Les blindés de reconnaissance canadiens
traquent les membres d'Al-Qaïda en Afghanistan
21 septembre 2003
es
blindés de reconnaissance Coyote sont utilisés pour rechercher des terroristes
présumés dans les vallées désolées de l'Afghanistan. Seule leur rareté limite
l'efficacité globale de leur engagement au sein de la force internationale
déployée essentiellement à Kaboul.
Assis dans
leur maison non éclairée, derrière un mur en brique de boue haut de 6 mètres,
au cœur d'un village tellement hostile aux étrangers que même des troupes
internationales lourdement armées ne s'aventurent que rarement dans ses rues
étroites, les militants d'Al-Qaïda devaient se sentir en sécurité.
Ils avaient
tort. Depuis le sommet d'une colline aride et balayée par le vent à des
kilomètres de là, les hommes de 42-Charlie observaient. «Et voilà !»,
exulte le caporal Chris Nadon, qui montre sur l'écran devant lui un homme barbu
regardant hors d'une fenêtre, loin en contrebas. «Suffisamment près pour
compter les poils de ses narines.»
«... Pour les
yeux pénétrants de 42-Charlie, chaque visage, chaque voiture et chaque plaque
d'identification ou presque sont visibles, même de nuit. »
L'équipage du
véhicule de reconnaissance blindé Coyote fait partie de la compagnie canadienne
ISTAR, les chasseurs de la Force Internationale de Sécurité et d'Assistance
(FISA). ISTAR, qui signifie renseignement, surveillance, acquisition de cible
et reconnaissance, constitue les yeux et les oreilles des commandants de la
FISA. Sa mission consiste à trouver les terroristes et les extrémistes qui
menacent constamment la force multinationale, et localiser leur emplacement
ainsi que leurs activités.
Cela revient
à traquer les agents d'Al-Qaïda, les activistes taliban, ou les trafiquants
d'armes et de drogue, et à fournir certaines des informations nécessaires aux
forces spéciales, à la police afghane ou à d'autres unités de la FISA pour les
encercler et les capturer.
Une mission de haute
sécurité
ISTAR est
l'un des éléments les plus secrets de la force conduite par l'OTAN. Même les
autres soldats restent dans l'ignorance quant à leur mission de haute sécurité.
Un groupe d'officiers en patrouille qui s'arrête pour demander à l'unité ce
qu'elle fait est poliment - mais fermement - invité à s'occuper de ses
affaires. «Nous sommes avec ISTAR» est la seule explication fournie par
le sergent Ken Nykorak, qui est responsable du poste d'observation.
Le National
Post a été autorisé la semaine dernière à accompagner 42-Charlie, avec un
Coyote et un véhicule de guerre électronique, des vigiles solitaires sur un
avant-poste recuit par le soleil, à la seule condition que tous les détails de
la mission - y compris l'heure, l'emplacement et l'identité des cibles - soient
passés sous silence.
Sans que
nombre de détails soient visibles. Le village situé dans une région proche de
Kaboul n'est qu'une trace brune sur un tapis poussiéreux et un paysage couleur boue ; les voitures roulant
suffisamment vite pour soulever des nuages de poussière ressemblent à des
fourmis bougeant au ralenti et les gens sont à peine plus que des pattes de
mouches.
Mais pour les
«yeux» pénétrants de 42-Charlie, une partie de l'escadron de reconnaissance des
Dragons Royaux Canadiens, chaque visage, chaque voiture et chaque plaque
d'identification ou presque sont visibles, même de nuit. «Ces murs sont à
peu près hauts de 6 mètres et déployés tout autour», explique le sergent
Nykorak. «C'est un petit endroit plutôt secret.» Il sourit dans son
cagibi verdâtre à l'arrière du Coyote. «Pas assez secret, cependant.»
Les soldats
ont observé pendant presque 24 heures, moins d'un quart de leur mission de quatre
jours, contemplant patiemment le petit amas de murs en boue et de huttes basses
à partir de leur avant-poste rocailleux, recherchant certains visages en
particulier - une poignée de membres d'Al-Qaïda suspectés de se cacher sous la
protection d'un chef local. «Brigand serait plus exact», grogne le
sergent Nykorak, qui a 36 ans et en a passé 15 à l'armée, avec quatre rotations
complètes à son actif. «C'est le seigneur du crime local, terrorisant la
population du coin, et même l'armée. Ils le détestent tous, mais ils le
craignent.»
La FISA a
donc envoyé 42-Charlie pour avoir le seigneur de guerre et ses invités présumés
à l'œil, regardant et détectant quoi que ce soit sortant de l'ordinaire. Un
convoi de nouvelles voitures entrant dans le village suscite de longs et
pénétrants regards des soldats, par exemple, tout comme une foule sortant d'une
école religieuse voisine. «Récolter des informations : voilà ce que
nous faisons», souligne le sergent Nykorak, les yeux collés à son écran.
Une unité composite et
unique
Observer des
villages lointains et rechercher des redoutes terroristes n'est pas l'emploi
prévu pour le Coyote. Celui-ci a été conçu pour la reconnaissance sur le champ
de bataille, détecter des chars ennemis ou des formations d'infanterie et retransmettre
l'information aux commandants. Mais à Kaboul, un radar qui peut détecter des
véhicules à plus de 20 kilomètres de distance, des caméras high tech et tous
temps montés sur un mât ressemblant à un périscope, ou des senseurs distants
reliés au Coyote par de longs câbles noirs ont donné un nouveau rôle au
véhicule.
«Espionner
des individus est une sorte de nouveauté pour nous», admet le sergent Nykorak, tirant sur sa
moustache hérissée en entrant des commandes dans l'ordinateur du système qui
contrôle l'équipement de surveillance du Coyote. «Mais cela semble bien
fonctionner. De la récolte d'informations - c'est tout ce que nous faisons.»
Le major
Dyrald Cross, le commandant de la compagnie ISTAR canadienne, affirme que
l'unité est quelque chose de nouveau pour l'armée, un groupe composite
combinant l'équipement et les compétences de plusieurs unités et métiers
différents. Plus tard cette année, la première section canadienne de drones
sera ajoutée. «Pour cette mission, tous ces éléments ont pour la première
fois été regroupés en une compagnie», dit-il.
D'après le
major Cross, ses soldats opèrent habituellement de manière indépendante, se
fiant à leur instinct et leur talent pour obtenir les informations qu'ils
recherchent. «Ils doivent décrire ce qu'ils voient avec suffisamment de
détails pour qu'ils puissent dire à la brigade ce qu'elle doit savoir»,
dit-il. «Ils sont devenus très ingénieux, très imaginatifs, très astucieux.»
Après presque
deux jours d'observation continue, 42-Charlie se concentre sur deux
bâtiments : la maison du pivot du village et une maison de réunion
adjacente. Juste après le coucher du soleil, l'équipage se rassemble autour de
l'écran du Coyote pour regarder les images d'hommes barbus portants des turbans
et des robes traditionnels, se déplaçant dans les ombres d'une petite cour. «Les
voilà», dit le caporal Sean Rheaume. «Ils restent plutôt longtemps à
l'intérieur, n'est-ce pas ?»
Les cassettes
vidéos commencent à tourner, enregistrant les allées et venues entre les deux
bâtiments, pendant que le véhicule de guerre électronique surveille toutes les
longueurs d'ondes provenant du village, et de son déploiement étincelant
d'antennes. «Nous les aurons», affirme avec confiance le caporal
Rheaume. Les opérations précédentes de l'ISTAR ont contribué à l'arrestation de
supporters des Taliban et de membres d'Al-Qaïda, ainsi que la saisie de cache
d'armes. «C'est ce qui rend utile ce que nous faisons», dit le caporal
Rheaume. «Si nous pouvons sauvons quelques personnes d'un abruti de terroriste,
c'est super.»
Un nombre insuffisant de
blindés
Le seul
défaut des Coyotes ISTAR, c'est qu'ils ne sont pas assez nombreux. Seule la
moitié de l'escadron de reconnaissance des Dragons a été envoyé à Kaboul, ce
qui laisse le sergent Nykorak et ses hommes avec trop de tâches et pas assez de
temps. Il montre du doigt deux autres petites buttes autour du village et une
ligne distante d'arbres décharnés. «Si nous avions une compagnie complète,
nous aurions placé des postes d'observation là et là», dit-il. «On
pourrait ainsi vraiment avoir un trèfle autour du secteur - le voir de
plusieurs côtés. Mais nous n'avons pas assez de Coyotes.»
Se tenir à
l'affût sur la pointe brûlante et poussiéreuse de la colline est tout sauf
confortable. Le petit plateau où 42-Charlie a établi son camp est recouvert de
roches acérées, et comporte un canon rouillé, des douilles de petits calibre et
un vieux transporteur de troupes soviétiques bombardé, que le soldats ont
rapidement converti en une façade de leur appentis.
Il n'y a que
peu d'abris sous le soleil durant la journée, et de nuit la température tombe à
près de 0° dans l'air des montagnes. Les hommes dorment par équipes afin
d'assurer au moins une paire d'yeux sur le village loin en contrebas, et
passent six heures à leur poste avant six heures de repos. Ils se relaient
comme sentinelles, assis au sommet de la tourelle du Coyote ou se serrant à
l'arrière pour observer leur objectif sur l'écran monochrome vert.
Le soldat
Nathan Pettigrew, 21 ans, pilote de 42-Charlie, fait fi de l'ennui et du manque
de confort même lorsqu'il monte la garde à une extrémité de l'avant-poste, dans
le vent âpre de la nuit. «J'adore être par ici», dit-il joyeusement. «J'ai
passé une année à m'entraîner pour cela… J'aime mieux être ici et faire cela qu'être
assis dans le garage d'une quelconque base à faire de l'entretien.»
Les
informations récoltées par 42-Charlie sont transmises au poste de commandement
de la compagnie ISTAR, une tente anonyme faite de drap olive à Camp Julien, la
base de la plupart des 1900 Canadiens présents en Afghanistan. «Ils ont
obtenu des informations pour le commandant de brigade qui se sont révélées
excellentes», souligne le major Cross.
Mais bien que
la mission ait produit des données utiles sur la zone de l'objectif, d'autres
efforts sont nécessaires pour lier le seigneur de guerre aux terroristes
présumés. Une autre mission est prévue plus tard dans la semaine.
Le caporal
Garland Weir affirme qu'il est suffisant de savoir que les renseignements
obtenus contribuent à prévenir des attaques sur les quelque 5000 autres soldats
de la FISA. Et en trouvant les sales types et en aidant les forces afghanes à
les mettre derrière des barreaux, les Coyotes aident les Afghans à retourner à
la normalité et à s'occuper de reconstruire leur société, après des décennies
de guerre.
«Vous avez
quatre jours d'ennui, puis dix secondes d'excitation», dit-il avec un haussement
d'épaules. «Quelquefois, vous n'avez même pas ces dix secondes… mais même si
nous n'avons pas cela, le tout remonte au PC et ils nous disent lorsque nous
avons eu des bons trucs.» Il fait une pause et regarde le village à travers
ses jumelles. «Finalement.»
Texte original: Chris Wattie, "Canadians in secret unit hunt al-Qaeda terrorists", National Post, 9.9.2003
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat