Grozny 2000 : les leçons apprises en combat de localité
7 avril 2001 (traduit de l'anglais)
ujourd'hui, Grozny est une ville morte. Le contraste entre Grozny endommagée avant la dernière bataille et sa destruction totale ne pourrait être plus prononcé. Le rasage littéral de la ville montre les leçons que les forces armées russes ont apprises de leurs batailles précédentes pour Grozny.
La bataille de janvier 2000 fut la deuxième grande bataille pour Grozny en 5 ans, avec deux batailles mineures en 1996. En automne 1994, la ville fut le théâtre de combats entre des troupes tchétchènes rivales, celles du Président Djokhar Dudayev contre celles de l'opposition, qui bénéficièrent du soutien clandestin du gouvernement du Président Boris Eltsine à Moscou.
"... A la fin 1999 et au début 2000, les troupes russes prirent à nouveau d'assaut Grozny – transformant la ville en décombres."
"... A la fin 1999 et au début 2000, les troupes russes prirent à nouveau d'assaut Grozny – transformant la ville en décombres."
Fin novembre, l'opposition attaqua Grozny avec quelques chars et véhicules blindés, et fut rapidement détruite. Un mois plus tard, la première grande bataille pour Grozny prit place. Elle impliqua les Forces armées russes et métamorphosa la ville en un sanglant champ de bataille, avant que les Russes ne boutent les troupes de Dudayev hors de la ville. En août 1996, les Tchétchènes reprirent la ville.
A la fin 1999 et au début 2000, après une progression bien planifiée, les troupes russes prirent à nouveau d'assaut Grozny – cette fois avec un feu d'artillerie et des forces aériennes au lieu des tanks et de l'infanterie – transformant la ville en décombres. Cette bataille pour Grozny se montra différente de la fameuse bataille de janvier 1995 aussi bien dans la stratégie que dans la tactique des attaquants.
Cet article examine quelles leçons l'armée russe a tirées de la bataille de Grozny de 1995 et appliquées à la bataille de janvier 2000. Il examine aussi quelles leçons l'armée russe n'a pas apprises ou choisi de ne pas appliquer.
Arrière-plan et observations
L'usage russe de la force dans le Nord du Caucase arriva comme une réponse à un raid de troupes conduites par les Tchétchènes sur le Daguestan en août 1999. Sergei Stepashin, qui avait remplacé Evgeny Primakov comme Premier ministre en mai, rechercha une légitimité internationale en la cataloguant comme une action antiterroriste. Avec l'escalade des combats et l'explosion d'une série de bombes en Russie, le Président Eltsine nomma un nouveau Premier Ministre, Vladimir Poutine, l'ancien chef des Services de Sécurité Fédéraux (FSB) puis du Conseil de Sécurité. Poutine ordonna aux troupes russes de commencer une progression délibérée en Tchétchénie à travers la plaine du nord jusqu'à la rivière Terek et donna pour tâche aux formations de neutraliser les bandits et les terroristes tchétchènes.
Les attentats eurent en Russie un effet révélateur sur l'opinion publique, soulignant la perception russe d'un Etat tchétchène bandit, sans lois ni ordre, et où la terreur et les enlèvements étaient monnaie courante, menaçant ainsi directement la population russe. Poutine et les commandants militaires russes déclarèrent que la société russe ne serait pas en sécurité jusqu'à ce que la menace tchétchène soit complètement éliminée. A leur crédit, les Russes ne tentèrent pas d'emblée un coup de main contre Grozny, mais manœuvrèrent au lieu de cela vers la Terek. La force d'intervention comptait initialement 80'000 militaires au sol du Ministère de la Défense et 30'000 hommes du Ministère des Affaires Intérieures (MVD).
L'analyste Russe Dimitri Trenin, un officier à la retraite qui travaille maintenant à l'Institut Carnegie à Moscou, nota les améliorations suivantes :
- Les commandants des troupes combinées fédérales ont étudié plusieurs erreurs de la première guerre tchétchène de 1994 à 1996 et se sont également étendus sur l'expérience de l'OTAN au Kosovo. Depuis le tout début de la guerre, quand les attaques se produisaient, elles étaient massives et aussi précises que possible. La taille des Forces fédérales excédait par deux ou trois fois la taille moyenne des troupes utilisés dans la première guerre avec la Tchétchénie.
- Le Président Eltsine promit aux militaires qu'il abandonnerait l'ancienne tactique de moratoires et cessez-le-feu fréquents, qui avait conduit à l'irritation et la suspicion de trahison dans les plus haut niveaux du gouvernement parmi les troupes dans la guerre précédente. Le commandement fédéral prit des décisions indépendantes concernant le rythme de l'offensive et les délais des missions spécifiques.
- Les autorités russes ont limité la diffusion des informations concernant l'état de l'avancement de la guerre. Les plus grandes chaînes de télévision de Russie y ont étrangement consenti.
"... Quatre compagnies russes de snipers, deux de l'Armée et deux du MVD, prirent tranquillement leurs positions dans la ville avec 50 à 60 snipers par unité."
"... Quatre compagnies russes de snipers, deux de l'Armée et deux du MVD, prirent tranquillement leurs positions dans la ville avec 50 à 60 snipers par unité."
En préparation de l'avance générale sur Grozny, des unités de reconnaissance se déplacèrent vers la banlieue de la ville vers mi-novembre. Début décembre, les troupes russes avaient encerclé la ville. Le commandement russe assura que les troupes en progression ne seraient pas surprises à leur entrée dans la ville et déploya des petites unités spéciales pour la reconnaissance urbaine. Quatre compagnies russes de snipers, deux de l'Armée et deux du MVD, prirent tranquillement leurs positions dans la ville avec 50 à 60 snipers par unité. Les équipes de snipers, soutenues par l'armée et des unités des forces spéciales, trouvèrent des cibles et, tout aussi important, fournirent des renseignements sur les activités et les mouvements des forces tchétchènes dans la ville. Les snipers servaient d'observateurs et dirigeaient des feux d'artillerie sur les positions rebelles présumées.
Les Forces russes employèrent des manœuvres par le feu pour détruire les positions tchétchènes, y compris des frappes aériennes, des feux d'artillerie et des raids thermobariques (fuel air explosive). Les Russes citent comme leçon apprise des combats américains contre Belgrade le combat de loin ou en " contact distant ". Il y avait cependant très peu de préoccupation pour les dégâts collatéraux, malgré les proclamations russes que leurs attaques étaient plus " précises " que dans les batailles précédentes. Grozny était une zone " feu libre ". Mais les Russes avaient averti les citadins de quitter la ville, espérant minimiser les pertes civiles.
Grozny comptait encore 20'000 à 30'000 résidents blottis dans des sous-sols quand commença la bataille pour la ville. Ces résidents étaient trop vieux, trop effrayés ou trop isolés pour quitter la ville. Selon les rapports, environ 4000 combattants tchétchènes restaient dans la ville. Des opérations psychologiques russes dépeignirent les défenseurs comme des fanatiques musulmans et des agents d'un réseau international de terreur fondamentaliste.
Les Russes déclarèrent que Osama Bin Laden avait envoyé une troupe de 650 hommes pour soutenir les " bandits " dans la ville. Dans la bataille de Grozny de janvier 1995, le terrain-clé symbole de victoire était le palais présidentiel dans lequel vivait le Président Dudayev. En janvier 2000, la place Minutka, où plusieurs routes et lignes de communications souterraines se rejoignaient, fut désignée comme la partie de terrain-clé dont les deux parties se disputaient le contrôle.
"... Un soldat d'infanterie déclara qu'il n'entrerait pas dans la ville jusqu'à ce que tous les bâtiments soient détruits."
"... Un soldat d'infanterie déclara qu'il n'entrerait pas dans la ville jusqu'à ce que tous les bâtiments soient détruits."
A l'exception d'une tentative par les troupes terrestres qui tourna au désastre, les Russes ne pénétrèrent pas d'emblée dans le centre de la ville comme ils l'avaient fait en 1995. Le terme " force d'assaut " fut rarement utilisé jusqu'à la fin janvier. Un soldat d'infanterie déclara qu'il n'entrerait pas dans la ville jusqu'à ce que tous les bâtiments soient détruits.
Des unités spéciales du MVD, le Détachement de Police pour Actions Spéciales (OMON) et le Détachement Spécial de Réaction Rapide (SOBR) et les forces régulières du MVD furent initialement engagées pour ces tâches. Les troupes terrestres plus tard les renforcèrent et les remplacèrent.
Pendant que les troupes russes encerclaient et s'avançaient lentement dans Grozny, les Forces aériennes russes continuaient à marteler des cibles sélectionnées – des cachettes supposées des terroristes, des tours relais cellulaires et des installations de communication – à travers la république. Ils cherchaient à isoler les défenseurs de Grozny de n'importe quel support et fourniture externe.
Le 13 décembre 1999, les forces russes prirent les quartiers est de Grozny (Khankala), et tentèrent une percée le 16 décembre. La percée échoua et les troupes terrestres russes, qui avaient été le fer de lance du mouvement, permirent aux troupes du MVD d'entrer et de mener la plupart des combats jusqu'à mi-janvier. De violents combats pour les faubourgs de la ville débutèrent le 23 décembre. En même temps, le commandement russe regroupa ses forces pour une autre essai de prendre la ville par des infiltrations à une plus grande échelle. Un assaut décisif mais prudent et calculé commença le 17 janvier et dura 3 semaines. Durant les combats, plusieurs quartiers et bâtiments clés près du centre ville changèrent plusieurs fois de main.
Le 1er février, les chefs tchétchènes ordonnèrent un retrait général de Grozny. Leurs troupes avaient subi de lourdes pertes et risquaient l'isolation et l'annihilation. Le commandement tchétchène dans la ville essaya d'organiser un retrait en direction du sud-ouest, pour chercher un refuge dans la ville d'Alkhan-Kala. Dans leur fuite en dehors de la ville, les Tchétchènes tombèrent dans un champ de mines, subirent de lourdes pertes et perdirent plusieurs chefs importants. Chamil Bassayev, l'un des plus célèbres chefs tchétchènes, fut très sérieusement blessé. Cette voie ouverte la veille n'était qu'un piège.
Gagner la guerre de l'information
En 1995, le gouvernement russe perdit la guerre de la propagande par défaut. Cette fois, il redoubla d'efforts pour contrôler les médias et assurer à sa vision de la guerre la domination de l'opinion publique. La Russie gagna cette guerre de l'information depuis le premier jour des combats et la gagne toujours. Le gouvernement et les militaires contrôlent l'accès aux combattants et censurent les rapports qui pourraient saper le soutien à la guerre. Les rapports de succès des militaires russes ont alimenté le soutien pour les actions militaires parmi la population. Cependant, certains porte-paroles militaires ont altéré les faits et tellement limité les rapports indépendants qu'il est difficile de séparer les faits de la fiction.
A quelques exceptions près, les journalistes russes ne se sont pas plaints de la gestion des médias, et au lieu de cela ont largement emprunté au jargon militaire, tel que " travailler " dans la ville au lieu de bombarder ou prendre d'assaut. Le contrôle des médias a été formalisé en décembre 1999 à travers le mécanisme de la Résolution 1538. Le Président de la Fédération de Russie créa le Centre Russe d'Information dont le travail était de filtrer l'information avant de la donner aux médias de masse et de contrôler la dissémination de l'information étrangère.
Un contrôle si étroit des médias n'existait pas dans les premiers combats pour Grozny, ce qui coûta cher aux Russes. Un analyste nota que " après la première guerre de Tchétchénie, les militaires russes vinrent à la conclusion qu'ils avaient d'abord à jouer la guerre de l'information contre la résistance tchétchène, car d'après eux les Tchétchènes avaient réussi à désarmer moralement l'opinion publique en Russie. Par conséquent, la stratégie russe de re-programmation de la conscience de masse devint leur principale mission dans leur lutte contre le séparatisme tchétchène – corrigeant l'apathie sociétale pour la tâche de conserver la Tchétchénie comme une partie de la Russie, et garantissant le soutien pour des actions radicales. "
Les efforts pour analyser les activités russes et tchétchènes durant la dernière bataille pour Grozny doivent tenir compte des campagnes d'information russes. Des entretiens avec ou à propos des grands chefs russes et tchétchènes continuèrent toutefois et apportèrent des informations utilisées pour façonner l'opinion publique.
Plusieurs remarquable entretiens avec des commandants russes démontrèrent le désir d'appliquer les leçons apprises de la bataille pour Grozny de janvier 1995 et portèrent sur une vaste étendue de sujets. Premièrement, les commandants russes redoublèrent d'efforts pour garantir des communications sûres dans leurs rangs.
"... Les efforts pour analyser les activités russes et tchétchènes durant la dernière bataille pour Grozny doivent tenir compte des campagnes d'information russes."
"... Les efforts pour analyser les activités russes et tchétchènes durant la dernière bataille pour Grozny doivent tenir compte des campagnes d'information russes."
Le colonel-général Yuriy Zalogin, Chef des troupes de transmission des Forces armées russes, donna un discours aux journalistes à la mi-octobre. Il évoqua le manque d'appareils d'encryptage pour des communications sûres durant le conflit tchétchène de 1994-1996 comme une sérieuse faiblesse des troupes fédérales.
Zalogin déclara que le dernier équipement de communication Akveduk serait livré en novembre - décembre 1999 à presque tous les soldats. Maintenant, chaque membre des troïkas de snipers (elles étaient appelées troïkas parce qu'elles comprenaient un sniper, un grenadier et un mitrailleur) jusqu'au commandant du front avait la possibilité d'envoyer et de recevoir des communications brouillées, rendant impossible pour les personnes non autorisées l'interception et le déchiffrage.
Les Tchétchènes, selon Zalogin, conservent plusieurs centres pour intercepter les transmissions et ont même des appareils qui peuvent changer ou imiter la voix des commandants militaires russes. Cependant, comme dans la dernière guerre, les Tchétchènes continuent d'utiliser des appareils de communications étrangers, en particulier le système de téléphonie mobile Iridium produit par Motorola. C'est la même entreprise à laquelle les Tchétchènes avaient acheté les radios utilisées dans les premiers combats pour Grozny (et probablement utilisées dans la bataille 1999-2000). Zalogin déclara que les rebelles utilisent toujours des communications cellulaires – probablement par le biais de stations relais au Daguestan et en Ingouchie, depuis que celles situées sur le territoire tchétchène ont été détruites.
Deuxièmement, les manœuvres par le feu ont joué un rôle clé dans l'avance des troupe russes vers la Terek et dans le siège de Grozny. Cette technique n'était pas suffisamment utilisée pendant la bataille de janvier 1995. En novembre 1999, le colonel-général Mikhaïl Karatuyev, Chef des troupes des missiles et de l'artillerie des Forces fédérales, déclara que les succès des troupes russes étaient déterminés d'avance par les ajustements pour la création et l'engagement des groupes d'artillerie. Ceci comprenait l'introduction de 4 mesures :
- Chaque compagnie de fusiliers et chaque compagnie aéroportée était appuyée par une batterie de lance-mines ou d'artillerie sous son commandement direct ;
- Pour la première fois dans la pratique, la Russie utilisa une méthode de tir à zone des buts décentralisée au lieu de leur méthode standard de feux d'artillerie centralisés ;
- Les tirs furent conduits contre des progressions éloignées depuis une distance sûre, gardant les ennemis loin des troupes russes ;
- Les soutiens topographique, météorologique et autres furent mieux organisés et calculés.
"... Chaque compagnie de fusiliers et chaque compagnie aéroportée était appuyée par une batterie de lance-mines ou d'artillerie sous son commandement direct."
"... Chaque compagnie de fusiliers et chaque compagnie aéroportée était appuyée par une batterie de lance-mines ou d'artillerie sous son commandement direct."
Selon Karatuyev, pour les tirs au niveau bataillon et au-dessus, les unités stipulaient leur propre zone de responsabilité pour la reconnaissance et les tirs. Le commandant correspondant était en charge de conduire les feux dans cette zone. Ce contrôle des feux décentralisé rendit possible des initiatives en vue d'un usage davantage actif, responsable et efficace de l'artillerie.
Historiquement, pour conduire un tir d'artillerie contre un ennemi, les informations de tous les types de reconnaissance devait affluer dans les plus hauts QG, qui ensuite assignaient les cibles pour toutes les armes à feux, y compris les lance-mines. Ensuite seulement l'information descendait le long de la chaîne de commandement.
L'usage inefficace d'informations périssables permettait souvent à la cible de se mouvoir avant que la mission de feu ne puisse être accomplie. Les journalistes appelaient les opérations russes à Grozny " tactique du salami ", accusant les Russes de diviser la ville en secteurs, les secteurs en sous-secteurs et découpant ceux-ci pièce par pièce. Pendant la première bataille de Grozny, diviser la ville en secteurs (en utilisant les lignes de chemins de fer et la rivière Sunzha comme limites) faisait aussi partie du plan russe.
Troisièmement, s'inspirant du récent conflit de l'OTAN au Kosovo, le lieutenant-général Gennady N. Troshev, premier commandant adjoint du Groupement des forces combinées, déclara début février, alors que Grozny était tout sauf conquise, que le plan n'avait pas été d'entrer dans la ville mais de seulement la bloquer.
Les bandits devaient être détruits de loin en utilisant les forces aériennes et l'artillerie. Ceci ralentissait l'avance des troupes (les chars n'avaient pas été lancés en profondeur comme la dernière fois ; ils furent toutefois utilisés comme appui de feu direct aux équipes d'assaut en progression). Les forces fédérales maintinrent leur boucle externe autour de la ville et empêchèrent le retrait organisé des guérillas.
"... Le lieutenant-général Gennady N. Troshev déclara que les bandits devaient être détruits de loin en utilisant les forces aériennes et l'artillerie."
"... Le lieutenant-général Gennady N. Troshev déclara que les bandits devaient être détruits de loin en utilisant les forces aériennes et l'artillerie."
Troshev déclara aussi que la troupe était cette fois beaucoup mieux préparée à entrer finalement dans la ville, car les planificateurs, " étudièrent avec soin non seulement les routes et les rues menant à plusieurs quartiers de la ville, mais aussi à toutes les installations publiques. Nous avons fouillé toutes les archives, trouvé des cartes . . . à partir desquelles nous avons déterminé où étaient les égouts, comment et où les lignes de chauffage allaient . . . il y avait des labyrinthes aussi grand qu'un homme et de 2 à 3 mètres de large. Ainsi, avant que nous commencions de prendre d'assaut la ville, des troupes du génie et des forces de reconnaissance explorèrent toutes ces installations publiques. "
Troshev s'exprima également sur la question du stress, notant que les soldats avaient reçu du temps de repos et de rétablissement. Les engagements dans les villes représentent le type de combat le plus complexe et l'armée répondit à la devise de " sauver les gens ". Seulement 100 hommes des troupes fédérales décédèrent durant l'entière opération de Grozny, ajouta Troshev. Selon quelques rapports, plusieurs centaines de rebelles se cachent toujours en petit groupes dans les tunnels de communication et dans les sous-sols. Le nombre de morts au combat en novembre et décembre s'approcha toutefois du millier.
Finalement, l'entretien le plus intéressant avec un chef militaire russe fut avec un Tchétchène ! Les troupes fédérales s'assurèrent les services de l'ancien maire de Grozny, Bislan Gantamirov. En tant que chef de la police tchétchène, Gantamirov déclara qu'il voulait réhabiliter le peuple tchétchène aux yeux des Russes et de la communauté internationale. En cas de succès, il offrirait au peuple tchétchène ce qu'il désirait depuis trois ans – un système d'application de la loi qui créerait l'ordre pour toute la population. Il forma plusieurs bataillons de combattants provenant des agences internes, y compris un détachement de réaction rapide et une compagnie de service pour les postes de patrouille. Gantamirov fut emprisonné par les Russes jusqu'en octobre 1999. Il déclara qu'il avait été emprisonné à tort et que les chefs actuels des Forces russes (le chef d'Etat-major Anatoliy Kyashnin, le colonel-général Viktor Kazantsev, commandant du groupe du Caucase-Nord, et Troshev) l'avaient non seulement soutenu, mais avaient également contribué à sa libération.
Gantamirov appela un nouveau gouvernement fait de jeunes gens dévoués. " Ce gouvernement ne doit pas être une marionnette des baïonnettes russes ", ajouta-t-il. " L'armée fédérale doit plutôt devenir une arrière-garde et une avant-garde pour le gouvernement tchétchène ". Quand on lui demanda s'il y aurait des difficultés à contrôler tous les clans et les tribus à Grozny, Gantamirov ajouta que le problème des tieps et de leurs relations familiales ne serait pas évoqué. Les seules personnes qui seraient mises en prison seraient celles ayant du sang sur leurs mains.
Les tactiques tchétchènes
Les Tchétchènes rendirent aux Russes la prise de chaque portion de terrain à Grozny particulièrement difficile. Les Forces russes, même mieux préparées qu'en 1995, étaient toujours faibles en tactique urbaine. En privé, un officier russe a dit à un journaliste que " une compagnie tchétchène pouvait tenir tête à une brigade russe " à Grozny. Les Tchétchènes bloquèrent toutes les portes et fenêtres des premier étages, rendant impossible le simple déplacement dans un immeuble. Pendant qu'ils essayaient de grimper sur des échelles ou de frapper sur des portes, les soldats russes devinrent la cible des snipers tchétchènes positionnés dans les étages supérieurs. Selon les rapports, les soldats tchétchènes étaient divisés en groupes de 25 hommes, lesquels étaient subdivisés en trois petits groupes de huit hommes chacun qui essayaient rester au contact des troupes russes. ("étreindre" à nouveau les troupes russes, comme pendant la bataille de 1995, pour minimiser les efforts de l'artillerie russe).
Les troupes tchétchènes avaient eu deux mois pour préparer la ville et ils construisirent un certain nombre de points d'embuscades. Les rebelles avaient deux lignes de défense, avec le personnel le moins entraîné à l'avant. Les snipers occupaient les toits et les étages supérieurs des bâtiments, contrôlant les voies menant à des intersections spécifiques. Ils tentèrent de faire sortir les Russes dans les rues, selon le chef des troupes de défense de Grozny, le général Aslanbek Ismailov.
Les snipers pouvaient aussi se trouver dans des tranchées et sous des dalles de béton qui couvraient les sous-sols. Ces dalles pouvaient être soulevées avec des crics quand les troupes russes avançaient, fournissant des positions de tirs d'embuscade, et ensuite reposées. Les troupes attaquantes russes luttèrent pour discerner les simples décombres des zones d'embuscades.
"... Les Tchétchènes n'utilisaient ni des gilets pare-éclats, parce que cela les ralentissait trop, ni des balles traçantes, qui révélaient trop précisément leurs positions."
"... Les Tchétchènes n'utilisaient ni des gilets pare-éclats, parce que cela les ralentissait trop, ni des balles traçantes, qui révélaient trop précisément leurs positions."
Les Tchétchènes dépensèrent une quantité de temps considérable pour creuser des tranchées et des fossés antichars pour la défense de la ville. Des journalistes rapportèrent que de nombreux hommes et femmes furent tirés des sous-sols pour creuser les tranchées. Les Tchétchènes utilisaient les tranchées pour les mouvements entre maisons et comme positions de feu. Comme les troupes russes se focalisaient sur le sommet des bâtiments, ils étaient souvent attaqués par les tranchées, une sorte d'attaque par diversion. Les Tchétchènes déclarèrent qu'ils n'utilisaient en ville ni des gilets pare-éclats, parce que cela les ralentissait trop, ni des balles traçantes, qui révélaient trop précisément leurs positions.
De temps en temps, quand les combats s'éternisaient, les troupes tchétchènes sortaient de la ville et attaquaient les arrières russes, spécialement dans les villes déjà prises. Ce fut un audacieux exploit, si un rapport est exact – que 50'000 soldats russes entouraient la ville. Cinq jours plus tard après ce rapport, le coordinateur du Président Poutine à l'information et l'analyse dans la région, Sergey Yastrzhembskiy, déclara que le Groupement Combiné des Troupes s'élevait à 57'000 militaires du Ministère de la Défense et 36'000 du MVD en janvier 2000. Néanmoins le chiffre de 50'000 est possible si les deux forces ont été prises en compte. De plus, Yastrzhembskiy ajouta qu'il n'y avait aucune censure ou filtrage des représentants des médias. Il déclara plutôt, "le rapport des journalistes russes par rapport aux étrangers est de un à trois en faveur des médias domestiques." Cette affirmation était clairement en désaccord avec l'impression des journalistes russes.
Finalement, l'impressionnante mobilité des troupes tchétchènes comprenait des itinéraires d'échappement depuis les positions de tirs, des positions de tirs interconnectées et à nouveau le réseau des égouts pour se déplacer dans la ville. Selon un rapport, un ordinateur à Grozny avait la trace de toutes les personnes dans la ville et dans d'autres secteurs de Tchétchénie qui parlaient à la radio. Les troupes russes craignaient spécialement la nuit, quand les Tchétchènes s'approchaient et réoccupaient des positions abandonnées. Les forces tchétchènes auraient utilisé des bombes au chlore et à l'ammoniac, mis le feu à des puits de pétrole pour obscurcir les champs de vision et piégé des complexes immobiliers avec des explosifs. D'autres rapports indiquent que les Russes offraient un passage sûr aux Tchétchènes vers l'extérieur de la ville et l'amnistie à ceux qui pouvaient prouver qu'ils n'avaient jamais joué un rôle dans les combats.
Problèmes entre MVD et Armée
Les troupes fédérales ne semblent toujours pas posséder un système fiable pour distinguer un ami d'un ennemi. Ce défaut continua de poser des problèmes entre les forces armées et le MVD, une situation aggravée par le fait que l'Armée et le MVD encodaient de manière différente leurs coordonnées sur la même carte. Une force pouvait ainsi être incapable de comprendre l'autre. Plusieurs cartes étaient simplement des photocopies d'autres cartes et même les règlements sur l'utilisation des fusées lumineuses différaient entre les services. Ces contradictions causèrent évidemment des problèmes entre unités. Pendant que des sources russes ne pouvaient en comprendre d'autres, l'ennemi pouvait souvent entendre les deux – utilisant les mêmes radios (disponibles sur le marché ouvert) que la Police d'Action Spéciale et les Détachements de Réaction Spéciale Rapide – sur la " fréquence du jour " facilement trouvée.
Il y avait d'autres problèmes entre le MVD et les forces armées. Au Daguestan, les opérations furent initialement conduites par le MVD, mais le commandant des Forces Internes, le colonel-général Vyacheslav Ovchinnikov, fut assez brusquement démis de ses fonctions de commandant responsable des combats (mais pas de son de Commandement des Forces Intérieures). Un fonctionnaire du Ministère de la Défense reprit le commandement quand l'aviation et les blindés, que le MVD ne possédait pas, furent nécessaires pour terminer les opérations (une autre raison aurait été que Ovchinnikov et ses troupes ne coopéraient pas avec les forces armées comme certains l'auraient voulu).
Ensuite, à la fin janvier, Ovchinnikov fut révoqué une deuxième fois, cette fois de son commandement pendant les combats les plus chauds dans la bataille de Grozny, et remplacé par le colonel-général Vyacheslav Tikomirov, un officier qui avait précédemment commandé le district militaire de l'Oural. Certains critiquèrent les erreurs de l'attaque initiale le 25 et le 26 décembre comme raison de la destitution d'Ovchinnikov, pendant que d'autres citaient la mort d'un général de l'Armée (qui était sur les lignes du front à Grozny à la mi-janvier et essayait de motiver les soldats des Forces Internes à progresser). D'autres certifient toujours que le général Chef d'Etat-major Kvashin voulait simplement mettre ses hommes en place et que le Ministre du MVD Vladimir Rushalyo, qui avait peu ou pas d'expérience de combat, fut facilement persuadé par Kvashnin d'entreprendre la révocation.
"... L'Armée et le MVD encodaient de manière différente leurs coordonnées sur la même carte. Une force pouvait ainsi être incapable de comprendre l'autre."
"... L'Armée et le MVD encodaient de manière différente leurs coordonnées sur la même carte. Une force pouvait ainsi être incapable de comprendre l'autre."
Les frictions entre le MVD et les forces armées continuèrent. Plusieurs soldats des forces internes croient que le Ministère de la Défense lança impitoyablement le MVD à l'attaque, parfois sans la préparation de l'artillerie. Les relations entre ces deux groupes n'étaient donc pas calmes. C'est peut-être pourquoi des officiers militaires furent assignés à des positions clés du MVD (y compris un coordinateur du MVD pour toutes les activités dans le Nord Caucase), afin d'améliorer cette situation ou de remplacer ceux qui apparaissaient incapables de donner satisfaction. Du point de vue du MVD, Tikomirov n'aurait pas essayé d'empêcher les troupes internes d'être utilisées comme chair à canon, comme Ovchinnikov a essayé de faire selon des rapports. Malheureusement, le MVD n'était pas en mesure de demander des comptes.
Le facteur psychologique resta un aspect important du combat de localité. A l'aide de tracts, les opérations psychologiques russes essayèrent de convaincre la population civile de Grozny de quitter la ville. Les Russes utilisèrent des haut-parleurs pour appeler à la reddition et tentèrent d'établir une zone de rassemblement pour combattants tchétchènes désirant se rendre. Les Russes et les Tchétchènes firent plusieurs opérations de contrôles réflexives (un type d'activité psychologique qui ressemble à la gestion de la perception) contre chaque autre. Une fameuse technique de contrôle réflexive était la tentative tchétchène de quitter la ville. Le Président tchétchène Aslan Maskhadov avait publiquement déclaré que les rebelles devaient rester dans la ville jusqu'au 23 février. En réalité, il autorisa apparemment les rebelles à abandonner leurs positions défensives au plus tôt le 1er février. Maskhadov tenta de contrôler la force russe, en faisant croire que ses forces resteraient au moins trois semaines de plus.
Une autre opération de contrôle réflexive était l'essai russe de convaincre les défenseurs tchétchènes qu'ils pourraient se retirer en sécurité par le sud-ouest de la ville sous le couvert de l'obscurité. Les Russes arrivèrent à leur but en utilisant de faux réseaux radios, intentionnellement rendus accessibles aux troupes tchétchènes, et sur lesquels ils ont ouvertement annoncé cette vulnérabilité. En réalité, les Russes attendaient les Tchétchènes et les massacrèrent avec des mines et des forces faisant obstruction.
Les leçons tirées des opérations
Les Forces armées russes ont semblé avoir appris et appliqué de nombreuses leçons de la bataille pour Grozny de janvier 1995. Ils ont fait de la guerre de l'information une priorité et contrôlé les médias. L'artillerie, les chars et même les forces terrestres eurent initialement un rôle d'appui, et celles-ci ne furent désignées force d'intervention qu'après la neutralisation adéquate de l'ennemi. Cette précaution a sans aucun doute sauvé la vie de nombreux soldats russes, une préoccupation plus importante cette fois qu'en 1995.
Les blindés n'ont pas été utilisés pour une attaque dans la ville comme ce fut le cas en janvier 1995. Au lieu de mener un assaut frontal contre des positions défensives ennemies solides, les forces fédérales choisirent d'envoyer des unités de reconnaissance et d'engager l'artillerie sur des positions ennemies présumées. Ce type d' "approche indirecte" se basait sur un combat mené à distance. Des drones peuvent accomplir davantage de missions de reconnaissance si un tel combat se développe à l'avenir, bien que des drones aient probablement été utilisés dans la bataille pour Grozny mais n'ont simplement fait l'objet d'aucune annonce. Cet emploi est implicite, puisque des drones étaient employés dans ce cadre durant la guerre de 1995 en Tchétchénie.
Les problèmes de communication ont été surmontés à un certain degré, avec la capacité d'envoyer des messages cryptés et la compatibilité accrue des batteries avec différents types de radios. La mise hors service des stations relais pour téléphones cellulaires constitue une priorité, dans la mesure où ces téléphones fonctionnent bien mieux en ville que les communications à modulation de fréquence.
Par une décision surprenante et menaçante, les forces fédérales se sont largement appuyées sur des explosifs thermobariques et des missiles tactiques (Scud et Scarab). Ces systèmes, qui ont neutralisé les Tchétchènes à la fois physiquement et psychologiquement, étaient employés pour attaquer les combattants se cachant dans les sous-sols. De telles déluges de feu avaient pour but de maximaliser la pression psychologique – démontrer l'inanité d'une résistance prolongée face à un adversaire capable de frapper impunément et invulnérable aux contre-mesures. Le lance-flammes lourd TOS-1 (un lance-roquettes multiples monté sur un châssis de T-72) joua un rôle particulier comme arme de terreur.
"... Transformer en un tas de ruines une ville majeure en Russie soulève de sérieuses questions sur la nature des leçons politico-militaires apprises de la première bataille."
"... Transformer en un tas de ruines une ville majeure en Russie soulève de sérieuses questions sur la nature des leçons politico-militaires apprises de la première bataille."
De plus, puisque la ville était presque vide de population, le radar était beaucoup plus efficace pour l'armée russe. A la différence de la première bataille, des Tchétchènes (la force de Gantamirov) étaient cette fois engagés pour combattre d'autres Tchétchènes, une pratique qui permit de surmonter les nombreux problèmes liés à la tactique et au langage en ville. Les combattants tchétchènes fidèles à la cause fédérale et conduits par Gantamirov pouvaient parler avec la population locale et obtenir des renseignements sur les positions et le dispositif des rebelles. Les renseignements humains tchétchènes avait souvent plus de valeur que les renseignements électroniques russes.
Deux problèmes restés sans solution furent la coordination entre les forces militaires et internes russes, qui resta litigieuse, et l'incapacité des forces russes à surmonter les tactiques d'étreinte tchétchènes, rendant presque impossible de projeter un mur d'acier devant les troupes en progression. Ces deux problèmes existaient déjà dans la première bataille. Et ce ne fut pas avant fin novembre qu'apparut le besoin de remplacer les systèmes de vision nocturne des fusils de précision et des avions d'attaque au sol par des appareils de haute qualité.
Si les Forces russes reçurent un dvoika, on un "F" dans le système de notes russe, pour leur assaut et une troika ou "C" pour leur prise de Grozny en 1995, elles recevraient un chetvorka- ou "B-" pour leur performance au combat durant la bataille de janvier 2000. Elles firent mieux qu'en janvier 1995 et furent empêchées de recevoir une meilleure évaluation (B ou B+), uniquement parce pour obtenir leur succès elles durent broyer la ville en décombres. Transformer en un tas de ruines une ville majeure en Russie soulève de sérieuses questions sur la nature des leçons politico-militaires apprises de la première bataille.
En 1994 et 1995, les Russes ont également pris Grozny, pour la perdre 18 mois plus tard. Même maintenant, des problèmes non résolus attendent la Russie. Premièrement, le succès militaire est une condition nécessaire à l'imposition d'un règlement politique, mais le Gouvernement russe n'a pas essayé de transformer sa victoire en un tel règlement. Deuxièmement, un engagement à long terme pour un élan opérationnel se fait au détriment d'une victoire rapide dans les villes. Enfin, la récente victoire de Grozny apprend que, même si des armes évoluées et un art militaire solide contribuent à la victoire finale, ils ne sont pas suffisants en soi. Le succès dans le combat en localité dépend en définitive de la volonté de vaincre des soldats et de leur capacité à surmonter le stress, le chaos et les conditions mortelles des opérations urbaines.
Texte original: Lieutenant-colonel Timothy L. Thomas, US Army, paru dans Military Review, juillet-août 2000
Traduction: Cap Ludovic Monnerat
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