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Le grand jeu de l'Inter-Services Intelligence, le service de renseignements pakistanais (3)

14 mars 2004

Culture de l'opium en AfghanistanL

orsqu'il est question de l'Afghanistan, il est immanquablement évoqué l'implication du Pakistan, notamment dans la mise en place du régime des Taliban, et l'un des acteurs majeurs de ce nouveau « grand jeu » en Asie Centrale est l'ISI, les services secrets du Pakistan - l'Inter-Services Intelligence. Troisième et dernière partie.

Avec la guerre continuelle sur le sol afghan, de nombreuses personnes ont traversé la frontière pakistanaise et ont grandi dans des camps de réfugiés en un premier temps autour de la ville de Peshawar (la ville la plus proche de la fameuse Passe de Khyber). Peshawar, à titre d’exemple, dès le milieu des années quatre-vingt, est devenue le centre des organisations de Jihad internationale, nous rappelle le Docteur Subhash Kapilla de l’IPCS.

Le premier bureau fut ouvert par le Docteur Ayman-al-Zawahiri en 1984 ; ce dernier étant devenu depuis l’assistant privilégié d’Oussama Ben Laden. Certains de ces réfugiés – les futurs Taliban – ont fréquenté les écoles religieuses (les madrasas) le long de la frontière ; ils ont développé d’excellentes relations et contacts avec toutes sortes de gens, et ils ont pu ainsi pénétrer dans les différents réseaux : des madrasas, du parti déoband (i.e. d’influence wahhabite, saoudienne), le JUI – le parti Jamiat-ul Ulama-i Islam –, du transport et de la contrebande.


«... Les services secrets occidentaux se disent d'ailleurs persuadés qu'une partie de l'équipement de l'armée pakistanaise est payée par des caisses noires alimentées par l'argent de l'héroïne. »


Ceci leur a donné un très gros avantage au départ parce qu'ils ont pu convaincre le gouvernement de Benazir Bhutto de leur apporter son soutien. Mais madame Bhutto avait ses propres raisons pour soutenir les Taliban : une société à laquelle son mari - Asif Zardari - était lié avait un contrat exclusif pour l'importation de coton turkmène à destination de l'industrie textile pakistanaise, et les Taliban étaient en mesure de protéger les convois de coton des attaques de moudjahidin.



Le soutien aux Taliban

Les liens entre le Pakistan et l’Afghanistan apparaissent à ce moment sous trois angles : idéologique (fondamentalisme sunnite conservateur), stratégique (protectorat sur l’Afghanistan) et ethnique (les principales madrasas qui recrutent des volontaires sont en zones pakistanaises). Pour autant il serait hasardeux d’affirmer, nous dit Stéphane Allix, qu’Islamabad a créé le mouvement Taliban ; il est néanmoins évident, poursuit-il, que « certaines personnalités influentes » s’y sont très vite intéressées. Il n’y aurait donc pas vraiment planification ni contrôle effectif et concret des Taliban par l’ISI, mais il y a des « liens » ; par exemple, « le Général Hamid Gul, ancien chef de l’ISI pendant les années 80, est maintenant le chef de file des réseaux islamistes au Pakistan », nous dit Olivier Roy dans une interview à la radio afghane Azadi en novembre 2000.

Les Taliban sont un phénomène de grande ampleur qui dépasse largement une manipulation des services secrets pakistanais (ISI). Pour la première fois, peut-être, les Pakistanais ont joué la bonne carte et se sont trouvés en phase avec un mouvement authentiquement populaire, précise Gilles Dorronsoro. Si l’ISI a coordonné l’aide militaire internationale à la résistance afghane en un premier temps, puis apporté son soutien personnel aux Taliban dans un second, elle l’a toujours fait à l’aune de ses intérêts propres et de ceux du Pakistan ; l’ISI, on le voit bien, comme tout bon service secret, suscite plus qu’elle ne crée directement, soutient plus qu’elle ne défend en première ligne, bref fait son travail en suivant des méthodes éprouvées.

Avec la guerre du Golfe, il y eut un glissement observable des islamistes révolutionnaires vers un néo-fondamentalisme conservateur ; l’ISI, et donc le Pakistan, développa ouvertement sa « carte Taliban ». En 1995, on trouvait un officier des services pakistanais, le colonel Imad, conseiller des Taliban. Ahmed Rashid signale que vers le milieu de cette même année 95, des officiers de l’ISI avaient aidé les Taliban à mettre sur pied une nouvelle structure de commandement pour leurs forces armées.

Une autre preuve tangible de la forte présence des services pakistanais en Afghanistan fut donnée par la protestation officielle pakistanaise lors du bombardement américain par missiles de croisière contre les camps dirigés par Ben Laden en août 1998, bombardement qui tua cinq officiers de l’ISI. Toujours en 1998, pendant l’été, après un fort soutien logistique pakistanais aux Taliban (quatre cent pick-ups neufs sur lesquels sont mis en affût canons sans recul et mitrailleuses), des officiers de l’ISI se rendaient fréquemment à Kandahar pour aider à la préparation d’une offensive contre les forces du commandant Massoud ; ce dernier fut d’ailleurs surpris par la fulgurance de l’attaque. Jane’s Defense Weekly confirme à cet égard que « la moitié des hommes et de l’équipement des Taliban provient de l’ISI ».

Aujourd’hui encore, des membres de l’ISI stationnent sur le sol afghan. Il est ainsi rapporté que le premier bataillon du SSG (le Special Service Group dont le QG est situé à Cherat au Pakistan) a ses quartiers dans la ville de Nangarhar, dans l’immeuble appartenant à l’artillerie afghane, précisément là où se trouvait ultérieurement la 110ème Division.

Ce qu’il faut néanmoins reconnaître, c’est que depuis le coup d’état du Général Musharraf de 1999, le Pakistan pratique un certain attentisme vis à vis de l’Afghanistan, tout en continuant de soutenir les Taliban. Cette évolution peut s’expliquer par les pressions exercées par la communauté internationale, notamment par les Etats-Unis, et par la crainte que le conflit afghan ne gagne le Pakistan. Ainsi, après octobre 1999, le Pakistan, s’il continuait à envoyer des munitions en Afghanistan, retirait dans le même temps un certains nombres d’officiers de l’ISI, conseillers militaires des Taliban.

Et si Islamabad continue néanmoins à cette époque de soutenir les Taliban, c’est parce que le Pakistan craint qu’une éventuelle défaite des « chercheurs en théologie » n’ait des répercussions négatives pour sa sécurité interne. Le gouvernement pakistanais veut éviter l’éclatement de l’Afghanistan, ce qui risquerait de raviver les exigences en vue de la création d’un Etat pachtoune (le Pachtounistan) lequel inclurait une bande substantielle du territoire pakistanais.

On le voit, la politique de l’ISI change peu à peu, utilisant les forces gagnantes ou montantes du moment afin de poursuivre dans les meilleures conditions son « grand jeu » ; par ailleurs, l’Afghanistan est l’un des terrains d’affrontement des forces politiques du Pakistan. Il se pourrait donc que bientôt, l’ISI trouve un autre allié en Afghanistan, et « lâche » donc les Taliban et le Mollah Mohammad Omar Akhounzada.



La drogue au service d’une politique

Toute guerre pose inévitablement la question de son financement, surtout si elle dure ; et cette réalité peut mener certains Etats et services secrets à s’écarter d’une « conduite morale », et ainsi entamer une realpolitik où la drogue devient une arme privilégiée puisque incomparablement efficace. Aucun produit au monde n’apportant une plus-value importante comme la drogue (ici l’héroïne), il est ainsi aisé de voir des organisations se commettre dans cette voie, certaines mêmes allant jusqu’à légitimer a posteriori cette activité en avançant des motifs soit idéologiques, religieux, stratégiques, économiques ou géopolitiques.

Lieu d’application par excellence de la géopolitique des drogues, nous dit le rapport 1997 de l’Observatoire Géopolitique des Drogues, l’Afghanistan a vu sa production d’opium passer de 200 à 300 tonnes par an en 1979 – date de l’invasion soviétique – à dix fois plus à la fin des années 90. Cette augmentation de la production est due moins au fait de nécessités économiques des moudjahidin que de l’absence d’un Etat capable de contrôler le territoire. L’ISI, poursuit le rapport, a trouvé là « un moyen d’alimenter des caisses noires lui servant à financer des opérations de déstabilisation de l’Inde à travers les rébellions sikhs du Pendjab et musulmanes du Jammu-Cachemire ».

Au printemps 1994, l’UNDCP fait effectuer la première enquête de terrain exhaustive dans toute les provinces suspectes pour évaluer la production, d’où il ressort que les cultures de pavot s’étendent sur 80 000 hectares, permettant de récolter 3200 à 3300 tonnes d’opium. Cette production place le pays devant la Birmanie, qui produit quant à elle entre 2600 et 2800 tonnes d’opium en 1993-1994. Cette nouvelle estimation permet de rappeler que jusqu’en 1993, les seules statistiques concernant le volume des productions d’opium émanaient du département d’Etat américain avec des chiffres bien inférieurs (690 tonnes par an) ; c’est pourquoi, « une délégation des Etats-Unis à Vienne, conduite par des agents de la CIA, s’opposait à la publication des chiffres produits par l’UNDCP ».

Mais aujourd’hui, les chiffres de l’UNDCP sont reconnus par les Etats-Unis. Par ailleurs, la nomination de Wendy Chamberlin comme ambassadrice des Etats-Unis au Pakistan ne fut pas fortuite. Cette femme a été par le passé agent de la CIA au Laos, et expert reconnu en narco-terrorisme. Elle aurait été nommée, selon B. Raman, pour « coordonner les efforts en vue de surveiller les activités de Ben Laden, des Taliban et des divers groupes narco-terroristes opérant à partir de la région ». Mais surveiller n’est pas punir, ni éradiquer ; surveiller, c’est avant tout… contrôler.

Chronologiquement, c’est avec le déclenchement de la guerre contre les Soviétiques que s’est mis en place à partir de 1980 – sous le règne du général Zia – l’ « industrie de la drogue ». Et ce qui aurait incité les Américains à soutenir et protéger cette production « comme arme de guerre », ce serait une intervention d’Alexandre de Marenches à la fin de l’année 1980 auprès de Bill Casey, directeur de la CIA de l’époque. Le comte de Marenches aurait suggéré à son homologue américain qu’il serait judicieux pour les services occidentaux d’aider les moudjahidin à produire l’héroïne afin d’intoxiquer les soldats de l’Armée Rouge. Bill Casey aurait très apprécié cette idée, et aurait conduit le chef du SDECE auprès de Ronald Reagan ; ce dernier, enthousiasmé, aurait donné son aval. Cependant, des réticences émanant de certaines sections de la CIA auraient fait abandonner le projet.

Néanmoins, la production s’est d’autant plus développée qu’à partir de janvier 1992 (mais annoncé à l’automne 1991), les Etats-Unis comme la Russie se sont engagées à ne plus financer –directement, cela va sans dire – leurs anciens protégés. L’opium est ainsi devenu un véritable nerf de la guerre pour un certains nombre de chefs de guerre afghans privés de l’appui de leurs puissants protecteurs. Mais le Pakistan, avec des dépenses militaires qui représentent 40% du budget national, a trouvé lui aussi, par la drogue, le moyen idéal pour financer ses activités. Les services secrets occidentaux se disent d’ailleurs persuadés qu’une partie de l’équipement de l’armée pakistanaise est payée par des caisses noires alimentées par l’argent de l’héroïne.

L’ISI a donc profité de la situation de guerre civile en Afghanistan pour prendre en main le trafic d’héroïne ; le Pakistan étant un pays représentant une identité islamique, « il était de son devoir de faire prédominer l’Islam dans la région, peu importe les moyens utilisés ». Ces trafics ont commencé avec l’implication des militaires de l’ISI ayant « des liens familiaux avec des grands barons de l’héroïne des zones tribales et du Pendjab ». Dans les années 80, le brigadier-général Imtiaz, qui travaillait sous les ordres du DG-ISI de l'époque, le lieutenant-général Hamid Gul, aurait dirigé une cellule afin d’utiliser l’héroïne pour les actions clandestines, avec l’aval de la CIA. C’est ainsi que les camions scellés qui emportaient des armes dans les régions libérées revenaient chargés d’opium ; cet opium était ensuite livré aux laboratoires des zones tribales (sur le territoire pakistanais).

Des centaines de laboratoires ont été mis sur pied à la frontière pakistano-afghane dans le Balouchistan (provinces du Nimruz, du Helmand et de Kandahar) par des leaders afghans et des groupes d’affaires locaux, sous la protection de l’ISI. Une grande partie de ce trafic avait pour but « l’enrichissement personnel de certains militaires et constituait une prise en main par l’Etat pakistanais des ressources fournies par la drogue ». Même la CIA, dans un rapport secret de 1993 sur le trafic de drogue au Pakistan (des extraits de ce rapport sont parus dans un quotidien pakistanais The Frontier Post), relatait comment l’ISI était profondément impliquée, tout comme le gouvernement, avec les narco-mafia.

Pour prouver s’il le fallait les liens existants entre les services d’Islamabad et les barons de la drogue pakistanais, citons Haji Sahib, un des plus gros investisseurs sur le marché des changes, mais aussi « un des principaux blanchisseurs d’argent provenant du trafic de drogue et du trafic d’armes pour le compte de l’ISI ». Mais la drogue se retrouve à tous les niveaux de la société pakistanaise, comme dans le financement des partis politiques ; citons le Islami Jamhouri Ittihad (IJI), opposé à Benazir Bhutto lors des élections de 1993-1994 et qui a été soupçonné d’avoir reçu des fonds issu du trafic de drogue par l’ISI.

La CIA contrôlait néanmoins indirectement le commerce de l’héroïne, malgré la réticence supposée du début des années 80. En 1995, le directeur des opérations de la CIA en Afghanistan, Charles Cogan, avait admis que la CIA avait sacrifié la guerre contre la drogue pour se consacrer à la Guerre froide. « Notre mission principale était d’infliger le plus de dommage possible aux Soviétiques. Nous n’avions pas vraiment les ressources et le temps requis pour enquêter sur le commerce de la drogue. […] Je ne crois pas que nous ayons à nous excuser de cela. Toute situation à ses inconvénients. […] Il y a eu un inconvénient au niveau du narco-trafic, oui. Mais l’objectif principal a été atteint. Les Soviétiques ont quitté l’Afghanistan ». Par ailleurs, il a pu être établi que les missiles sol-air Stinger, qui ont fait perdre en 1987 aux Soviétiques et aux gouvernementaux afghans la maîtrise du ciel, avaient été livrés en priorité dans les zones où se trouvaient les plus importantes productions de pavot.

Reconnaissant les « bons et loyaux services » du général Musharraf pendant la guerre d’Afghanistan, la CIA se voit pourtant contredite par le Bureau de contrôle des narcotiques américains qui émet des réserves sur Musharraf, à propos des relations que ce dernier aurait avec les trafiquants, notamment avec ceux présents dans la province pakistanaise du Nord-Ouest et les zones tribales (Provincially Administrated Tribal Areas et Federally Administrated Tribal Areas). Dans ces provinces, l’apport économique issu du trafic de drogue provoqua un véritable boom économique dont les bénéficiaires n’étaient autres que les narco-barons, pour la plupart de familles pachtounes.

La lecture des différents rapports de l’OGD, des sources provenant des services secrets occidentaux permettent de considérer, nous dit Saïma Ashraf, comme fort probable l’implication du général Zia, de manière directe ou indirecte dans le trafic de stupéfiants au Pakistan. Il ajoute même que deux anciens chefs des services anti-drogue pakistanais déclarent être convaincus de « la part active de Zia dans la mise en place des réseaux du trafic d’héroïne ». Alain Labrousse, spécialiste français du trafic de drogue, en arrive lui aussi aux mêmes conclusions.

Cette drogue présente en grande quantité sur le sol pakistanais a fait augmenter considérablement le nombre de toxicomanes dans ce pays, mais l’essentiel du produit est destiné à l’extérieur. Ainsi, chaque année, rapporte Interpol, 100 tonnes d’héroïne, après avoir traversé le Pakistan du Nord au Sud, sont acheminées en Europe par les voies maritimes, aériennes et surtout empruntent les routes des Balkans via l’Iran et la Turquie.

La drogue entre dans une logique géopolitique mais aussi religieuse, eschatologique ; les Taliban, qui contrôlent 97% des zones de production d’héroïne, ont mis sur pied un discours simpliste, à usage interne, pour justifier leur attitude vis-à-vis de la drogue : tout d’abord rien n’interdit dans le Coran la production d’opium, et enfin, les clients de ces psychotropes sont d’abord et avant tout des infidèles. Le pays des Taliban, ces laudateurs du rigorisme, fournissait 80% de l’héroïne qui s’écoule dans les rues d’Europe, et l’ISI n’y est pas pour rien.

Certes, Kaboul s’est engagée très tôt à enrayer le trafic de haschich, et force est de constater que l’action engagée fut efficace dans ce domaine ; mais la production d’opium quant à elle ne fut jamais touchée, mis à part des opérations factices à destination des médias occidentaux. Les Taliban touchaient de l’argent sur les productions d’opium, et ne rechignaient pas devant un apport constant et important d’argent généré par la zakat (taxe religieuse traditionnelle de 10%, normalement reversées aux pauvres). Au prix de vente de l’opium fermier, environ 60 dollars le kilogramme, cela représente pour les 500 tonnes des seules régions du Sud neuf millions de dollars qui entraient dans les caisses des Taliban.

Si les Américains ont commencé en 1997 à changer d’attitude et à réorienter leur politique vis-à-vis de l’Afghanistan, c’est tout d’abord à cause du traitement que les Taliban et leurs milices infligent aux femmes. Néanmoins, c’est en 1998-1999 que ce renversement d’attitude s’est vraiment accentué. A cela, quatre facteurs essentiels : le soutien de Kaboul à Oussama Ben laden, la suspension en décembre 1998 par la société Unocal de ses activités dans le cadre du projet de pipeline transafghan, une hausse vertigineuse de la production de stupéfiants en Afghanistan, et un léger réchauffement des relations entre les Etats-Unis et l’Iran.

Malheureusement, la production d’opium à grande échelle étant lancée, les réseaux développés, les circuits de blanchiment organisés, rien ne semble pouvoir mettre fin à cette culture de mort dans la région, surtout quand des services secrets importants, telle l’ISI, en sont un des acteurs principaux.



Conclusion

Si l’on peut concevoir qu’un service secret utilise des voies dépassant le cadre de la loi, rien ne peut justifier la politique d’apprenti sorcier pratiquée par certains d’entre eux. S’engager dans une action secrète demande à ce que l’on tienne la chose entièrement, à ce que l’on maîtrise totalement la situation, en aval surtout. A jouer les voyous, à fréquenter cette engeance, à agir comme tel, vient un moment où l’on ne distingue plus qui est qui. Au nom de quoi, un service secret peut-il justifier de son rôle actif conjointement dans le terrorisme international, l’assassinat politique, le trafic de drogue ? Comment accepter de telles pratiques ? Une fin juste justifie des moyens justes, et certes peut-être pas « moraux » si l’on n’est pas naïf, mais en tout état de cause, la fin doit être juste, justifiable, morale.

L’ISI est aujourd’hui un service tentaculaire, omnipotent, non contrôlé, à contrario des services spéciaux de certains pays européens. Ce service bénéficie par ailleurs de la complaisance de puissances étrangères, de l’impunité la plus totale, et ce malgré les rapports, témoignages et autres informations sur ses méfaits. Il devient urgent tant pour le bénéfice des pays qui pourraient un jour être amenés à en pâtir (à la façon d’un 11 septembre) que pour le Pakistan lui-même – en tout cas des forces morales de ce pays, car elles existent encore – de revoir et repenser ce que peut être un service secret, ce que peuvent être ses méthodes, ses prérogatives, son champ d’action, sa structure et surtout sa doctrine.

Un chef afghan du XIXème siècle, Emir Abdur Rahman, décrivait son pays – à l’époque, enjeu de la Russie et de la Grande-Bretagne – comme une chèvre entre deux lions ; espérons que la chèvre actuelle trouve un berger afghan, et que les lions d’aujourd’hui (Pakistan, Iran, Etats-Unis, etc.) soient plus éduqués et respectueux du Droit international. Le Pakistan qui semble voué à tenir à court terme le rôle qui fut celui de l’Iran mais cette fois dans le monde sunnite – courant le plus important du monde musulman – ne présage pas un avenir serein, et pas uniquement pour la région de l’Asie du Sud. C’est pourquoi il est fort à parier que lorsque les idées salafistes seront officiellement au pouvoir à Islamabad et qu’elles agiront en conséquence, une nouvelle recomposition des alliances s’opèrera de par le monde, l’Inde, l’Iran comme la Chine devenant alors vraisemblablement les nouveaux alliés courtisés des nations occidentales.



Philippe Raggi, membre de l'Académie Internationale de Géopolitique et du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)  




Paru dans Guerre secrète contre Al Qaeda, sous la direction d'Eric Dénécé (Ed. Ellipses), et dans Renseignement & Opérations Spéciales n°9 (Ed. de L'Harmattan).






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