaine plus tôt, en empêchant la fuite de responsables irakiens. »
La taille est importante. Davantage de troupes auraient permis de prendre Tikrit et de boucler les routes vers la Syrie une semaine plus tôt, en empêchant la fuite de responsables irakiens essentiels. Les forces ont manqué pour simultanément s'emparer de Bagdad et poursuivre l'attaque. L'incapacité à garder les hôpitaux et à protéger des pillards le Musée national des antiquités de Bagdad sont des taches indéniables sur un bilan autrement sans mélange. Il fallait plus de troupes au sol pour établir une présence dans tout Bagdad et ailleurs. Hors de vue, les soldats étaient aussi hors des esprits.
Malgré les dénégations du Secrétaire à la Défense au niveau des renforts, la 4e division d'infanterie a été précipitée en Irak. D'autres renforts – transportés hâtivement par air – comprenaient une brigade aéroportée, un régiment de cavalerie blindé, une brigade lourde supplémentaire et une autre brigade légère, avec d'autres unités prévues pour suivre. Ont-elles été dépêchées en Irak parce qu'elles étaient inutiles ?
La campagne d'Irak a été brillante. Mais elle a été gagnée par des soldats, et non par des "experts" civils qui considèrent les troupes comme rien d'autres que des concierges stratégiques. Les suggestions récentes faites par des écrivaillons partisans ayant esquivé le service militaire et selon lesquels eux et leurs idées ont gagné la guerre sont pour le moins déplacées. Même d'après les standards de Washington.
Texte original: Ralph Peters, "The Key Decisions", New York Post, 15.4.03
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat
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