Un siècle de petites guerres montre
qu'elles peuvent être gagnées
20 juillet 2003
a situation actuelle en Irak inspire de nombreux commentaires, qui souvent tendent à considérer toute guérilla comme invincible. Pourtant, comme le remarque l'analyste et éditorialiste Max Boot, auteur d'un livre sur le thème des conflits de basse intensité, les contre-insurrections peuvent être menées avec succès.
Après une série de victoires militaires écrasantes, le président avait déclaré la guerre terminée. Mais loin d'abandonner, les forces s'opposant à l'occupation américaine adoptèrent des tactiques de guérilla. Des sentinelles isolées furent assassinées par des agresseurs ayant pris l'apparence de civils amicaux. Des patrouilles dans la campagne tombèrent dans des pièges. Une embuscade soigneusement préparée avait massacré la moitié d'une compagnie d'infanterie. Les forces américaines avaient répondu par de rudes contre-mesures qui ont suscité des accusations de brutalité.
«... Si le comportement des soldats américains en Irak a été pour l'essentiel exemplaire, un domaine où il a été déficient reste l'usage de forces de sécurité indigènes. »
Cela pourrait sembler un portrait de l'Irak actuel, mais ces lignes décrivent en fait les Philippines voici un siècle. Après avoir éjecté les Espagnols en 1898, les Etats-Unis ont décidé de conserver l'archipel pour eux-mêmes. De nombreux Philippins résistèrent au règne américain. Le Président William McKinley pensait que la lutte était terminée au début de 1900, lorsque les Forces armées philippines régulières ont été mise en déroute, mais la résistance des insurgents lui a donné tort.
Les Etats-Unis ont fini par l'emporter, mais ce fut une corvée longue, dure et sanglante qui a coûté la vie à plus de 4200 soldats américains, 16'000 rebelles et quelque 200'000 civils. Même après la fin formelle des hostilités, le 4 juillet 1902, une résistance sporadique s'est prolongée des années durant.
Un manuel des petites guerres
Il n'y a aucune raison de penser que la lutte actuelle en Irak sera de loin aussi difficile. Mais la guerre des Philippines est un rappel utile que les Américains ont une longue histoire de combat contre des guérillas – et généralement s'imposent, quoique rarement de manière rapide ou facile.
De nombreuses leçons de ces contre-insurrections ont été mises par écrit dans "The Small Wars Manual", rédigé par un groupe d'officiers du Corps des Marines dans les années 30. Ce livre, qui a été réimprimé dans les années 80, avait pour but d'exploiter l'expérience des leathernecks qui ont affronté des "bandits" (comme les auteurs préfèrent appeler tous les mouvements de résistance) à Haïti, en République dominicaine, au Nicaragua et ailleurs durant les premières années du XXe siècle.
A la différence des guerres majeures, avertit le manuel, "aucun front défini n'existe dans les petites guerres, et le théâtre d'opérations peut être la totalité du pays… Dans une guerre de ce type, les membres des forces locales vont soudain devenir d'innocents travailleurs ruraux lorsque cela leur convient." Confrontés à des ennemis pareillement insaisissables, le manuel conseille une double approche pour "établir et maintenir la loi et l'ordre."
D'une part, les forces d'occupation doivent rester à l'offensive contre les groupes rebelles, en les pourchassant partout où ils se cachent. "Le retard dans l'usage de la force… sera toujours interprété comme de la faiblesse", avertissent les auteurs. D'autre part, le manuel est vivement conscient des limites de la puissance de feu dans un environnement ambigu. "La paix et l'industrie ne peuvent pas être restaurées en permanence sans des mesures favorisant la situation économique des gens", écrivent-ils.
Ils avertissent aussi que la "haine de l'ennemi", habituellement inculquée aux troupes de combat, est complètement inappropriée durant une occupation. La répression brutale – comme celle pratiquée par certains soldats américains, qui utilisaient une technique de torture nommée la "cure aquatique" pour extraire l'information de suspects philippins – ne génère que davantage de recrues pour les rebelles. "Dans les petites guerres, la tolérance, la sympathie et la gentillesse devraient être les bases de notre relation avec la masse de la population."
Quelle que soit leur habileté dans l'application de la carotte et du bâton, enseigne le manuel, les soldats américains ne peuvent pas remporter seuls une victoire permanente : "les troupes locales, appuyées par les Marines, sont employées de plus en plus et dès que possible, afin que ces structures locales puissent assumer leur propre responsabilité dans la restauration de la loi et de l'ordre au sein de leur propre pays."
Les soldats américains ont suivi ce conseil avec une bonne dose de succès en combattant des insurrections, depuis les Philippines jusque ces dernières années des pays comme le Salvador. Tout comme les Britanniques en Malaisie.
Une application inégale en Irak
Au Vietnam, en revanche, ce manuel a été ostensiblement négligé. Le général William Westmoreland a essayé une approche conventionnelle avec des grandes unités, et les conséquences ont été désastreuses. Les relations entre soldats américains et civils n'étaient pas, pour l'essentiel, caractérisées par "la tolérance, la sympathie et la gentillesse." Les Américains n'ont pas non plus confié le combat à "des troupes locales… dès que possible."
Bien sûr, le plus grand problème en Indochine se situait hors du contrôle de l'armée. Les guérilleros qui opéraient au Sud-Vietnam avaient une base virtuellement imprenable au Nord-Vietnam. Cela rendait impossible l'isolation du champ de bataille, comme la Marine avait pu le faire dans les îles des Philippines.
En Irak, les forces américaines peuvent également trouver difficile d'isoler les insurgents qu'ils affrontent actuellement, puisque le pays partage de longues frontières avec la Syrie et l'Iran, tous deux hostiles aux Etats-Unis. Du point de vue de Washington, la bonne nouvelle est que ces pays devraient être bien plus vulnérables aux pressions américaines que ne l'était le Nord-Vietnam, parce qu'il leur manque l'appui d'une superpuissance.
Par bien des aspects, la campagne américaine en Irak a été directement tirée du manuel des petites guerres. Les raids de sécurité dans les zones sunnites au centre de l'Irak sont combinés avec des efforts pour rouvrir des écoles et des hôpitaux. Ceci ne relève pas de la compassion humanitaire mais constitue, comme le rappelle le manuel, une étape vitale pour gagner les cœurs et les esprits.
Atteindre ce but exige également que les soldats américains évitent le type d'excès commis aux Philippines. Le brigadier-général Jacob Smith a été jugé en cour martiale pour avoir ordonné à ses hommes de "tuer et brûler" sans discrimination – une affaire aussi choquante à l'époque que le massacre de My Lai l'a été au Vietnam.
Si le comportement des soldats américains en Irak a été pour l'essentiel exemplaire, un domaine où il a été déficient reste l'usage de forces de sécurité indigènes. Dans les premières années du XXe siècle, les Etats-Unis ont généralement mis sur pied des forces policières entraînées et conduites par des Américains, mais avec des hommes recrutés sur place. Des organisations quasi militaires comme les Scouts philippins se sont révélés de formidables instruments de contre-insurrection, parce que leurs soldats connaissaient la culture et le langage locaux. Ce qui est de première importance en combattant des ennemis sans uniforme, où le principal défi est simplement de les identifier. Les petites guerres placent une emphase considérable sur la précision des renseignements.
Comme le montre l'expérience en Afghanistan, il faudra beaucoup de temps pour créer une nouvelle armée en Irak. Jusque là, les autorités responsables de l'occupation ne seront pas en mesure d'appliquer les deux derniers chapitres du manuel : la supervision d'élections et le retrait.
Texte original: Max Boot, "A How-To Manual", The New York Times, 6.7.03
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat