Révision de la loi fédérale sur les armes : attention à la dérive totalitaire
7 décembre 2002
ans quelle mesure et selon quelles modalités la Confédération doit-elle prévenir l'usage abusif d'armes à feu ? C'est le thème central de l'actuelle révision de la loi fédérale sur les armes, qui propose des mesures de surveillance transformant le citoyen en criminel potentiel et qui prévoit de donner des pouvoirs discrétionnaires aux forces de police. La dérive totalitaire menace-t-elle ?
La révision de la loi fédérale sur les armes est actuellement en consultation auprès des organisations concernées et de tous les citoyens intéressés, et ce jusqu'au 20 décembre. La loi est censée représenter la concrétisation de l'article 107 de la constitution : "La Confédération légifère afin de lutter contre l'usage abusif d'armes, d'accessoires d'armes et de munitions." But louable auquel on ne peut que souscrire.
«... la révision s'attaque en premier lieu aux citoyens honnêtes, en présupposant que, puisqu'ils ont des armes, ils doivent verser dans l'illégalité. »
Malheureusement, il est loin d'être atteint. Au contraire, on remarque que la révision s'attaque en premier lieu aux citoyens honnêtes, en présupposant que, puisqu'ils ont des armes, ils doivent verser dans l'illégalité. A plusieurs reprises, le rapport explicatif de la révision accuse les propriétaires d'armes de ne pas remplir leurs obligations légales lors de transactions entre particuliers, tout en reconnaissant n'avoir aucune idée du phénomène, puisqu'il n'y a pas de déclaration. Raisonnement : "Je ne peux pas savoir si tu triches, donc tu triches !"
Bonnes et mauvaises armes automatiques
Le communiqué annonçant cette révision a fait la part belle à l'un de ses éléments principaux : l'instauration d'un permis d'achat obligatoire lors de transactions de particulier à particulier. A elle seule, nous dit-on, cette mesure doit permettre de réglementer le marché des armes de manière à ramener dans nos rues une sécurité qui n'en avait pas encore disparu (art. 8 et 9).
Pourtant, on l'apprend en économie : "tentez de contrôler un marché et vous créez le marché noir". Des dizaines de milliers d'armes se trouvent en mains privées en Suisse, chez des gens qui n'ont pas la moindre idée du "mal" qu'on a attribué à ces objets – les mousquetons 11 ou 31, les fusils plus anciens, les petits pistolets, qui dorment dans les tables de nuit, puis à la génération suivante dans les galetas. Si ces gens vendent ces objets à des amis, à des connaissances, dont ils savent l'intérêt pour ces choses du passé, ils deviennent désormais des criminels, passibles de plusieurs mois de prison et d'amendes de 10'000 fr. et plus.
«... S'ils réussissent à interdire Kalachnikov, FAL et M-16 aujourd'hui, ils reviendront demain à la charge pour le Fass 57, puis pour le Fass 90. »
La révision prévoit l'interdiction d'acheter et aussi de posséder des armes automatiques (art. 5), mais les armes d'ordonnance suisse sont exemptées. Le parlement a renouvelé récemment sa confiance dans le système militaire suisse, avec la notion de soldat armé au domicile. Pourtant, si l'on s'y arrête un instant, quelle différence y a-t-il entre un fusil d'assaut 57 et une Kalachnikov… sinon que le 57 est plus efficace !
Plus préoccupant encore : il faut garder à l'esprit que ceux qui veulent faire de la Suisse une société sans armes ne renonceront pas au premier revers. S'ils réussissent à interdire Kalachnikov, FAL et M-16 aujourd'hui, ils reviendront demain à la charge pour le Fass 57 (à quoi donc peut servir cet objet sale et laid ?), puis pour le Fass 90 (on range tout ça dans les arsenaux et on n'en parle plus… en plus, ça coûtera moins cher !)
Outre les armes automatiques, les législateurs veulent interdire toutes les "armes à feu qui ne sont pas utilisées pour les besoins de la chasse ou du sport et qui sont particulièrement dangereuses". Berne se moque de nous : toutes les armes sont dangereuses, même les armes de chasse et de sport ! La mesure, selon le rapport explicatif, ne devrait s'appliquer qu'à certaines armes de défense à grenaille. Mais elle permet n'importe quoi. Et l'expérience nous montre que quand on donne ce genre de corde, on se retrouve pendu !
La démocratie populaire de Suisse
Deux autres articles encore montrent jusqu'où on peut aller, quand on écoute les sirènes du "risque zéro" : les art. 29 et 30a.
Le premier permet à la police de "rendre visite", à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, à tout citoyen ou habitant de ce pays, sur le simple "soupçon" qu'il pourrait représenter un danger pour lui-même ou pour autrui. Et cela, sans le moindre contrôle de la justice : pas de commission rogatoire pour perquisitionner, pas d'examen a posteriori de la légitimité d'une action entreprise dans l'urgence. Le policier décide et agit seul, investi d'une autorité suprême – et il paraît que cette disposition se retrouve dans la loi sur les explosifs !
Le second fait tout simplement obligation à toute personne qui désire posséder ou acheter une arme de renoncer à ses droits humains. Le demandeur doit en effet libérer son médecin, son psychiatre, son avocat et même son prêtre de leur obligation de réserve. Plus de secret de fonction ou de confession ! Je me souviens de mon père, me racontant comment des amis allemands, dans les années 30, n'osaient pas parler à la table familiale car leurs enfants étaient susceptibles de les dénoncer. C'est cette société-là que Berne veut instaurer en Suisse ?
Tout dans cette révision montre le danger d'une dérive sécuritaire. Il ne s'agit pas de combler les vides éventuels qu'aurait pu laisser la loi originale, mais bien de boucher tous les trous, toutes les fissures qui pourraient éventuellement permettre à un individu d'être dangereux. Avec le résultat évident que celui qui a décidé de faire le mal le pourra toujours, alors que ceux qui n'ont pour but que de vivre une passion (sport ou collection), ou de prendre en charge leur défense en cas de danger, se retrouvent totalement enfermés dans un système élaboré spécialement pour les combattre.
Un pays qui considère ses citoyens comme des coupables en puissance, qui décide de les surveiller, qui donne à sa police des pouvoirs discrétionnaires et qui encourage la pire des délations ne peut s'appeler une démocratie. C'est un Etat policier, un Etat totalitaire – un Etat qu'on ne peut que combattre, les armes à la main s'il le faut. Justement ce que semblaient craindre les "législateurs éclairés" qui ont conçu cette monstruosité.
Frank A. Leutenegger
Frank A. Leutenegger est journaliste à la Radio Suisse Romande depuis 20 ans, et est également le webmaster du site SwissGuns.com