Pourquoi les services de sécurité suisses
demandent la participation à l’espace Schengen

14 novembre 2004

Réseau SIS en GrèceL

e débat politique sur l’entrée de la Suisse dans l’espace Schengen n’a pas encore pris toute son ampleur. Mais les spécialistes de la sécurité voient dans cette participation un atout décisif dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme.

Depuis plusieurs semaines, des affiches vantant l’efficacité des accords de Schengen dans la prévention et la répression du crime ont fait leur apparition dans les lieux publics du pays. Cette campagne de communication préfigure la votation de juin 2005 sur le sujet, qui promet une nouvelle foire d’empoigne entre les partisans de la collaboration internationale, quitte à altérer nos usages et nos lois, et les tenants d’un statu quo national qui nous prive de certains acquis communautaires bénéfiques.


«... Les services de sécurité suisses sont persuadés que l'adhésion à l'espace Schengen et au SIS est une contribution décisive à la sécurité du pays, et une réponse incontournable aux menaces contemporaines. »


Pourtant, les services de sécurité suisses sont quasi unanimes dans leur soutien à une telle participation. Les organes du renseignement, les forces de police et le corps des gardes-frontière en particulier considèrent l’entrée dans l’espace Schengen comme un élément déterminant pour la lutte contre les menaces pour la sécurité publique et privée. Et comme l’avis tranché des spécialistes se fonde sur des faits avérés, il est nécessaire de prendre en compte ceux-ci pour saisir l’importance du sujet.



SIS : le cœur de Schengen

La principale raison de ce soutien réside dans l’existence du SIS, le Système d’Information Schengen. Il s’agit d’un système de recherche électronique qui relie les postes frontières et les stations de police par un réseau contenant des informations, fournies par les autorités policières et judiciaires de chaque pays membre, qui permettent d’identifier des personnes ou des objets volés. Chaque Etat possède son propre réseau national, qui est relié à une section centrale située à Strasbourg ; celle-ci assure en quelques minutes la mise à disposition des données entrées dans un pays à l’ensemble des membres. A l’heure actuelle, plus de 10'000 indications liées à une recherche sont introduites chaque jour.

La fonction centrale du SIS consiste donc à permettre aux services de sécurité d’une nation de prendre des mesures telles que refoulement, arrestation, mise en garde à vue ou enregistrement discret à l’endroit de personnes ou d’objets recherchés par une autre nation, et ceci suite à un simple contrôle de routine. Les données circulant sur le réseau portent avant tout sur les personnes, les véhicules, les armes, les pièces d’identité et les billets de banque. Le réseau est d’ailleurs complété par des bureaux dits SIRENE (Supplementary Information Request at the National Entry), qui constituent l’interface humaine du système et qui sont en mesure de fournir 24 heures sur 24 des informations complémentaires sur une personne ou un objet donnés.

Avec l’intégration des nouveaux pays membres de l’Union Européenne, il est probable que le SIS comptera à l’horizon 2007 un total de 27 nations rassemblant 450 millions de personnes. Le système devra d’ailleurs subir un développement important, car sa version initiale était conçue pour relier un maximum de 18 réseaux nationaux, et une version améliorée – SIS II – devrait entrer en service dès 2006. Toutefois, aujourd’hui déjà, ce système a prouvé son efficacité en augmentant de manière substantielle le pourcentage d’arrestations quant aux personnes recherchées par un seul Etat – de 4% à 16% par exemple en Allemagne. Il représente ainsi un progrès déterminant pour les services de sécurité européens.

Pour la Suisse, intégrer l’espace Schengen revient ainsi à l’entourer d’un espace de sécurité à l’échelle d’un continent : les personnes et les objets suspects peuvent être contrôlés à Algésiras, Berlin ou Salonique sur la base des mêmes informations-clefs que si la police zurichoise, lausannoise ou tessinoise s’en chargeait à l’aide du réseau helvétique RIPOL. En d’autres termes, les auteurs des crimes commis en Suisse pourront, en cas d’adhésion au SIS, être arrêtés dans toute l’Union Européenne lors de chaque contrôle de routine effectué par les forces de l’ordre. L’efficacité du système est très largement supérieure à la procédure Interpol traditionnelle, d’ailleurs en voie de désuétude pour les pays membres de l’espace Schengen.

Mais le processus fonctionne également dans l’autre sens : les individus recherchés pour des activités illégales ne trouveront plus en Suisse un terrain favorable à la poursuite de ces activités ou à leur propre dissimulation. L’interconnexion des systèmes de recherche policière et judiciaire européens fait en effet de notre pays une zone comparativement moins dangereuse pour les criminels ou les terroristes, et ceci indépendamment des qualités propres à nos services de sécurité. Les révélations issues de l’affaire Achraf ont ainsi montré tout l’intérêt que la Suisse peut avoir comme base logistique pour des cellules terroristes. A une époque où les menaces transnationales deviennent les plus urgentes, les réponses doivent tout naturellement adopter une dimension semblable.

La question des visas souligne la profondeur stratégique que donnerait à la Suisse une adhésion à Schengen. Les personnes frappées d’une interdiction d’entrée sur notre territoire seraient ainsi automatiquement interdits d’entrer dans les autres pays membres ; de même, les individus présentant un danger pour notre pays selon l’évaluation de nos services de sécurité n’auraient pas la possibilité d’obtenir un visa pour entrer dans l’UE, et ainsi plus facilement pénétrer clandestinement sur notre sol. C’est toute la protection de la forteresse Europe, établie contre la criminalité organisée, l’immigration illégale, la contrebande de marchandises et le terrorisme, qui est disponible avec le SIS.



Les oppositions à l’adhésion

Adhérer à Schengen nécessite l’adoption de lois et de standards qui suscitent toutefois plusieurs oppositions, ou du moins des inquiétudes assez répandues. L’une d’entre elles concerne les contrôles douaniers aux frontières. La participation à un espace sécuritaire commun réduit naturellement le besoin de contrôles permanents, à des postes fixes, tels qu’ils sont encore pratiqués aujourd’hui. Pourtant, ce type de contrôle reste encore possible en cas d’adhésion, comme le démontrent régulièrement certains pays européens lors d’événements particuliers. De toute manière, le Corps des garde-frontières pratique de plus en plus les contrôles mobiles, qui sont mieux adaptés à la situation et renforcent davantage la sécurité intérieure.

Une autre inquiétude concerne la protection de la sphère privée. L’existence d’un réseau multinational rassemblant des dizaines de millions de recherches constitue en effet une base de données qui, en fonction de son utilisation, peut entraîner des abus dans ce domaine. Afin de limiter ce risque, le SIS est cependant conçu comme un logiciel binaire : une demande comprenant un nom ou un numéro fournit soit l’indication exacte d’une personne ou d’un objet donné, soit aucune indication du tout ; il est impossible de faire une recherche avec des informations partielles ou d’obtenir une liste d’informations stockées. Cette méthode réduit largement les possibilités d’usage abusif de la base de données.

Cependant, la plus grande opposition en Suisse semble venir des amateurs d’armes, dont les griefs ont été résumés sur notre site dans cet article. L’adhésion à l’espace Schengen suppose en effet l’enregistrement de toutes les armes afin de mieux lutter contre le trafic dont elles peuvent être l’objet. Par rapport à la loi actuelle sur les armes, cette disposition constitue une restriction importante d’un droit individuel qui participe directement à l’esprit de milice et qui existe depuis des siècles. Les innovations contenues dans la révision de la loi lancée par Ruth Metzler et abandonnée après l’élection du nouveau Conseil fédéral étaient d’ailleurs moins restrictives.

L’opposition résolue des défenseurs du droit à posséder des armes, toutefois, n’est pas uniquement fondée sur des faits et des arguments rationnels : elle repose également sur une méfiance prononcée à l’endroit des autorités fédérales. Nous vivons depuis trop longtemps dans un climat politique et médiatique visant à criminaliser préventivement les possesseurs d’armes pour ne pas en ressentir aujourd’hui les conséquences. Si les dirigeants du pays veulent convaincre les citoyens passionnés de tir, des dispositions claires et précises seront nécessaires ; à l’inverse, transformer un droit légitime en privilège incertain sera la meilleure manière d’aviver les résistances. Dans l’optique de la votation de juin prochain, cela pourrait s’avérer funeste.

Les services de sécurité suisses sont en effet persuadés que l’adhésion à l’espace Schengen et au SIS est une contribution décisive à la sécurité du pays, et une réponse incontournable aux menaces contemporaines. Espérons que les polémiques liées à la possession des armes privées, à la protection des données personnelles et à l’avenir de l’UE n’obscurciront pas cet enjeu essentiel.



Lt col EMG Ludovic Monnerat  








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