Les facteurs de conflits au début du XXIe siècle exigent la transformation des Forces armées
9 mars 2003
omment les historiens futurs vont-ils décrier la guerre de notre époque? En ce début de siècle, les conflits armés ont des caractéristiques qui exigent l'adaption en profondeur des Forces armées occidentales. Réflexions.
En lisant l'histoire militaire générale du monde, on peut voir que les chercheurs ont catégorisé les différentes périodes de manière non seulement chronologique, mais aussi qualitative. Nous pensons à la guerre du XVIIe siècle comme l'époque du mousquet et de la pique, alors que le début du XIXe siècle est voué à la guerre napoléonienne. Dans la Chine ancienne, nous associons la période allant du Ve au IIIe siècle avant J.-C. aux Etats combattants – une époque où la guerre était dominée par des conflits entre des Etats similairement organisés.
«... Les experts et les praticiens de la guerre moderne s'accordent à dire que les choses ont considérablement changé ces dernières décennies. »
Une dynamique bien différente fut mise en œuvre le siècle suivant lorsque les premiers envahisseurs mongols, les Hsiang-nu, commencèrent à envahir la Chine. A la place de campagnes symétriques et rituelles contre d'autres Etats organisés, cette menace opposa la steppe à la ville. De manière similaire, nous avons tendance à considérer les périodes de l'histoire militaire selon leur distinction qualitative.
Dès lors, que diront les historiens à propos du début du XXIe siècle ? Les experts et les praticiens de la guerre moderne s'accordent à dire que les choses ont considérablement changé ces dernières décennies. Le contexte technologique, culturel et politique de la guerre est très différent de ce qu'il était voici 30 ans. Lorsque les futurs chercheurs considèreront les premières années du siècle en cours, comment vont-ils caractériser l'art et la science militaires ? L'objectif de cet article est de cerner les facteurs dominants des conflits contemporains dans une perspective américaine. L'élément-clef de ces facteurs est de savoir si chacun d'entre eux est vraiment une caractéristique durable de la guerre moderne, ou simplement une anomalie temporaire. A mon sens, les facteurs énumérés ci-dessous vont probablement persister dans l'avenir prévisible, mais il y a clairement matière à débattre ce sujet.
Fréquence et amplitude
Dans mon livre "Fighting by Minutes : Time and the Art of War", j'ai suggéré un modèle pour penser la fréquence en guerre, c'est-à-dire le rythme avec lequel les événements surviennent. Dans une guerre à haute fréquence, des événements distincts comme les manœuvres décisives, les batailles et les invasions se déroulent dans une succession très rapide. Dans une guerre à basse fréquence, les événements significatifs sont séparés par de longues périodes d'inactivité relative.
Par ailleurs, l'amplitude d'un conflit se réfère à la puissance de combat associée à un événement donné. Les événements de haute amplitude sont très destructeurs et importants, alors que les événements de basse amplitude n'ont qu'une importance restreinte. De toute évidence, la détonation d'une ogive nucléaire est un événement de haute amplitude. Celle-ci, toutefois, ne dépend pas simplement de la puissance destructrice. La balle d'un seul assassin frappant un important leader politique ou religieux peut avoir des conséquences majeures, et ainsi être considérée comme un événement de haute amplitude.
Cette simple métaphore sur la puissance et le rythme d'un conflit est utile pour caractériser une période donnée de la guerre. Alors que toute période peut vivre des degrés variés de fréquence et d'amplitude, celle allant de 1914 à la fin de la guerre froide est définie au mieux comme un conflit de haute fréquence et basse amplitude. La guerre, conventionnelle ou non, tendait à se dérouler en campagnes prévisibles d'une durée relativement courte. Mises bout à bout, plusieurs campagnes composaient des guerres.
De manière contrastée, les conflits au début du XXIe siècle vont dans la direction opposée. La guerre se déroulera, avec certaines exceptions, en fonction d'une basse fréquence et une haute amplitude. Plusieurs raisons expliquent ceci, mais la principale est que la domination américaine dans le combat conventionnel – sur les mers, en l'air et sur terre – font de tels conflits une option déplaisante pour nos adversaires. A la place, des opposants rusés vont plus probabement mener des campagnes non conventionnelles se déroulant sur de longs laps de temps. Durant n'importe quelle période précise, de tels événements seront peu nombreux mais auront un grand impact politique, économique, culturel et sociétal – et donc une grande amplitude.
«... la domination américaine dans le combat conventionnel – sur les mers, en l'air et sur terre – font de tels conflits une option déplaisante pour nos adversaires. »
Les implications d'une telle inversion de la guerre sont nombreuses. La structure, la doctrine, l'équipement et l'instruction des forces doivent tous être adaptés en conséquence. Les armées qui réussiront dans cette guerre moderne ne seront pas optimisées pour des élans tactiques à haute vitesse, mais plutôt pour la mobilité et la souplesse opératives et stratégiques. Et pendant les longues périodes d'inactivité relative, elles devront s'appuyer sur la robotique, les systèmes de surveillance et l'intégration étroite des renseignements collectés.
Disparition des formations
Parmi les nombreux penseurs brillants qui se sont débattus avec la guerre napoléonienne au début du XIXe siècle, des écrivains comme Henry Lloyd, Adam Heinrich Dietrich von Bülow et Antoine-Henri Jomini ont donné au monde occidental un cadre de référence pour la conception des opérations terrestres. Le paradigme de Jomini pour la guerre contemporaine est demeuré la norme jusqu'à nos jours. Ses concepts comprenaient la base d'opérations, de laquelle une armée tirait son ravitaillement et ses renforts, et l'objectif, le point – généralement – géographique qu'une armée à l'offensive devait atteindre pour être victorieuse. Entre la base d'opérations et l'objectif s'étendait la ligne d'opérations, le long de laquelle l'armée devait avancer, souvent en menant des engagements successifs contre la défense ennemie. Enfin, entre les arrières de l'armée et la base d'opérations se trouvait l'indispensable ligne de communications, par laquelle s'écoulaient ravitaillements et renforts.
Toutes ces idées sont familières aux planificateurs actuels, et elles caractérisent toujours le combat terrestre conventionnel. Des opérations récentes en Afghanistan et ailleurs, toutefois, suggèrent que nous allons vers des guerres post-jominiennes – où chacune de ces idées est appelée à disparaître. Des armées massives utilisant des bases énormes et relativement sûres dans un théâtre deviennent rares ; de petites forces interarmées opérant à haute vitesse à partir de bases dispersées hors du théâtre les remplacent. Ces forces ne combattent pas le long d'une ligne d'opérations, mais se déplacent et se battent à travers le théâtre dans des opérations dispersées. Les lignes de communications sûres où passent des convois interminables de camions font place à une logistique palpitante, caractérisée par des forces autosuffisantes à court terme et ravitaillées par des modules précisément organisés. Ces changements sont relatifs plutôt qu'absolus, et certaines des idées impliquées effectuent encore la transition entre la planche à dessin et le champ de bataille, mais elles tendent toutes à se distancer nettement des concepts jominiens.
L'un des changements les plus dramatiques intervenus ces dernières décennies est la tendance à combattre sans formations fixes. On peut avancer que jusqu'il y a peu, l'art et la science militaires visaient à former, à entraîner et à engager des unités tactiques en tant qu'expression principale de la puissance de combat. De la phalange à la légion, du tercio à l'ordre mixte, de la Panzerdivision aux fronts échelonnés, la guerre conventionnelle a toujours opposé des formations cohérentes cherchant à se briser l'une l'autre.
La guerre au début du XXIe siècle voit la mort de la formation, et cette disparition révolutionnaire est le produit de deux facteurs. Premièrement, les forces armées occidentales – et américaines en particulier – ont démontré une capacité à détruire virtuellement n'importe quelle formation par un déluge de feux superposés. Selon les circonstances, il est presque inconcevable qu'une formation blindée moderne puisse attaquer et maintenir son élan contre une force interarmées américaine robuste. Notre aptitude à détecter et à détruire des cibles aussi bien dans la profondeur qu'en combat rapproché rendent les formations blindées ennemies aussi inutiles qu'une charge de cavalerie. Jadis tellement puissantes et cohérentes, les formations terrestres sont aujourd'hui des cibles faciles, surtout lorsqu'elles se déplacent.
«... Alors que les commandants devaient à l'époque hurler leurs ordres, ils ont aujourd'hui un réseau où les forces interarmées synchronisent des opérations dispersées. »
Deuxièmement, dans le domaine des communications, les forces interarmées US et celles de leurs alliés améliorent leur maîtrise du réseau. Alors que les commandants devaient à l'époque hurler leurs ordres à travers de petits champs de batailles foulés par des hommes avançant épaule contre épaule, les commandants modernes collaborent sur un réseau, et les forces interarmées synchronisent les effets létaux d'opérations dispersées. De manière semblable, l'ennemi tire parti des communications modernes pour planifier et coordonner ses opérations. Ce qui est ostensiblement absent de ces activités, c'est le moindre indice d'une formation sur le champ de bataille. A la place de formations physiques, des organisations cybernétiques sont capables d'exploiter la puissance de combat sur une échelle globale.
Affrontements de prototypes
La guerre a toujours accéléré la technologie militaire. A l'avenir, cependant, le rythme du développement technologique va s'accroître, en particulier pour les systèmes d'armes, de transmission, de détection et de protection. Mieux, nous commencerons à voir des guerres caractérisées par des prototypes plutôt que des productions de masse. Ce qui sera un défi pour la culture américaine du combat, parce que la production de masse était l'une des nos grandes forces – et elle a largement contribué à notre statut de superpuissance. La capacité des usines américaines à multiplier les chars Shermans et les porte-avions ont été la clef de notre victoire durant la Seconde guerre mondiale.
Mais les innovations technologiques futures vont émerger plus vite, et ce sera la capacité à mettre en service et à adapter la technologie prototypaire qui assurera la victoire. Il n'y aura pas d'état final technologique à atteindre – un idéal cher à la pensée quantitative. A la place, chaque engagement verra une technologie militaire à l'état transitoire et sensible à toute permutation spécifique, lorsque les technologies se combinent et s'affrontent au combat. La guerre des prototypes demandera un niveau sans précédent d'innovation et de flexibilité parmi les combattants.
Pendant l'essentiel de l'histoire militaire, le combat a été une lutte permanente entre les armes et les défenses : la lance et le bouclier, l'épée et la cotte de mailles, l'obus et le blindage. Demain, il est probable que le potentiel destructeur des armements va devancer la plupart des systèmes de protection. La guerre sera davantage une affaire de détection que de destruction, et le combat terrestre deviendra analogue à la guerre sous-marine – où tout est centré sur la recherche des menaces. Une fois que l'emplacement d'un sous-marin ennemi est déterminé, la bataille est terminée ; la destruction est une affaire secondaire.
«... Voir à travers le rempart des non-combattants, être capable d'identifier des guerriers sans uniforme et localiser des dépôts d'armes dissimulés va épuiser les commandants. »
De même, le combat terrestre sans formations aisément estimables sera centré sur la recherche, l'identification et le ciblage de l'ennemi, plutôt que la pénétration de son blindage. Voir à travers le rempart des non-combattants, être capable d'identifier des guerriers qui ne portent pas d'uniforme et localiser des dépôts d'armes dissimulés va consumer l'énergie des commandants. Les implications sont évidentes : nous devons investir dans des systèmes d'information, de surveillance et de reconnaissance. Gagner la supériorité de l'information ne sera pas un ajout pratique au combat tactique, mais une condition sine qua non pour défaire l'ennemi.
Dilution de l'art opératif
L'art opératif – au mieux un terme mal défini – est appelé à se diluer. Dans tous les cas, il sera tellement synonyme de stratégie que les deux deviendront indistincts. L'essence de l'art opératif, les théâtres d'opérations et les commandements régionaux, continueront bien entendu d'exister. La planification d'une campagne, qui se limitait à des opérations militaires dans un théâtre donné, sera toutefois tellement imbriquée dans des facteurs politiques, économiques, médiatiques, sociétaux et culturels qu'elle dépassera rapidement la perspective et l'autorité des commandants régionaux et de leurs états-majors. L'espace de bataille, lorsque qu'il s'est élargi au-delà du champ de bataille napoléonien, a donné naissance à l'art opératif. Il va maintenant continuer à croître au-delà de l'art opératif pour entrer dans le domaine de la grande stratégie.
Au sein de la communauté militaire américaine, il y a eu un long débat sur la nature exacte de l'art opératif. Certains le voient comme analogue à la grande tactique – les manœuvres qui précèdent et suivent les batailles en s'efforcant d'assurer le succès tactique. D'autres le considèrent comme l'expression inévitable de la guerre industrialisée. D'autres encore ont affirmé qu'il est inextricablement lié aux objectifs stratégiques et inclut des facteurs non militaires. En définitive, nous savons que l'art opératif se situe entre la tactique et la stratégie, mais pas vraiment de quoi il s'agit. Ces discussions ont contribué à former et à orienter la pensée opérative, mais il reste à voir si les mêmes experts seront à même de percevoir la mort de cet art précieux, en faveur de la grande stratégie de ce début de siècle.
«... Les téléphones cellulaires, les médias, la vidéo, l'imagerie digitale et l'Internet se sont combinés pour amener au moins certaines horreurs des combats à être vues de tous. »
La guerre future sera globale au point de rendre contre-productive la planification de campagnes indépendantes. Pour réussir, les combattants devront considérer l'espace de bataille comme une singularité aussi bien géographique que militaire, politique, économique et médiatique. Rassembler des plans tenant compte de ces éléments à une échelle globale est clairement l'apanage de la stratégie, et non de l'art opératif classique. Ce dernier, à l'instar de la charge à la baïonette, deviendra une relique que d'aucuns refuseront d'abandonner. La tactique sera directement liée à la stratégie.
La guerre a toujours été l'une des intenses activités humaines, mais lorsque les combattants engagés dans le drame de la bataille étaient isolés du reste de la société, les citoyens normaux n'avaient une connaissance de la violence qu'au travers des livres, des peintures ou d'occasionnelles lettres du front. Avec l'avènement des communications modernes, la guerre s'est répandue dans les salons. Les téléphones cellulaires, les médias, la vidéo, l'imagerie digitale et l'Internet se sont combinés pour amener au moins certaines horreurs des combats à être vues de tous. Bien plus qu'une curiosité culturelle, ce phénomène a de profondes implications politiques. Initié durant la guerre du Vietnam, ce trend va pleinement se concrétiser dans un proche avenir.
Individus décisifs
Parce que la guerre aura tendance à prendre la forme d'actions à petite échelle mais à haute amplitude, les contributions des soldats individuels auront une importance accrue. Comme par le passé, l'arme plus dangereuse sur le champ de bataille sera le soldat énergique, résolu, discipliné et habile. En même temps que le courage nécessaire au combat, ce soldat devra faire preuve d'un niveau sans précédent d'initiative et de créativité pour s'adapter à une situation complexe et changeante.
Cette complexité est principalement le produit de la puissance de feu américaine. L'effet destructeur de nos armes et de nos munitions non seulement anéantit les troupes et les équipements ennemis, mais elle les chasse également du terrain ouvert. Elle contraint l'ennemi à abandonner une guerre de formations agissant à haute fréquence de manière prévisible, en faveur d'une guerre conjuguant dispersion et actions raréfiées, de grande ampleur et moins prévisibles. Elle amène l'ennemi à s'entourer de non-combattants utilisés comme bouclier politique contre notre feu. Les Américains se hérissent de dégoût face à de telles pratiques, en partie par répugnance morale, mais aussi par la frustration que suscite l'efficacité d'une telle tactique.
«... Nous ne pouvons continuer à construire une armée pour un combat en Europe lorsque le futur se déroule dans les montagnes asiatiques, les jungles africaines et les cités du monde. »
Si nous voulons projeter la puissance de combat dans l'espace de bataille complexe du futur, nous devons inverser nos priorités et passer de la simplicité relative du combat mécanisé au défi d'opérations post-jominiennes, dispersées et sans formation. Nous devons cesser de considérer les sombres recoins – villes, montagnes, jungles – comme des problèmes ardus, et apprendre à en faire des opportunités pour des manœuvres créatives. Le maréchal William Slim parvint à franchir ce palier mental en Birmanie, lorsqu'il apprit à exploiter les avantages du combat dans la jungle pour prendre l'ascendant sur les Japonais. La jungle n'était plus un obstacle redouté, mais un atout pour ses forces.
La complexité de l'espace de bataille exige que nous passions de la concentration basée sur l'attrition à la dispersion ciblée, du feu apocalyptique et épisodique aux senseurs permanents et hautement performants, et de l'aversion délibérée du risque à la prise de risque calculée. Nous ne pouvons pas continuer à construire et entraîner notre force pour un combat en Europe centrale lorsque le futur se déroule dans les montagnes asiatiques, les jungles africaines et les cités du monde. Nous saurons que la guerre moderne aura été comprise lorsque notre culture de commandement en viendra considérer la complexité et le chaos non comme un problème, mais comme une opportunité.
Réforme du droit
Le changement le plus visible devant intervenir en ce début de siècle dans l'US Army est la transition vers une théorie des petites forces. En fait, le retard de l'Army à y parvenir devient un obstacle palpable pour l'avenir. Au lieu de nous éloigner prudemment des divisions et des corps, nous devrions en venir tout de suite à des groupements de combat de niveau brigade, conçus d'emblée dans une optique interarmées plutôt que simplement rétrofittés. Le petite force du futur – rapide, flexible et appuyée par un socle de fumée et de feu là où elle va – doit devenir la principale expression de la puissance de combat terrestre.
Cette force doit autant connaître ses partenaires interarmées que ses tables de balistique. Son commandant doit être entraîné à maîtriser à la fois la tactique et la stratégie, par ce qu'il opèrera simultanément sur les deux tableaux ; il peut toutefois oublier l'art opératif, qui deviendra un terme privé de sens. La petite force va renoncer au mouvement pour aller au contact en faveur de raids destructeurs à haute vitesse. Ses leaders cesseront d'étudier la bataille des Ardennes et liront à la place les récits de la chevauchée effectuée par Jeb Stuart autour de George McClellan.
La petite force excellera dans les manœuvres profondes en territoire ennemi, en espérant que l'ennemi lui donnera la chasse et l'encerclera. Comme les wagons de Jan Zizka durant la révolution hussite, cette force préfèrera être encerclée de manière à déchaîner toute sa puissance destructrice sur les forces armées adverses, avant de les achever par une contre-attaque. Où que cette force aille, elle sera la pierre angulaire entre la grande stratégie, les feux interarmées et la suprématie tactique.
Pour les stratèges américains contemporains, l'un des plus grands défis sera la réforme des lois. Jusqu'ici, nous nous sommes abandonnés à la conviction que les affaires légales – comme les Conventions de Genève ou les règles d'engagement – étaient l'apanage des hommes de loi. En fait, pour adapter une phrase célèbre, la loi est trop importante pour être laissée aux juristes. Elle relève de la stratégie. En observant la guerre contre le terrorisme se dérouler, il est évident que nos lois et les accords internationaux sont sérieusement dépassés, voués à l'anachronisme et à la veulerie idéologique.
«... En observant la guerre contre le terrorisme, il est évident que nos lois et les accords internationaux sont dépassés, voués à l'anachronisme et à la veulerie idéologique. »
De même que les bactéries ont développé une résistance à la pénicilline, les adversaires modernes des Etats-Unis se sont adaptés à nos lois. Alors que notre puissance militaire, politique et économique est crainte et admirée, notre système légal est devenu la risée utile de l'ennemi. La culture américaine doit évoluer avec son temps, et se départir de l'idée que la jurisprudence est l'alpha et l'oméga de la loi. Le domaine de la grande stratégie comprend les questions légales, et si nous ignorons celles-ci en refusant de nous adapter, notre stratégie ne s'imposera pas.
En bref, nous devons avoir une vision stratégique et non seulement idéologique du droit. En définitive, les lois doivent permettre la destruction rapide du terrorisme si nous comptons dissuader de futurs adversaires.
Penser et débattre
Voici donc les facteurs émergents de la guerre au début du XXIe siècle – d'un point de vue américain. Lorsque les genres de conflits ont changé à travers l'histoire, les royaumes, les empires et les nations ont été confrontés à la difficile tâche de s'adapter ou de périr. Le verdict n'est pas tombé concernant la dernière vague de mutations, mais renoncer à saisir le futur et rêvasser à la gloire passée rendront vains nos efforts – et d'autres prendront le pouvoir.
Debout devant la tombe de Frédéric le Grand, Napoléon a paraît-il déclaré que si le roi vivait encore, la France n'aurait pu vaincre la Prusse. En réalité, ce n'est pas le décès d'un grand tacticien qui condamna la Prusse, mais l'incapacité collective à s'adapter aux réalités de la stratégie propre au XIXe siècle. Espérons que nous pourrons apprendre par une pensée claire et un débat professionnel ce que les Prussiens ont appris de l'échec à Iéna-Auerstadt.
Texte original: Lt. Col. Robert R. Leonhard (Ret.), "Factors of Conflict in the Early 21st Century", Army Magazine, January 2003
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat