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Etats-Unis : l'adieu aux bases, aux alliances
et à l'OTAN

7 février 2003

Manifestation anti-guerre, Londres, 21.1.03L

es vestiges de la guerre froide que sont les bases américaines à l'étranger et les alliances comme l'OTAN sont aujourd'hui, pour les Etats-Unis, une posture contre-productive et une entrave à leur liberté stratégique. Tel est du moins l'avis de l'historien militaire américain Victor Davis Hanson, dans son analyse des sentiments anti-américains librement exprimés en Europe.

John Le Carré et Harold Pinter nous disent que nous sommes l'ennemi. Gerhard Schröder doit sa réélection à son anti-américanisme. Les diplomates français nous mettent en garde de considérer que Saddam Hussein refuse d'obtempérer – et sont secondés en cela par la Chine communiste. Les manifestations dans les capitales européennes n'ont pas résulté de l'Irak, mais ont commencé – rappelez-vous octobre 2001 – avec notre guerre "amorale" contre les fascistes taliban en Afghanistan. Et les sondages en Europe révèlent un anti-américanisme largement répandu, suggérant que les politiciens et les intellectuels hostiles n'y sont pas en décalage avec l'opinion publique.


«... Les manifestations dans les capitales européennes n'ont pas résulté de l'Irak, mais ont commencé avec notre guerre "amorale" contre les fascistes taliban en Afghanistan. »


En réponse, même notre Vieille Garde New York-Washington et nos euro-fonctionnaires émergent finalement de leur confortable sommeil – tout en ne posant que de fausses questions sur un mouvement inévitable : "sommes-nous trop unilatéraux", "est-ce que Bush est trop brusque" ou "qu'avons-nous fait de faux ?"


Vieille Europe et opinion publique

Ils devraient plutôt remarquer qu'à l'issue des guerres majeures, le monde est rarement redevenu le même. Lorsque Rome est entrée dans les Guerres Puniques, c'était une république agrarienne ; elle en est sortie en tant qu'empire méditerranéen. Waterloo a réarrangé l'Europe pour un siècle, et la défaite de l'Allemagne et du Japon a produit les protocoles longs d'un demi-siècle de la guerre froide, par lesquels les ennemis devinrent amis et les amis ensuite ennemis. Qui pourrait démêler les relations changeantes entre Sparte, Athènes et Thèbes après la Guerre du Péloponnèse ?

Ce n'est pas seulement le fait que les vainqueurs ordonnent et que les vaincus s'inclinent, mais que même entre alliés, la guerre et ses suites déchirent souvent les minces croûtes d'unité et exposent les plaies purulentes que suscitent les vraies différences culturelles, politiques, historiques et géographiques. Il en est ainsi de la guerre actuelle contre les terroristes et leurs sponsors, qui lorsqu'elle s'achèvera va faire de notre monde un endroit très différent.

Dans cette crise, les Américains n'ont d'autre choix que suivre les us et coutumes et mener ainsi leurs affaires jusqu'à ce que les ténèbres passent. Mais elles passeront. Et lorsqu'elles le feront, nous devrons longuement et durement considérer la manière dont nous avons mené notre politique étrangère depuis 60 ans.

Donald Rumsfeld

Bien entendu, l'essence de la diplomatie est faite de raison, de circonspection – et de stasis. Mais les alliances d'une nation doivent également prendre en considération ces éléments marquants que sont l'émotion et l'esprit – et aucun accord ne peut durablement ignorer l'opinion publique pour le seul motif d'une realpolitik stratégique.

Quelques jours de dénonciations françaises, des semaines de remontrances issues de "la méthode allemande" ou des mois d'attaques anti-sémites sont une chose, mais une année et demie d'une hostilité si constante à la suite des pires attaques sur sol américain de notre histoire a finalement eu un effet dégrisant sur la population américaine.


«... Loin d'être provocateur, Donald Rumsfeld et sa mention terre-à-terre de la "Vieille Europe" ne faisaient que refléter la base de l'opinion publique. »


Dans leur dégoût des Européens continentaux, nos citoyens devancent largement les diplomates – qui semblent enchaînés à ce monde de la guerre froide fait de bases, de troupes expéditionnaires et de grandes alliances. Loin d'être provocateur ou de refléter l'anxiété des "néo-conservateurs", Donald Rumsfeld et sa mention terre-à-terre de la "Vieille Europe" ne faisaient que refléter la base de l'opinion publique.

La majorité des critiques les plus dures à l'endroit des Etats-Unis viennent de nos amis en Europe occidentale – et non de ceux en Pologne, en République tchèque ou en Bulgarie. Ce ne sont pas des désaccords spécifiques au sujet d'actions particulières, mais plutôt une colère déductrice qui recherche, et crée effectivement, des problèmes sur lesquels se déchaîner. Oubliez les questions d'ingratitude – le fait que la France était la version 1940 d'un Koweït capitulard et doit sa renaissance au courage et à la résolution de l'Amérique, ou que la ville maintenant grandiose de Berlin ne s'élève que parce que l'ancienne a été préservée des chars russes.


Retirer les troupes d'Allemagne

Une bonne part du problème, comme tant l'ont observé, est le dividende d'une Union européenne post-moderne et en définitive anti-démocratique, qui semble apparemment libre d'une invasion étrangère, et dont la nature n'est devenue plus claire que dans les mois qui ont suivi le 11 septembre. De plus, des rancunes sont suscitées par l'impact global des Etats-Unis par rapport aux rôles planétaires diminués et cyniques de pays comme la France, l'Allemagne et la Russie – qui ont un palmarès collectif désolant d'actions unilatérales en Afrique, de contrebande avec Saddam et de destruction de villes islamiques comme Grozny.

L'Union européenne est en train de réaliser que son investissement passionnel dans les organisations internationales ne peut pas remplacer la confiance morale couplée à la puissance militaire. Chaque fois que les Etats-Unis raillent l'élection de la Lybie comme membre de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, ils ébranlent la légitimité d'une organisation à laquelle une Vieille Europe militairement faible mais culturellement influente est profondément dévouée – même si une Syrie tyrannique siège au Conseil de Sécurité.

Troupes américaines quittant l'Allemagne, 31.1.03

De fait, il y a une grande crainte parmi de nombreux Européens que si rien n'est fait pour contrer maintenant les Etats-Unis, le pur dynamisme – ou la vulgarité – de la culture populaire américaine et son égalitarisme culturel radical pourraient finalement définir à eux seuls l'Occident. Nous avons peut-être déjà sombré jusqu'au point où de nombreux Européens ne se réjouiraient pas du tout d'une victoire rapide des Etats-Unis en Irak – sans un nombre suffisant de bodybags US (dont l'absence est une lamentation rituelle à l'étranger), sans ces reproches stridents "je vous l'avais bien dit" à propos de notre "impérialisme", et sans humiliation pour l'Amérique "arrogante" et "téméraire" du "cow-boy" George W. Bush.


«... la seule chose qui pourrait sauver ce partenariat serait un changement de notre relation politique, par le retrait des troupes américaines d'Allemagne. »


N'espérez pas que les récits émanant d'un Irak d'après-guerre et parlant de la libération de milliers d'Irakiens, de décennies de meurtres de masse, des destructions environnementales de Hussein, de ses caches d'armes terribles et d'une stabilité issue d'un Irak réformé vont convaincre l'Europe ; à la place, le leitmotiv des Européens sera uniquemet celui de l'Amérique hyperpuissante et maléfique. En fait, dans l'état actuel des choses, que nos soi-disants amis ne soient plus alliés nous surprend moins que le fait qu'ils ne soient pas encore ennemis déclarés.

Nous devrions accepter que, dans l'ensemble, l'anti-américanisme actuel commence soit à séparer notre héritage commun, soit à révéler d'anciennes différences en son sein. En effet, la seule chose qui pourrait malgré tout sauver ce partenariat stratégique serait un changement radical dans notre relation politique, en commençant par le retrait des troupes américaines d'Allemagne, de manière tranquille, professionnelle et permanente, comme de tout autre Etat européen que notre présence semble gêner. Seul une telle action, progressive et étudiée, redonnerait un air de réalité à nos relations.


Une Amérique surprotectrice

Nos diplomates, naturellement, nous conseillent d'ignorer notre dépit et de nous concentrer en tant qu'adultes matures sur les avantages stratégiques considérables que produit notre déploiement avancé dans la Vieille Europe – les vestiges d'intérêts propres et le slogan archaïque de l'OTAN, "la Russie dehors, l'Amérique dedans et l'Allemagne dessous." Malheureusement pour nos experts politiques, les ligues et les alliances ont toujours besoin d'une certaine base d'admiration mutuelle et de soutien si elles ne veulent pas se fossiliser complètement lorsque les circonstances évoluent. De nombreux Américains commencent cependant à remettre en question notre affiliation militaire formelle avec les nations européennes, et préfèreraient peut-être une sorte de vague amitié comme celle que nous avons avec la Suède, le Brésil ou la Suisse. Pour quelles raisons ?

Premièrement, il y a la "maladie de l'adolescence" – la notion que notre force militaire prédominante et notre omniprésence en Europe nous ont rendus détestés et parentaux. Les jeunes déblatèrent et fulminent contre leurs plus grands bienfaiteurs en exprimant une angoisse quant à leur dépendance, à la fois psychologique et matérielle. Permettre aux Européens de tracer leur propre route en matière de sécurité serait profitable aux deux parties – comme l'apprennent rapidement les mères et les pères surprotecteurs, lorsque leurs rejetons finissent pas déménager.

Soldats US en Corée

Deuxièmement, nos bases génèrent une étrange sorte de "syndrôme de l'otage", où le pays hôte exerce une influence démesurée sur l'invité au-delà de considérations sur la défense mutuelle, le loyer et les problèmes pratiques posés par l'insertion de milliers d'adolescents dans une culture étrangère. L'Allemagne estime qu'elle peut attaquer son protecteur traditionnel précisément parce que nous avons tellement d'Américains à l'intérieur de ses frontières, et parce que nous semblons si résolus de les garder là à tout prix. Nous proclamons que nous sommes là pour créer la stabilité ; ils rétorquent que nous n'utilisons nos bases que comme des centres de transit pour faciliter nos actions destructrices.


«... Est-ce que les bases offrent réellement une flexibilité stratégique et servent de liens pour cimenter les alliances – ou est-ce qu'elles multiplient les servitudes ? »


Et parfois, même nos ennemis semble souhaiter notre présence continuelle à l'étranger. Certes, la Corée du Sud peut sembler détendue et satisfaite grâce aux 37'000 GIs, tout en affirmant à d'autres occasions que les Américains sont un obstacle à la réunification avec leurs parents du Nord. Mais même le Nord paraît autant cynique, en se réjouissant de notre déploiement continu – puisqu'il pourrait tuer et blesser des milliers d'Américains en quelques heures, d'une manière qui lui serait impossible contre des croiseurs, des sous-marins et des porte-avions en mer.

Est-ce que les bases dans l'après-guerre froide offrent réellement une flexibilité stratégique et servent vraiment de liens pour cimenter les alliances – ou est-ce qu'elles multiplient les servitudes politiques et militaires, puisqu'aussi bien les hôtes que les adversaires utilisent leur présence pour dicter et freiner les options militaires américaines ? Les théoriciens militaires condamnaient récemment les porte-avions en les traitant de cibles faciles et obsolètes ; mais ils sont équivalents à des aérodromes mobiles sous souveraineté américaine, sans devoir se soucier du loyer, du chantage, du compromis et du terrorisme.

Il est vrai qu'une guerre de porte-avions est dangereuse et coûteuse – mais pas moins que passer la nuit en Arabie Saoudite, déployer des milliers d'hommes sur la zone démilitarisée, s'entendre dire par les Allemands que nous sommes "autorisés" à utiliser un espace aérien qui est en fait déjà garanti par les protocoles de l'OTAN, et oublier des milliards de dettes selon les désirs du Pakistan. Personnellement, je dépenserais plutôt 20 milliards de dollars pour que des ouvriers américains construisent au total 5 à 8 hectares d'aérodromes flottants, que verser chaque année des milliards à des pays qui ne nous aiment pas, s'indignent à la fois de la protection et du loyer, ou sont eux-mêmes intrinsèquement instables.


Les alliés et les assistés

Troisièmement, dans le monde de l'après-guerre froide, il n'est pas clair du tout que de telles bases soient essentielles à nos responsabilités de défense – comme nous l'avons appris de nos retraits de Grèce et des Philippines. Nous ne protégeons certainement personne en Europe d'un ennemi conventionnel, mais nous utilisons les bases pour projeter des forces à l'étranger. Au lieu de telles ressources, nous pourrions dissimuler du ravitaillement et des armes dans des secteurs relativement inhabités, et nous appuyer davantage sur des troupes aéroportées et navales. Et si nous avons besoin de bases classiques pour des contingents plus larges, nous devrions rechercher des ports et des aérodromes dans les pays d'Europe de l'Est, qui recherchent des liens étroits avec nous et qui doutent que leur avenir passe par l'Allemagne ou la Russie.

Une telle attitude ne serait pas isolationniste, mais plutôt l'expression d'une indépendance musculaire – puisque nous continuerons à remplir nos engagements à l'étranger, quoique de manière très différente. Nous devrions renforcer les domaines où nous pouvons agir à l'unisson précisément parce que nous ne sommes plus des alliés imbriqués – et donc moins vulnérables à ce chantage lié au déploiement de troupes américaines protégeant ceux qui ne professent pas toujours vouloir une telle protection.

Si de nombreux alliés de l'OTAN s'opposent aux Etats-Unis pendant qu'ils déposent une dictature fasciste, si la France exprime quotidiennement une aversion viscérale pour l'Amérique, et si une intelligentsia continentale considère celle-ci – et non les Taliban, Saddam Hussein, les Iraniens ou les Nord-Coréens – comme le vrai problème du monde, alors l'Amérique a certainement déjà suffisamment d'ennemis pour se passer d'alliés et d'assistés pareils.

Sans rancœur ni colère, il est vraiment temps de passer tristement et tranquillement à autre chose, en soupirant "adieu à tout cela."




Texte original: Victor Davis Hanson, "So Long to All That", National Review Online, 31.1.03    
Traduction et réécriture: Cap Ludovic Monnerat
    






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