Attentats à Londres : la guerre contre le fascisme islamique ne fait que continuer

10 juillet 2005

Police londonienneL

es attaques sur la capitale britannique ont replacé la menace terroriste sur le devant de la scène politique et médiatique européenne. Mais cet intérêt ponctuel ne suffit pas à provoquer une prise de conscience du conflit dans lequel elles s’inscrivent.

L’information m’est parvenue par SMS à 1047, jeudi, via le service d’alerte de CNN : « London’s tube network closes down after a number of reported incidents and injuries, causing chaos across the city. » De nos jours, une telle annonce fait inévitablement penser à l’attentat terroriste, surtout compte tenu des lieux visés. La confirmation est arrivée sur mon portable à 1109, par un message venant de l’agence télégraphe suisse, et annonçant au moins une explosion dans le métro londonien. Le plus frappant a été l’absence de surprise, comme si un événement longtemps attendu se produisait finalement. La première revendication au nom d’Al-Qaïda, cette franchise à laquelle tous les groupuscules et réseaux islamistes se rattachent, était presque superflue.


«... Les services de sécurité remplissent leur mission non pas lorsqu'ils préviennent tous les actes terroristes, mais lorsqu'ils réduisent leur nombre et leur ampleur à un niveau à partir duquel leur impact n'est plus décisif. »


Le nombre de victimes s’avère heureusement inférieur aux attentats de Madrid du 11 mars 2004, comme l’ampleur moindre de l’attaque pouvait le laisser espérer. Au moins 50 morts et 700 blessés ont à ce jour été recensés, et les 4 bombes qui ont explosé – dont 3 dans le métro en l’espace de 50 secondes – pourraient avoir tué encore 50 personnes supplémentaires, tant il est difficile à ce jour de récupérer et d’identifier les victimes. Une fois de plus, l’acte terroriste a révélé toute son horreur en frappant des moyens de transport bondés de travailleurs anonymes, et donc en essayant de tuer, de mutiler et de blesser le plus grand nombre possible de personnes. La décrue constatée depuis le 11 septembre n’enlève rien à la barbarie de ces attaques.



Une guerre à mener

Le constat qui s’impose reste cependant celui d’un échec stratégique. Passé le premier choc, les Britanniques ont affiché leur flegme traditionnel et leur détermination à résister ; le premier sondage après les attentats a d’ailleurs montré une augmentation de leur soutien pour le Premier ministre Tony Blair et pour sa politique, notamment en Irak et en Afghanistan. De plus, l’explosion des bombes le même jour que l’ouverture du sommet du G8 en Ecosse a nécessairement amené les dirigeants présents à se rapprocher sur le thème de la lutte antiterroriste. Il faut donc interpréter ces attaques comme étant l’expression de la capacité actuelle de la mouvance islamiste et la réponse au besoin impérieux d’exister sur le plan médiatique, de prouver aux suivants potentiels que la lutte mène à la victoire.

Car la guerre continue bel et bien. Elle se déroule sur la planète entière le long de différentes lignes d’action, elle prend différentes formes et dans des lieux très éloignés les uns des autres, mais elle continue. Seuls ceux qui ignorent ce conflit irrémédiable entre les démocraties libérales et le fascisme islamique peuvent avoir été surpris par les attaques commises à Londres, une ville connue comme l’une des principales cibles depuis des années. Malgré cela, le terrorisme reste une méthode de guerre qui ne peut être efficace qu’en cas d’usage ciblé, constant et visant des objectifs limités ; frapper aveuglément et ponctuellement en cherchant à défaire une société entière ne ressemble pas à une stratégie gagnante. Et c’est justement cet échec qui peut masquer le danger permanent que font néanmoins peser les cellules islamistes et les officines qui les dirigent.

Depuis le 11 septembre, les services de sécurité britanniques ont déjoué nombre de complots et arrêté plus de 600 terroristes potentiels, tout en annonçant à réitérées reprises le caractère inéluctable d’une attaque sur leur sol – une manière efficace de préparer les esprits. A priori, les attentats de jeudi ont nécessité des mois de préparation, non qu’ils aient été particulièrement complexes à planifier, à entraîner et à exécuter, mais que le faire sans attirer l’attention des services de sécurité a imposé un maintien du secret particulièrement serré, et donc un ralentissement des actes préparatoires. Un réseau terroriste islamiste cherchant à commettre un attentat en Europe est comme un sous-marin cherchant à couler un convoi marchand au milieu d’une flotte aéronavale : l’imprudence est la pire faiblesse, la patience son meilleur atout.

Mais le temps qui s’écoule entre deux attaques fait beaucoup pour affaiblir à terme leur effet. On ne peut terroriser une population, et donc influencer ses dirigeants politiques, sans faire constamment planer sur elle la menace de meurtres, d’explosions ou de massacres. En d’autres termes, les services de sécurité remplissent leur mission non pas lorsqu’ils préviennent tous les actes terroristes, ce qui est impossible, mais lorsqu’ils réduisent leur nombre et leur ampleur à un niveau à partir duquel leur impact n’est plus décisif. C’est pourquoi la lutte contre le terrorisme a une finalité militaire, et non judiciaire : il ne s’agit pas d’arrêter et de mettre hors d’état de nuire tous les coupables, mais bien de leur infliger des pertes telles que la survie devient leur priorité. Démanteler un réseau a toujours pour effet de rendre plus prudents, plus patients, et donc moins actifs, ceux qui subsistent.

Cette perspective reste cependant étrangère à la plupart des nations européennes. La menace terroriste est par exemple jugée inexistante en Suisse, au moins sur un mode direct, parce que le pays constitue en quelque sorte une base arrière des réseaux islamistes – sans que cela ne scandalise grand monde. Mais croire que la mouvance islamiste établit une différence entre les diverses nations du monde occidental revient à projeter sur un belligérant fanatisé des considérations qui échappent à son idéologie. Les islamistes attaquent l'Occident pour ce qu'il est et non pour ce qu'il fait, pour ce qu'il pense et non pour ce qu'il dit, pour ce qu'il croit et non pour ce qu'il prêche. Il n'existe aucune voie médiane entre la soumission et le combat, aucun compromis entre la démocratie libérale et l'intégrisme religieux. Pour les Suisses comme pour les autres.

D’ailleurs, le choix de la cible n’est pas uniquement lié aux symboles qu’elle porte. Penser que Londres a été frappée seulement parce qu’elle est la capitale du principal allié des Etats-Unis n’est que partiellement exact : l’acte terroriste, c’est-à-dire l’attaque délibérée, meurtrière et clandestine de non combattants, est en lui-même un symbole susceptible de se superposer à d’autres pour les magnifier et les altérer, ou d’avoir en soi suffisamment de poids pour obtenir l’effet psychologique attendu. N’importe quelle ville, n’importe quel pays peut être frappé par un attentat : la mise en réseau de la planète à travers l’infosphère, et les médias qui en constituent la superstructure, réduisent l’importance de la localisation géographique. Toucher les cœurs, les âmes et les esprits passe par l’agression, le massacre ou l’amputation des corps, quels qu’ils soient, où qu’ils soient.

Les attentats terroristes produisent immanquablement des images tragiques et traumatisantes, focalisent nécessairement l’attention sur des individus blessés et ensanglantés qui, par leur anonymat et leur normalité, sont promus au rang de symboles collectifs. Le spectacle offert bien malgré elles par les victimes du terrorisme produit ce mélange de révolte et de compassion, de colère et de crainte, de détermination et d’abattement qui submerge les sociétés touchées. Il est vain de vouloir passer ces symboles sous silence, de regretter l’attrait parfois morbide et charognard des médias pour ces événements qui sans eux n’existeraient pas sous cette forme. On ne combat pas des symboles par la censure ou les œillères, mais par d’autres symboles, par des actes dont le sens explicite permet à chacun d’être acteur et non plus spectateur, d’agir au lieu de subir, d’être autre chose qu’une victime potentielle.

Les différentes formes de liberté constituent les fondements de tels symboles, mais la plus importante reste celle de voter. En conférant à chaque citoyen un pouvoir théoriquement égal aux autres, et à la majorité d’entre eux le pouvoir d’influer sur l’essentiel de la vie publique et politique, la démocratie est ainsi l’arme ultime contre le fanatisme religieux ou idéologique. C’est pourquoi la pire erreur que pourraient commettre les Gouvernements occidentaux consisterait à renforcer la sécurité intérieure à un point tel que les libertés individuelles seraient menacées, et donc que la lutte contre le terrorisme devienne davantage nuisible que le terrorisme lui-même. Les mesures de protection ne suffisent jamais à gagner une guerre : celle-ci doit être portée sur le sol de l’ennemi. Et comme la conquête des esprits est le mode opératoire privilégié de notre époque, c’est bien en menant une guerre des idées, en combattant sans relâche les idéologies extrémistes et intégristes que l’on peut espérer au fil du temps procéder à leur euthanasie stratégique.

J’espère simplement que mes concitoyens comprendront davantage cette semaine que nous sommes totalement impliqués dans ce conflit, que nous en sommes belligérants au même titre que les tous les Etats de droit.



Lt col EMG Ludovic Monnerat  










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