Comment les SAS ont mené en Afghanistan une attaque frontale sur des positions
d'Al-Qaïda
12 novembre 2003
e voile commence à se lever sur
l'engagement des forces spéciales britanniques en Afghanistan. Les confidences
d'un officier ont permis de révéler une attaque menée par deux escadrons du
SAS, fin novembre 2001, sur un point d'appui d'Al-Qaïda près de la frontière
pakistanaise.
Par un température en-dessous de zéro, presque 100 membres du SAS se
sont rassemblés dans un hangar d'aviation à Kandahar, au sud de l'Afghanistan,
pour le briefing de la plus grande mission ponctuelle déclenchée par le
régiment depuis la Seconde guerre mondiale.
Les deux escadrons Sabre du SAS devaient faire équipe avec l'US Air
Force pour un raid de jour sur un point d'appui d'Al-Qaïda, au centre d'une
montagne de 1800 m à la frontière avec le Pakistan, là où des renseignements
suggéraient que Oussama ben Laden se cachait.
«... Ces types étaient fous - ils devaient tous être drogués. Ils tenaient leurs AK-47 au-dessus de leurs têtes hors des tranchées et les tournaient dans tous les sens en tirant. »
Quelques détails sur des combats ont filtré, mais l'histoire complète
n'avait jamais été racontée. A présent, presque deux ans après les faits, un
officier supérieur des SAS a fourni le premier témoignage sur le bataille, et
décrit la quasi annulation de la mission en raison de lacunes logistiques, les
tactiques insensées de l'ennemi ainsi que la victoire des Britanniques.
Les Land Rovers à l'assaut
Nommée TT, l'opération était la première ayant amené le SAS à abandonner
son habitude de combattre en petites unités clandestines, et à former à la place
une force unique pour un assaut de jour sur un objectif du front. Cette
tactique a été répétée durant la guerre en Irak, générant chez plusieurs
commandants du SAS le souci que leurs unités reçoivent des missions pouvant
être remplies par d'autres unités d'infanterie.
La mission a commencé de nuit, lorsqu'une équipe de 16 hommes
appartenant à l'escadron A ont été emmenés par des avions de transport Hercules
à 35 kilomètres de l'objectif, une série de tranchées et de caves dans les
contreforts de la montagne. Portant des masques à oxygène, ils ont fait une
chute libre de 7000 m avant d'ouvrir leurs parachutes à 1200 m d'altitude. Leur
tâche consistait à trouver un site d'atterrissage dans le désert rocailleux
pour d'autres Hercules, afin d'insérer la force principale lourdement armée et
possédant 25 Land Rovers.
Les commandants ont décidé qu'en dépit de
la piste valable qui avait été localisée, le clair de lune à cette époque -
novembre 2001 - n'était pas suffisant : la qualité des appareils de vision
nocturne britanniques était inadéquate et l'équipe de reconnaissance a été
extraite. « On aurait dit que tout le monde allait rentrer à la base à
Hereford et retourner le mois suivant, lorsque la lumière serait
meilleure », raconte l'officier des SAS.
La traque urgent de ben Laden, cependant, a fait que la décision a été
annulée par le Central Command, qui a choisi de déployer des Hercules
américains mieux équipés, [en l'occurrence des MC-130H] Combat Talon.
Kandahar était tombée aux mains des alliés, les forces des Taliban fuyaient
vers les montagnes et on craignait que les leaders d'Al-Qaïda puissent
s'échapper vers les territoires tribaux du Pakistan. « Quand on nous a
parlé du plan, une approche de nuit suivie d'un assaut en plein jour, nous
avons compris que les poteaux du but avaient bougé », affirme
l'officier. « Il était impossible que chacun d'entre nous sorte vivant
de la bataille. »
Après le briefing, les soldats ont eu 4 heures pour faire leurs
paquetages et mémoriser leurs tâches. L'armement de chaque équipe de 4 hommes
comprenait un lance-missiles antichar, des mitrailleuses et des pistolets. Ils
étaient attachés sur des Land Rovers enchaînées au pont des Hercules. « Nous
étions assis dans l'obscurité complète avec une tasse de thé à la main »,
explique l'officier. « Le bruit était tellement assourdissant qu'on
devait porter des protèges-ouïes. Et la prochaine chose que vous savez, c'est
que l'avion touche le sol, que les Land Rovers en sortent et accélèrent dans le
désert, et que la mission a commencé. »
Les Land Rovers, équipées avec des phares
infrarouges qui permettaient aux conducteurs portant les lunettes de vision
nocturne de voir devant eux, utilisaient la navigation par satellite pour les
guider jusqu'au point de contact, à un kilomètre et demi de la zone
d'atterrissage. L'ordre de marche fut établi et les soldats se dirigèrent vers
leurs positions, à environ 1100 m de la montagne. Neuf chasseurs F-16 et F-18
ainsi qu'un avion de surveillance AWACS [ce devait plutôt être un E-8
JSTARS, NDT] fournissant des informations sur les positions ennemies
tournaient dans le ciel, hors de vue et inaudibles.
Des B-52 avaient reçu l'ordre de « préparer » l'objectif. « C'est
une situation très dangereuse lorsque des bombes énormes sont larguées à
quelques centaines de mètres des meilleurs soldats du pays », souligne
l'officier. « La possibilité d'une bavure majeure était évidemment très
réelle. » La première bombe, qui pesait 900 kg, était la plus grande. « Je
n'avais jamais vu une montagne se déplacer auparavant », affirme
l'officier. Les F-16 et les F-18 ont ensuite bombardé les tranchées et les
caves avec des bombes plus petites et le feu de leurs canons.
Lorsque les avions sont partis, les Land Rovers de l'un des escadrons
ont accéléré en direction de la zone, à présent cachée par la poussière et la
fumée. Malgré le bombardement, ils ont foncé en plein au milieu de balles et de
grenades. « On ne voyait pas grand chose et on se fiait au système de
navigation informatique pour nous guider. Mais nous avons ensuite entendu les
impacts des balles frappant les Land Rovers. Puis des roquettes antichars ont
commencé à fuser de partout. Nous avons dû mettre la marche arrière,
rapidement, et commencer à déverser un feu nourri. »
Les soldats du deuxième escadron s'étaient avancés et avaient atteint
leurs positions d'assaut finales, à moins de 200 m de l'ennemi. « J'ai
combattu des Argentins, des Irakiens, des Serbes et j'en passe, mais je n'ai
jamais fait l'expérience de quelque chose s'approchant de ce que j'ai vu ce jour-là »,
relève l'officier des SAS. « Ces types étaient fous - ils devaient tous
être drogués. Ils tenaient leurs AK-47 au-dessus de leurs têtes hors des
tranchées et les tournaient dans tous les sens en tirant. Ils avaient
apparemment une quantité illimitée de munitions et de grenades, et se rendre
était la dernière chose à leur venir en tête. Ils couraient également en tirant
vers la ligne de front. C'était comme quelque chose venu de la Première guerre
mondiale. »
Les soldats ont dû prendre d'assaut chaque tranchée de 3 mètres, l'une
après l'autre. « Ce n'étaient pas des personnes, de vrais soldats que
l'on aurait pu traiter avec dignité. Ils essayaient de vous tirer dessus
jusqu'à leur dernier souffle, et on n'avait pas d'autre choix que les
tuer. » Après quatre heures de combat, les SAS ont ainsi tué 73
ennemis. Les soldats britanniques n'ont subi que des blessures relativement
légères.
Texte original: Robert Winnett, "Revealed: attack by 100 SAS men", The Sunday Times, 9.11.2003
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat