Capacité, volonté et légitimité: vers une nouvelle appréciation des possibilités d'action
12 octobre 2003
omment planifier une action sécuritaire face à l'adversité multiple, changeante et graduée de notre époque? La doctrine militaire développée au fil des conflits conventionnels porte en elle une binarité contre-productive, et les acteurs non étatiques n'ont pas une appréhension globale des conflits. Cet article tente de montrer comment les capacités, les volontés et les morales fondent le contexte de l'action moderne.
Lorsque
le futur général Verdy du Vernois s'aperçut que les précédents historiques ne
parvenaient pas à le guider, sur le champ de bataille de Nachod en 1866, il
résolut de faire table rase et de s'interroger avec une logique telle que sa
méthode d'appréhension du problème - "Après tout, de quoi s'agit-il?"
- reste aujourd'hui encore la première activité de toute planification.
Pourtant, ses dilemmes seraient aujourd'hui familiers à tous les officiers
d'état-major et à tous les commandants, qu'il s'agisse d'évaluer la puissance
des troupes adverses, de penser la manœuvre qui donnera la supériorité ou, dans
cette optique, d'exploiter au mieux le terrain. De Foch à Warden en passant par
Fuller, Douhet et de Gaulle, les penseurs militaires du siècle dernier ont
brillamment théorisé la guerre conventionnelle de l'ère industrielle et jeté
les bases des doctrines appliquées de nos jours par les forces armées
occidentales.
«... La particularité des conflits contemporains reste cette soumission quasi permanente des actions armées au jugement éthique d'autrui par le biais de l'information audio-visuelle de masse. »
Depuis
cinquante ans, celles-ci accumulent pourtant les succès sans lendemain ou les
échecs cuisants face à des adversaires nettement inférieurs. En 1960, l'armée
française avait gagné la guerre d'Algérie déclenchée par le FLN, mais au prix
de méthodes aliénant l'opinion publique nationale et précipitant l'échec
stratégique. En 1968, les militaires américains et sud-vietnamiens ont remporté
une éclatante victoire dans la bataille du Têt, mais leur optimisme déplacé et
l'antagonisme des médias l'ont transformée en défaite. Dans le Liban de 1983,
il a suffi de deux attentats particulièrement meurtriers pour épuiser la
volonté des gouvernements américain et français et déclencher le retrait de
leurs contingents. En 1991, les divisions lourdes américaines étaient sur le
point d'écraser la Garde républicaine irakienne, lorsque les images de
"l'autoroute de la Mort" ont amené le président Bush à déclarer un
cessez-le-feu unilatéral et à amputer une victoire écrasante. En 2002, les
soldats de Tsahal ont gagné la
bataille de Jénine avec un minimum de pertes civiles, mais les frustrations et
les préjugés des médias ont annulé ce succès. On pourrait multiplier les
exemples au Kosovo, en Bosnie, en Somalie ou au Sud-Liban.
Un tel
nombre de déconvenues, qui n'est pas le fruit du hasard, ne doit rien à
l'éloignement des forces et n'indique aucun affaiblissement de l'Occident dont,
au contraire, l'expansion commerciale et culturelle se poursuit sans relâche.
Les échecs de l'Union soviétique en Afghanistan, de l'Inde au Cachemire, de
l'Indonésie au Timor, de la Russie en Tchétchénie ou du Mexique au Chiapas
montrent au demeurant que nous n'en avons pas le monopole exclusif. Ces
déconvenues trahissent simplement les lacunes béantes d'une doctrine dépassée.
Construites, équipées et entraînées pour faire face à un adversaire comparable
et clairement défini, les formations militaires peinent à intégrer la diversité
des acteurs et la fluctuation des menaces qui caractérisent désormais leur
environnement opérationnel. Les principes implicites de la guerre totale, comme
la dichotomie ami/ennemi, la légitimité incontestée de l'action militaire ou la
maximisation de la violence armée sont aujourd'hui les prémices d'un désastre.
Nous sommes tout aussi empruntés que Verdy du Vernois, mais notre champ de
bataille est formé de sociétés entières, composites et mutantes. Toute la
question de l'adversité doit être repensée.
Une méthode obsolète
L'évaluation des possibilités d'actions
adverses est un élément central de toute planification. Traditionnellement, le
renseignement militaire se concentre sur les moyens disponibles en personnel et
en matériel pour en déduire les capacités des forces opposées; l'intention de
leurs chefs est prudemment délaissée, en vertu du principe qu'il est plus
simple - donc bien plus probable - de changer d'intention qu'obtenir des
capacités différentes. Face à des formations armées régulières, organisées en
fonction d'une mission, unifiées par une doctrine homogène, cherchant à
atteindre les buts stratégiques fixés par l'échelon supérieur et astreintes aux
lois de la guerre, cette méthode a fait ses preuves. Le nombre d'actions
susceptibles d'être entreprises par une brigade mécanisée, une escadrille de
chasseurs-bombardiers ou une frégate lance-missiles reste limité. Les
performances de leurs équipements peuvent être quantifiées dans l'espace et
dans le temps, numérisées avec précision et utilisées dans une simulation
informatique. Sans le fracas et les plaies du combat, la guerre conventionnelle
serait un idéal arithmétique.
Pourtant, de tels adversaires sont
aujourd'hui l'exception. Les conflits contemporains sont avant tout le fait de
forces irrégulières, d'unités paramilitaires, de bandes armées ou de groupes
terroristes. Ils sont principalement provoqués par la démagogie de leaders
ambitieux, par la haine ethnique, idéologique ou religieuse, par la rareté
relative des ressources. Incapables de défier frontalement des formations
gouvernementales, les combattants irréguliers diversifient leurs modes
opératoires au-delà de toute règle d'engagement; ils utilisent l'attaque des
populations civiles, la destruction de biens publics ou privés et le spectacle
de la violence comme des pratiques usuelles. Et nos sociétés post-industrielles
regorgent de vecteurs permettant de frapper les chairs, les cœurs et les
esprits. Un avion de ligne, une salle de théâtre, un haut lieu touristique ou
un superpétrolier peuvent devenir des outils stratégiques au même titre qu'un
missile balistique, un satellite de reconnaissance ou un traité international.
La quantification des moyens ne parvient plus à cerner les actions possibles.
L'environnement dans lequel s'inscrivent
les conflits possède une interactivité et une diversité qui rendent caduque
toute vision symétrique. Quel que soit l'endroit où des forces étatiques sont
engagées, un nombre incalculable de structures et de personnes sont concernées
ou touchées par leur action, aussi bien sur place que dans le pays d'origine si
ce dernier diffère. De l'organisation non gouvernementale à l'activiste
individuel en passant par l'entreprise multinationale, le média audio-visuel ou
le réseau criminel, tous peuvent influer sur les effets recherchés par les
forces et mettre ainsi en péril ou favoriser leur mission. A cet éventail
d'acteurs se conjugue celui de leurs positions, qui oscillent entre
l'opposition, la neutralité et l'amitié, et dont les nuances peuvent être aussi
fines qu'instables. Avec le développement technologique, n'importe quel
individu est aujourd'hui en mesure d'influencer le déroulement d'un conflit ou
la résolution d'une crise. Désigner un adversaire précis et écarter tous les
autres protagonistes d'une action n'est plus concevable.
Enfin, le tempo et l'intensité des
conflits modernes sont à l'opposé des guerres conventionnelles. De nos jours,
les forces gouvernementales ne doivent pas réagir à des engagements tactiques
s'enchaînant à grande vitesse, mais prévenir des actions d'ampleur stratégique
largement espacées dans le temps. La portée et la précision des armements
modernes ont raréfié et raccourci les conflits symétriques, en donnant aux
armées digitalisées un avantage déterminant, dès lors qu'elles peuvent déployer
toute leur puissance. En contrepartie, l'évolution des technologies, en
particulier des communications, a permis aux formations irrégulières de
projeter et de coordonner leurs effets au niveau mondial et d'élargir la
palette des actions asymétriques. Un nouveau type d'adversaire, multiforme et
transnational, est né au cours du XXe siècle. Il est devenu possible
d'infiltrer une société puis de frapper, n'importe où et n'importe quand, des
objectifs érigés en symboles. Devenus secondaires, les moyens ne fournissent
plus d'indication décisive. La complexité de l'esprit humain doit être prise en
compte.
Une doctrine inexistante
De manière instinctive ou empirique, le
lien entre les opérations armées et la psychologie de l'homme a toujours été établi:
les hurlements cadencés des légionnaires romains lançant le pilum, les
roulements de tambours Taiko des armées nippones, la répugnance de l'infanterie
suisse à faire des prisonniers, les interminables barrages d'artillerie sur les
tranchées, les sirènes actionnées par les Stuka
allemands et les tracts largués par les Alliés dans le désert irakien ont
tous eu pour effet d'impressionner et d'affaiblir l'adversaire. De même,
certaines manières de combattre visent explicitement à saper la volonté du camp
adverse, comme le sus au roi ennemi de la cavalerie macédonienne, le ciblage
des officiers anglais durant la guerre d'indépendance américaine ou les raids
opératifs sur les arrières caractérisant
le Blitzkrieg. La constitution
même des formations a été dictée autant par l'efficacité physique que par
l'impact psychologique. C'est pourquoi les concentrations de soldats épaule
contre épaule ont joué un tel rôle dans l'histoire de la guerre terrestre.
Il n'existe pourtant pas de théorie
militaire générale prenant en compte les facteurs immatériels au même titre que
les facteurs matériels; c'est aux grands capitaines et aux esprits inventifs
que nous devons nos connaissances de base en ce domaine. Napoléon avait coutume
de dire que les facteurs moraux sont aux facteurs physiques ce que trois est à
un, mais aussi qu'à la guerre, le moral et l'opinion sont plus de la moitié de
la réalité. Une appréhension similaire de l'adversaire et de son propre camp se
retrouve chez maints chefs de guerre célèbres, de Xénophon à Dayan en passant
par César et MacArthur, dont les actions et les écrits restent riches
d'enseignements actuels. Par ailleurs, les études d'Ardant du Picq sur le
combat ont inauguré les recherches sur le comportement et la psychologie du
combattant, poursuivies notamment aux Etats-Unis sous l'égide de l'historien S.
L. A. Marshall. Elles ont permis de mieux comprendre des éléments comme le
stress post-traumatique ou la cohésion tactique. Plus récemment, les réflexions
du général Francart sur l'action dans les champs psychologiques ont largement
consolidé les bases d'une doctrine encore à venir.
Les adversaires asymétriques de notre
époque, pour leur part, emploient spontanément des effets immatériels pour
compenser leur infériorité matérielle. Le terrorisme, la guérilla et
l'activisme, violent ou non, s'appuient sur des moyens restreints pour obtenir
un impact disproportionné: les 500000 dollars investis dans la préparation des
attentats du 11 septembre ont infligé 200 milliards de dollars de pertes aux Etats-Unis
en une année, alors qu'une campagne éthique ciblant les gouvernements
occidentaux a permis la signature de la Convention d'Ottawa, interdisant les
mines antipersonnel pour les seules formations militaires. De plus, la charge
émotionnelle des médias audio-visuels modernes peut être tellement puissante
que "l'infosphère" est devenue une dimension prioritaire de chaque
conflit, et plusieurs organisations activistes ou terroristes ont établi des
principes d'emploi tenant compte des besoins et des capacités propres aux
médias, au point que la mise en scène tend parfois à supplanter l'information.
Ce qui entraîne parfois des retours brutaux à la réalité, dans les urnes ou
sous les bombes.
En effet, les acteurs non étatiques n'ont
pas une meilleure compréhension des conflits modernes: des connaissances
périssables et relatives, issues de l'expérience, ne constituent pas, à elles
seules, une doctrine digne de ce nom. Malgré toute la rhétorique sur la guerre
révolutionnaire en vogue dans les années 50 et 60, les guérillas atteignent
rarement leurs objectifs stratégiques; aujourd'hui, elles sont des
organisations plus criminelles que politiques. Furieusement à la mode dans les
années 70 et 80, le terrorisme n'est pas davantage couronné de succès dès lors
que ses buts ne sont pas strictement limités. De plus, les convictions
irrationnelles qui ont fait massacrer des armées entières, comme "l'esprit
offensif" du colonel de Grandmaison ou le "souffle divin" des
soldats de Tojo, ont aujourd'hui ressurgi en d'autres lieux sous la forme du
martyre islamiste et du fanatisme idéologique. L'appréciation de la situation
ne s'accommode pas plus des préjugés que du conformisme, et le rôle des
facteurs humains doit être clarifié.
Capacité, volonté et légitimité
En fait, la doctrine militaire évolue de
manière à intégrer la complexité des conflits contemporains. Nouvelles dans
notre armée et issues de l'OTAN, les notions de centre de gravité, de point
décisif et de point névralgique permettent l'élaboration de lignes d'opérations
distinctes et parallèles, recherchant des effets matériels ou immatériels, en
vue d'atteindre un état final clairement défini. Dans la Conduite opérative XXI, on distingue ainsi les opérations
terrestres, aériennes, spéciales et informationnelles. Mais ce découpage
constitue avant tout un outil structurel rationalisant la planification et
facilitant l'attribution des missions. Même avec une compréhension avérée de la
situation, il reste étroitement dépendant de l'appréciation, et celle-ci doit
tenir compte des facteurs politiques, économiques et sociétaux qui forment le
cadre de la stratégie militaire. C'est par conséquent la nature même des
conflits et de leurs acteurs qui doit être comprise.
En premier lieu, les capacités de
destruction et de protection restent au centre de tout affrontement. Malgré les
discours horrifiés des beaux esprits et la "judiciarisation" rampante
de la guerre, la coercition et la violence déterminent toujours la vie des
nations et de leurs citoyens. Elles apparaissent d'ailleurs trop rentables pour
être dissuadées par les bons sentiments ou les aumônes. Les attentats
terroristes de l'IRA à la City de Londres, au milieu des années 1990, ont
infligé plus de 3 milliards de livres sterling de pertes; le pillage des
ressources reste le principal motif d'instabilité en Afrique occidentale, alors
que le chantage à l'arme nucléaire a fourni à la Corée du Nord 500000 tonnes de
pétrole par an entre 1994 et 2002. Les sanctions économiques, les pourparlers
diplomatiques et les condamnations pénales ne peuvent remplacer le déploiement
d'une force armée crédible pour mettre fin à un conflit, empêcher son
éclatement ou emprisonner ses fauteurs. Il s'agit donc, encore et toujours,
d'identifier les moyens d'action disponibles, leurs emplacements potentiels et
les délais inhérents à leur emploi.
Cependant, les capacités physiques
demeurent vaines sans la volonté de les mettre à contribution. A tous les
niveaux d'une structure impliquée dans un conflit, les individus doivent avoir
les ressources psychologiques nécessaires pour agir, sous peine de subir en
permanence les actions de leurs adversaires ou les événements de leur
environnement. Un soldat terrifié par le feu adverse, un chef de corps hanté
par les pertes subies, un général obnubilé par l'avis des médias ou un homme
politique focalisé sur les sondages d'opinion perd, temporairement au moins, la
volonté de prendre et de garder l'initiative. L'épuisement psychologique est un
concept relativement récent dans son acception commune, mais le nombre d'acteurs
impliqués dans les conflits armés rend son rôle plus important que jamais.
Evaluer le comportement des individus nécessite de connaître leurs intentions,
fondées par les inclinations et l'intellect, leurs besoins aussi bien physiques
que psychoaffectifs, ainsi que l'influence de leur entourage ou de
l'organisation qui les engage.
La volonté n'en est pas moins assujettie
au devoir. Même le fanatisme suicidaire ne peut faire abstraction de certaines
règles, le libre arbitre des individus est entravé et influencé par les valeurs
morales qu'ils portent en eux et par celles des spectateurs qui observent leur
comportement. La particularité des conflits contemporains reste en effet cette
soumission quasi permanente des actions armées au jugement éthique d'autrui, en
particulier de ses propres concitoyens, par le biais de l'information
audio-visuelle de masse. Cette visibilité sans précédent est pourtant autant un
facteur modérateur que déclencheur: le respect de valeurs données peut inhiber
une résistance et leur violation la renforcer, alors que ces valeurs changent
parfois diamétralement d'une culture à l'autre. Si la coercition armée est par
exemple décriée par les élites européennes, elle suscite respect et obéissance
sur d'autres continents ou dans d'autres sous-cultures. Pour prévoir les
actions et les réactions d'une personne ou d'une entité, il faut donc connaître
ses valeurs et sa culture, son histoire et ses précédents, ainsi que sa mission
ou ce qui en tient lieu.
Les domaines d'action
Cette distinction entre les facteurs physiques, psychologiques
et éthiques est essentielle à la compréhension de la guerre moderne, car elle
définit les domaines d'action, les modes opératoires et les rapports de forces
relatifs au centre de gravité visé. Ainsi, détruire prioritairement les
capacités adverses correspond à une lutte du fort au fort et prend la forme de
l'attrition, en privilégiant une élimination progressive des moyens en
personnel et en matériel. Les grandes offensives à Verdun ou sur la Somme l'ont
tristement illustré. En revanche, s'attaquer à la volonté de l'adversaire
relève de la manœuvre et exige une action du fort au faible, en ciblant les
composantes fragiles du camp opposé. Les armées régulières pratiquant des
opérations dans la profondeur, mais également les guérillas visant les liens
entre populations et gouvernements y recourent régulièrement. Enfin, épuiser
les ressources morales de l'adversaire en l'amenant à contredire ses propres
valeurs prend, face aux forces occidentales, la forme de l'inégalité, avec un
affrontement du faible du fort ; les lanceurs de pierres de la première
Intifada en sont l'un des meilleurs exemples, mais ces mêmes forces peuvent
préserver leurs ressources en agissant avec proportionnalité, afin précisément
de rompre l'inégalité.
Cette précision quant à la force affrontée est de première
importance: la place de la morale dans un conflit est liée à la nature
démocratique des Etats impliqués et à l'attention de leurs citoyens. Les
nombreuses tyrannies plus ou moins marquées qui parsèment la planète contrôlent
suffisamment l'information et leur population pour que le caractère éthique de
leurs actions ne fasse pas l'objet d'un débat. Les démocraties libérales sont
les seules à restreindre leurs capacités en fonction de critères moraux, et
c'est pourquoi les stratagèmes visant à les y contraindre se multiplient:
l'utilisation de boucliers humains, le positionnement de moyens militaires dans
des lieux protégés ou leur mixité avec les non-combattants sont aujourd'hui des
méthodes éprouvées pour compenser l'infériorité matérielle. Le fait qu'il
s'agisse de violations flagrantes des Conventions de Genève rappelle avant tout
que celles-ci ne s'appliquent dans les faits qu'aux forces régulières et que
les conflits modernes ne connaissent pas l'égalité devant la loi.
Ce découpage, qui s'ajoute à l'articulation classique
distinguant les niveaux stratégique, opératif et tactique, donne une palette
complète des domaines d'action existants. Ainsi, dans le cadre d'un conflit
régional, il est possible d'affaiblir simultanément la volonté d'un adversaire
à l'échelon stratégique en ciblant ses dirigeants politiques et militaires dans
leurs postes de commandement, de limiter ses capacités opératives en détruisant
ses lignes de communication et ses dépôts logistiques, et de préserver sa
propre stature morale en fournissant de l'aide humanitaire aux populations
déplacées. De même, un adversaire asymétrique peut combattre une force armée
démocratique sur son propre sol en l'amenant à commettre des actions
disproportionnées sous l'œil des médias, ce qui va réduire son intégrité
éthique, tout en dissuadant ses principaux chefs d'agir par l'émission de
menaces sur leurs proches, et en menant constamment des actions tactiques
limitées de blocage et de sabotage sur ses petites unités.
Au final, il apparaît que des actions utilisant la coercition
armée et la maîtrise de la violence ne peuvent être pleinement couronnées de
succès que si elles démontrent une supériorité matérielle, mentale et morale.
Il est donc nécessaire de savoir ce que chaque entité présente dans un secteur
d'engagement peut, veut et doit faire, c'est-à-dire connaître aussi bien ses
moyens, son intention que ses règles. Une méthode simple et applicable sous
pression de temps doit encore être élaborée. Face à l'enchevêtrement des
acteurs caractérisant les environnements contemporains, l'énumération des
possibilités d'action respectives ne peut cependant plus suffire, et c'est en
élaborant des scénarios complets et en systématisant le wargaming itératif que les planifications d'emploi retrouveront une
base solide pour la segmentation des actions parallèles.
Maj EMG Ludovic Monnerat
Cet article a été publié initialement dans la Revue Militaire Suisse en septembre 2003, et l'auteur remercie son rédacteur en chef, le colonel Hervé de Weck, de l'avoir autorisé à le republier.