L'essentiel de l'actualité militaire


Exposé guerre moderne







L'essentiel des liens militaires


Documents militaires


Toutes les dates des ER


Cliquez ici pour soutenir CheckPoint!


Toutes les unités actuellement en action


Le Swiss Army Theme pour Windows 95


Webring Armée suisse

Contrairement aux litanies des médias, la stabilisation et la démocratisation de l'Irak sont en bonne voie

10 août 2003

Convoi US en IrakL

es médias européens affirment que la coalition s'enfonce dans le bourbier irakien. Mais les informations disponibles montrent au contraire que la stabilisation de l'Irak est en marche, et que les Américains sont en train de concrétiser leur vision stratégique. Analyse.

Le consensus absolu génère toujours une suspicion, et la couverture médiatique de l'Irak n'y fait pas exception. L'énumération sans fin des attaques, des griefs et des frictions semble aujourd'hui suffire à informer le public sur la situation dans le pays. Même si les bonnes nouvelles ne sont pas vendeuses, est-il cependant raisonnable de systématiquement les écarter ?


«... Les Américains ont sans cesse plus d'hommes, plus de moyens et plus de renseignements pour atteindre leurs objectifs, alors que leurs ennemis peinent à renouveler leurs ressources. »


C'est que l'Irak d'aujourd'hui, 4 mois après la prise de Bagdad, ne ressemble pas au bourbier qui nous est décrit quotidiennement. Les reportages et les dépêches de toute la presse occidentale non seulement décrivent une réalité bien plus nuancée, mais permettent également d'acquérir une vue d'ensemble montrant clairement que la coalition est sur la bonne voie.



Un conflit de basse intensité

L'Irak est actuellement la seule zone de conflit où les pertes militaires sont annoncées chaque jour par les médias, avec l'identification exacte des victimes et la comparaison - dénuée de sens autre que politique - par rapport à la première Guerre du Golfe. Ainsi, ce sont 258 soldats américains qui sont morts depuis le déclenchement de l'opération «Iraqi Freedom», dont 119 depuis l'annonce de la fin des actions de combat majeures le 1er mai dernier, auxquels ils faut encore ajouter 43 Britanniques. Au total, les attaques menées depuis cette date ont coûté la vie à 57 militaires américains.

Cependant, l'étude de ces pertes montre qu'au moins 87% d'entre elles sont survenues dans le «triangle sunnite», un secteur délimité par Bagdad, Ramadi et Tikrit qui ne représente que 2 à 3% du territoire de l'Irak et moins de 30% de sa population. De plus, ces pertes sont globalement constantes depuis la fin du mois de mai, à l'exception d'un pic dans la dernière semaine de juillet, comme le montre le tableau en bas de cette page. Enfin, la moitié des soldats tués appartenaient à des unités d'appui ou de commandement, et non aux troupes de mêlée qui sont pourtant les plus exposées. Les Américains sont donc confrontés à un conflit de basse intensité localisé, face à des ennemis agissant de manière délibérée, et au sein d'un pays en phase de stabilisation.

Le nombre d'attaques est une bonne indication de cette réalité. A la fin du mois de juin, il a atteint son sommet avec une moyenne de 25 attaques quotidiennes à l'arme à feu et à l'explosif, et un total de 40 incidents graves, mais ces chiffres sont aujourd'hui redescendus à respectivement 12 et 30. La réduction des attaques, conjuguées au niveau constant des pertes, montre qu'un nombre réduit de combattants perfectionne ses tactiques et augmente son efficacité. Mais des chiffres aussi bas, pour un pays de 24 millions d'habitants et face à une force de 160'000 hommes, indiquent surtout l'absence de toute résistance populaire. Pour mémoire, entre 1946 et 1947, les Juifs ont mené 578 attaques par jour en Palestine sur les troupes britanniques !

Le Central Command estime que le nombre de combattants ennemis oscille entre 4000 et 5000, et provient dans sa grande majorité de l'appareil répressif de Saddam Hussein et du parti Ba'as - bien que plusieurs centaines de djihadistes étrangers participent également à leurs activités. Les innombrables dépôts d'armes et les réserves d'argent permettent aux cadres intermédiaires de l'ancien régime d'organiser et de financer des attaques, mais les prix pour ce faire ont augmenté : de 250 $ pour une tentative et 1000 $ pour chaque succès, ils sont passés à respectivement 1000 et 5000 $. Une somme pour le moins coquette, dans un pays où un médecin gagnait jusqu'ici 350 $ par an, et qui traduit la difficulté de l'entreprise.

Les tactiques utilisées pour ces attaques ont rapidement évolué, puisque les premières tentatives comprenaient notamment des face-à-face assez désespérés avec des chars de combat Abrams. Les fusils d'assaut de type AK et les lance-roquettes antichars RPG, disponibles en énormes quantités, ont été tout d'abord utilisés par des groupes allant de 4 à 50 hommes, habiles à se fondre dans la foule ou à circuler à bord de véhicules banalisés. Mais depuis la fin du mois de juin, les explosifs déclenchés à distance constituent une forme d'attaque très prisée, puisqu'elle réduit les risques tout en infligeant désormais près d'un quart des décès américains. Une méthode d'ailleurs utilisée très fréquemment en Tchétchénie.

Malgré cela, les fidèles de Saddam et les djihadistes arabes ne sont pas parvenus à infliger des pertes substantielles, alors même que leurs rangs ne cessent de s'éclaircir. Le bilan de la 4e division d'infanterie (DI), depuis le 1er mai, est ainsi sans appel : pour 4 soldats tués, ses formations ont éliminé entre 100 et 200 combattants ennemis. De plus, les raids incessants que ceux-ci subissent multiplient les prisonniers, alors que le nombre de patrouilles et de contrôles limite leurs mouvements et réduit la coordination entre leurs différents groupes. Les apparitions rituelles de combattants masqués sur la télévision Al Arabiya et le ciblage de plus en plus fréquent de civils irakiens ne sont que l'expression d'une situation désespérée.



La chasse aux renseignements

En effet, et contrairement à certains clichés complaisamment recyclés, les Américains ne passent pas leur temps à se calfeutrer dans des bunkers. Les soldats coalisés effectuent en moyenne 2000 patrouilles par tranche de 24 heures, dont environ le dixième en commun avec la police irakienne, ainsi qu'environ 30 raids. De plus, une quantité importante d'entre eux remplissent des missions de garde, et les autres circulent le plus souvent avec des véhicules légèrement blindés de type Humvee, afin d'être plus discrets et moins inaccessibles. De la sorte, on peut raisonnablement estimer qu'entre 20'000 et 25'000 militaires américains constituent chaque jour autant de cibles faciles, statiques ou peu protégées.

Afin de limiter leurs pertes, les formations US appliquent dès lors des tactiques agressives et risquées. L'une des plus originales consiste à utiliser des véhicules lourdement blindés circulant de nuit en guise d'appât, sur les axes majeurs reliant les principales villes du «triangle sunnite», et d'engager des véhicules plus légers et des hélicoptères tenus en retrait dès que les assaillants ont ouvert le feu - et que leurs coups ont rebondi sur le blindage de l'appât. Des équipes de «chasseurs-tueurs» ont également été formées, avec des éléments mobiles circulant en-dehors des axes principaux de manière impromptue, et des règles d'engagement autorisant une ouverture du feu dès qu'ils repèrent des individus armés.

Cependant, l'effort principal reste l'acquisition des renseignements. Des primes sont offertes aux Irakiens transmettant des informations, à raison de 250 $ pour une arrestation et 100 $ pour une cache d'armes par exemple dans le secteur de la 4e DI. Mais le groupe de forces interarmées et multinational 7 (Combined Joint Task Force 7, CJTF-7), qui assure le commandement de toutes les troupes coalisées, peut verser jusqu'à 2500 $ pour un renseignement permettant l'arrestation d'individus dangereux et jusqu'à 10'000 $ lorsqu'un sabotage peut être prévenu. Même si la prime de 25 millions de dollars offerte pour Saddam Hussein se situe dans une autre échelle, ces sommes n'en restent pas moins attirantes.

De fait, la quantité des renseignements fournis par la population locale ne cesse d'augmenter - parfois via la police irakienne. La mort des deux fils aînés de Saddam Hussein, le 21 juillet, a d'ailleurs brusquement augmenté le flux d'informations. L'engagement massif d'opérateurs de forces spéciales - il y en aurait 2400 en Irak - et de spécialistes des affaires civiles, pour la plupart arabisants, de même que les efforts de reconstruction et de stabilisation, ont également nettement contribué à multiplier les contacts et les sources. Une bonne part des renseignements sont certes inexacts, et les GI's ont depuis longtemps surnommé «Elvis» l'ancien dictateur, mais le reste est utilisable.

Ces informations ont entraîné une mutation radicale. A partir de la mi-juin, les formations US se sont mises à mener des opérations de ratissage pouvant impliquer un bataillon de mêlée, voire une brigade entière, avec un appui de drones, d'hélicoptères de combat et d'éléments spécialisés directement subordonnés à la CJTF-7. Elles ont également réorienté leurs efforts principaux en traquant les cadres intermédiaires en lieu et place de hauts dirigeants pour la plupart déconnectés des activités insurrectionnelles. En d'autres termes, les militaires américains se sont efforcés de conserver l'initiative face aux adaptations constantes de leurs adversaires.

Une telle souplesse d'esprit a sans aucun doute porté ses fruits. Au-delà des principaux dignitaires de l'ancien régime, dont 37 sur 55 sont prisonniers ou morts, la coalition a capturé ainsi plus de 5000 activistes du parti Ba'as et criminels, dont au moins 200 djihadistes étrangers ; dans la seule ville de Tikrit, ce sont ainsi 1859 personnes qui ont été interpellées. De plus, les quantités d'armes saisies sont à proprement parler gigantesques - plus de 227'000 Kalachnikovs, des milliers de lance-roquettes, ou encore des milliers de tonnes en obus d'artillerie depuis le mois d'avril. Les effets ont été rapides : le nombre d'attaques dans la région de Tikrit, la grande ville où l'ancien régime compte probablement le plus d'appuis, a diminué de moitié en un mois.



Une campagne de contre-insurrection

Ces actions de combat et de répression sont régulièrement fustigées par les médias, qui répètent de manière sempiternelle - et sans preuve tangible - qu'elles ont pour seuls effets d'augmenter la résistance et de susciter la haine. Dans un premier temps, c'est en fait l'inverse qui s'est produit, puisque la sévérité des coalisés face aux fidèles de Saddam Hussein a renforcé la confiance de leurs victimes, et en particulier de la majorité chiite. L'élimination de Qusay et d'Uday Hussein s'est d'ailleurs inscrite dans ce processus, et elle a permis de corriger l'impression initiale de faiblesse et d'indécision qui a découlé de la posture largement passive adoptée durant l'essentiel du printemps.

Malgré cela, l'image de militaires américains bornés, arrogants, nerveux, flingueurs, grossiers et totalement irrespectueux des traditions locales continue à être systématiquement propagée. Si c'est effectivement le cas pour une partie d'entre eux, cela ne l'est guère pour l'autre, et les témoignages à ce sujet sont incontestables. En réalité, les Américains mènent actuellement une campagne classique de contre-insurrection à laquelle ils se sont partiellement préparés, et chacune de leurs unités combine dans son secteur et de manière assez indépendante la répression et la reconstruction, la fermeté et le dialogue, la punition et la récompense.

L'un des aspects les plus frappants de cette campagne est l'effort permanent de dédommagement. Il n'est pas rare qu'une maisonnée ayant fait l'objet d'un raid voie le jour suivant les mêmes soldats revenir avec des ballons de football et des poulets rôtis, et informer les propriétaires des possibilités de plainte qui existent. A la fin du mois de juillet, 2517 plaintes ont été déposées auprès des Forces armées américaines, 1496 ont été traitées et 1168 ont donné lieu à un paiement, dont le total s'élevait à 262'945 $. Les compétences en matière de dédommagement dépendent de l'échelon hiérarchique : pour chaque cas, les juristes peuvent accorder jusqu'à 2500 $ au niveau brigade, 15'000 $ au niveau division et 50'000 $ pour la CJTF.

En fait, chaque formation dispose d'un budget propre pour mener à bien des projets de reconstruction dans son secteur, et ainsi améliorer les conditions de vie locales tout en fournissant du travail aux entrepreneurs. La task force Scorpion des Marines, qui compte un millier d'hommes, a par exemple dépensé 350'000 $ dans la province de Babil. La 101e division aéromobile a investi 11 millions de dollars pour 1398 projets distincts dans le nord du pays, dont la remise en service d'un train reliant Mossoul à la Syrie et interrompu depuis plus d'une année. La 3e DI a injecté 2 millions à Fallujah pour la rénovation des services publics. La 4e DI a réparé 27 hôpitaux et 174 cliniques, reconstruit 11 écoles, alors que 35 autres sont en cours de reconstruction - tout comme 5 installations de purification d'eau.

Les efforts pour gagner «les cœurs et les esprits» passent également par la maîtrise de la violence. A Fallujah, une ville de 250'000 habitants à majorité sunnite, les choses avaient mal commencé, puisqu'une fusillade fin avril avait fait 18 morts. Engagée au début du mois de juin, la 2e brigade de la 3e DI a commencé par établir une très forte présence qui a mis sur la défensive les militants pro-Saddam, puis elle a habilement désamorcé le conflit en retirant une grande partie de ses hommes et en les remplaçant par des policiers irakiens, puis en exprimant publiquement des excuses formelles et en versant aux familles des victimes plusieurs indemnités conformes à la tradition tribale - à raison de 1500 $ par tué et 500 $ par blessé. Résultat : les attaques ont diminué de moitié, et la population a commencé à informer les troupes US.

La vie des soldats américains au sein des Irakiens - ils sont par exemple 3000 à 4000 sur les 16'000 de la 4e DI à mener des patrouilles quotidiennes - est ainsi rythmée par le double impératif de sécurité et de convivialité, de dissuasion et de persuasion. Ils doivent constamment rester sur leurs gardes, rechercher des visages connus et déceler des comportements suspects, mais également parler avec les enfants qui les entourent, poser pour des photos avec les habitants ou encore écouter les doléances d'Irakiens s'exprimant dans un anglais primitif. Une mission complexe et déroutante qui place d'énormes responsabilités sur les épaules des militaires individuels.



La génération des forces irakiennes

L'autre priorité de toute campagne anti-insurrectionnelle consiste à s'appuyer dès que possible sur des forces locales, afin non seulement de libérer les contingents expéditionnaires, mais également de limiter les frictions dues aux incompréhensions mutuelles. Le commandant de la CJTF-7, le lieutenant-général Ricardo Sanchez, a ainsi récemment reconnu que certaines méthodes appliquées durant les raids - comme menotter et aveugler un père de famille devant sa femme et ses enfants - étaient contre-productives, alors que de telles erreurs auraient sans doute pu être évitées avec la présence de soldats ou de policiers irakiens. La génération des forces locales revêt donc une importance capitale.

Les corps de police sont les premiers sur la liste. A l'heure actuelle, au moins 30'000 policiers irakiens sont en service, dont 5000 au sein de la capitale. Le processus de filtrage, destiné à écarter les anciens policiers corrompus ou compromis, a ralenti la remise sur pied de la police, mais certainement contribué à augmenter sa qualité. Un millier de nouveaux policiers environ entrent en service chaque semaine, après avoir reçu un nouvel uniforme et suivi une formation de trois semaines donnée notamment par la 18e brigade US de police militaire, qui comprend des réservistes policiers dans le civil. A terme, l'Irak comptera entre 65'000 et 70'000 policiers, dont le salaire minimum de 60 $ par mois devrait être suffisant pour limiter la corruption.

L'explosion de la criminalité surtout à Bagdad l'exige. En juillet dernier, la morgue de la capitale a dénombré 10 fois plus de victimes par balles qu'en juillet 2002, même si les rafales lâchées pour célébrer la mort des deux fils aînés de Saddam Hussein, selon un quotidien de Bagdad, ont à elles seules tué 31 Irakiens et blessé 76 autres. Malgré cela, la violence doit être relativisée : avec 470 morts par armes à feu en un mois pour une population de 5,6 millions d'habitants, Bagdad connaît un niveau de violence comparable à celui de Johannesburg (275 homicides par mois, 3,2 millions d'habitants) et un peu moins de deux fois et demi supérieur à celui de Washington (262 morts en 2002 pour 600'000 habitants).

Si la montée en puissance de la police et la forte présence militaire coalisée parviennent à réduire la criminalité de manière continue, elles ne sont pas suffisantes. Pour ce faire, la coalition a engagé près de 11'000 Irakiens dans une force destinée à la protection des installations (Iraqi Facility Force Protection Service, FPS) et répartie sur tout le territoire. Les Marines ont été les premiers à les former dans le secteur de Najaf, en juillet, où ils en ont recruté plus de 1000 parmi des anciens militaires ; après un cours rapide de 3 jours, ces hommes ont été déployés autour d'édifices et d'infrastructures essentielles, en étant payés 60 $ par mois. A Bagdad, les premiers détachements FPS ont repris le 9 août la protection de certains bâtiments.

Bien entendu, une attention particulière est vouée à la reconstruction de l'armée irakienne. Ouvert à tous les Irakiens, civils ou militaires jusqu'au grade de lieutenant-colonel, le recrutement a débuté en juillet et l'entraînement des premières recrues a commencé le 4 août. La formation de base, assurée essentiellement par des sociétés privées américaines, durera 2 mois ; comme chaque soldat s'est engagé pour une période de 26 mois, il sera donc à la disposition du gouvernement - et initialement de la coalition - pendant 2 ans. Là encore, les salaires ont substantiellement augmenté : de 60 à 120 $ par mois selon les grades, contre 4 $ par mois pour un soldat sous Saddam Hussein.

L'objectif fixé par le gouvernement provisoire est de former 12'000 soldats pour la fin de l'année, et 40'000 à la fin 2004. De plus, le Central Command a décidé le 22 juillet de former 8 bataillons de miliciens comptant chacun 850 hommes pour renforcer les capacités de protection et d'autodéfense des communautés locales. Actuellement, quelque 50'000 Irakiens en armes appuient donc les efforts de la coalition, qui compte environ 160'000 militaires au sol. A la fin de l'année, la contribution irakienne devrait probablement s'élever à environ 85'000 hommes - même s'il reste à démontrer que l'armée soit immédiatement apte à remplir des missions complexes.



La reconstruction d'un pays ravagé

La sécurité ne constitue cependant qu'une condition préalable à la remise en marche d'un pays ravagé par 35 années de dictature centralisatrice, et 23 ans de guerre presque ininterrompue. L'état désastreux d'infrastructures négligées depuis plus d'une décennie a certainement surpris les Américains, et c'est avec l'arrivée de Paul Bremer, nommé le 6 mai administrateur de l'autorité provisoire de la coalition, que les choses ont vraiment commencé à changer. L'une de ses premières décisions a ainsi été de doubler les salaires minimum - de 20 à 40 $ par mois - et simultanément de baisser les salaires maximum - de 960 à 400 $ par mois - dans la fonction publique.

La remise au travail des fonctionnaires, comme les 36'000 employés du service de l'électricité, ne suffit pas à compenser le délabrement généralisé du pays. Comme l'a remarqué le 25 juin le coordinateur humanitaire de l'ONU en Irak, Ramiro Lopes da Silva, la crise que traverse le pays n'est pas humanitaire, mais est celle d'une société hautement urbanisée dont la dépendance à l'égard de l'Etat s'est accrue sous l'effet de l'embargo, et que l'effondrement des services publics a durement touché dans ses besoins et ses activités au quotidien. Cependant, les efforts conjugués de la coalition, des agences de l'ONU et des ONG présentes sur place permettent d'améliorer constamment la situation.

La situation en matière d'approvisionnement électrique est aujourd'hui satisfaisante à l'exception de la capitale, qui avec Saddam Hussein était privilégiée au détriment des autres villes. Avant la guerre, l'Irak consommait 4000 mégawatts d'électricité, mais cette consommation s'est élevée à 6000 MW au début du mois de juin ; or le réseau actuel peine à atteindre durablement les 4000 MW, et sera incapable de dépasser 4500. Dans la ville d'Al Hilla, l'électricité est en fonction 24 heures sur 24, chose que les habitants n'avaient jamais connu, et la plupart des villes du sud ont aujourd'hui plus d'électricité qu'avant la guerre. Mais à Bagdad, il n'y a qu'environ 12 heures de courant par jour dans un été suffocant.

Les 240 hôpitaux irakiens sont tous en service, avec un personnel dont le salaire mensuel a augmenté entre 4 et 6 fois, ainsi que 95% des cliniques. La situation sanitaire de la population reste toutefois très délicate : en 2002, le régime de Saddam Hussein n'a dépensé que 20 millions de dollars pour l'ensemble des services de santé du pays - alors que le budget du Ministère de la Santé pour le deuxième semestre de l'année s'élève à 210 millions. Dans le sud du pays, 60% des citadins et 30% des populations rurales avaient accès à l'eau potable début juillet, soit un niveau identique à avant la guerre. En revanche, Bagdad ne recevait à la même période que 1400 millions de litres d'eau par jour contre 2000 millions, et les manques sont difficilement compensés par des camions-citernes.

Les 324'000 enseignants irakiens sont tous retournés au travail, et leur salaire a été multiplié par 7. De plus, 1000 nouvelles écoles sont construites et 13'000 sont en cours de réparation. En tout, le 95% des écoles fonctionnent normalement et 5,5 millions d'écoliers ont pu effectuer les examens de fin d'année, tout comme la presque totalité des étudiants. Les 22 facultés universitaires de Bagdad avaient toutes réouvert à la mi-juillet. La disparition des informateurs de la police secrète d'Etat et la mise au rebut des manuels vantant la grandeur du dictateur déchu ont d'ailleurs complètement transformé la vie des étudiants et les pratiques pédagogiques.

La réseau téléphonique irakien est complètement délabré, et la moitié seulement des lignes fonctionnement. Mais l'Internet par satellite se développe à une vitesse très rapide, et les cafés branchés se multiplient à Bagdad - sans le filtrage et le contrôle étroit du régime. De plus, la téléphonie cellulaire commence à se répandre, alors même que la possession d'un portable était punie de mort sous l'ancien régime. L'octroi des licences GSM est une question de semaines, même si une compagnie basée au Qatar a furtivement tenté de court-circuiter la procédure. Les antennes satellites se répandent aussi, puisqu'elles sont vendues à un prix moyen de 150 $, et au moins 30% des Bagdadis en déjà sont équipés.

La situation économique reste très difficile, avec un taux de chômage voisin de 65%. Pourtant, les étals sont mieux garnis aujourd'hui que dans les années 70 et les prix des denrées alimentaires, après avoir flambé dans les premières semaines suivant la chute de Saddam Hussein, sont désormais inférieurs à la période d'avant-guerre. Le petit commerce, comme la production de fleurs ou l'artisanat, sont devenus florissants. En revanche, la production pétrolière n'atteint que 1,3 millions de barils par jour dont 850'000 peuvent être exportés, contre 2,5 millions produits avant la guerre. Là aussi, la délabrement de l'infrastructure reste le principal obstacle au développement.



Population prudente et soldats partagés

L'avis de la population irakienne et le moral des soldats américains constituent probablement les sujets où la réalité est la plus souvent transfigurée. Les commentateurs européens affirment ainsi avec une belle unanimité et depuis plusieurs mois que les Irakiens détestent les «occupants» et que les GI's sont largement démotivés par les difficultés de leur tâche. Là encore, les reportages sur place et les déclarations publiées contredisent de tels propos - ou du moins les nuancent largement. En fait, si l'euphorie généralisée de la libération a effectivement disparu, sauf au sein de la communauté kurde, la situation n'est de loin pas aussi sombre que d'aucuns la décrivent.

A la mi-juillet, un sondage très complet effectué à Bagdad par une société britannique - avec des enquêteurs irakiens - a fourni des résultats on ne peut plus intéressants. Parmi les 798 personnes interrogées, 50% d'entre elles approuvent en effet la guerre menée par les coalisés contre le régime de Saddam Hussein, contre 27% qui s'y opposent. Alors que les deux principaux motifs pour cette guerre leur semblent le pétrole irakien et la sécurité d'Israël, ce qui montre bien leur suspicion à l'endroit des Américains, 76% des sondés estiment néanmoins que ceux-ci doivent rester au moins 12 mois. Par ailleurs, 47% jugent que leur vie est pire aujourd'hui qu'un an auparavant contre 32% qui voient une amélioration, mais 52% pensent qu'elle sera meilleure dans 5 ans contre 11% qui prévoient une détérioration.

Ainsi, bien que 75% des sondés estiment que l'Irak est un endroit plus dangereux aujourd'hui, ils ne sont que 9% à déclarer préférer vivre sous Saddam. En fait, seuls 5% de la population souhaite un retour de Saddam et 6% l'arrivée au pouvoir des mollahs, contre 36% qui demandent une démocratie à l'occidentale et 26% un régime islamique ayant adopté des principes de justice et de gouvernement modernes. En revanche, la majorité des sondés reste encore sur l'expectative par rapport aux Américains : 26% les considèrent de manière amicale, 18% de manière hostile et 50% sont neutres. Il apparaît donc que les Bagdadis ont globalement une faveur prudente à l'endroit des coalisés.

Comme la capitale pâtit clairement des privilèges qu'elle a perdus et des tensions que favorisent sa taille et sa complexité, un tel sondage est certainement encourageant pour le conseil gouvernemental provisoire de 25 membres formé le 11 juillet dernier. Le fait que 40% des sondés demandent en outre un transfert immédiat de l'autorité aux Irakiens montre l'importance de ce conseil représentatif de toute la société, et qui devrait être remplacé à l'issue d'élections tenues fin 2004. Les 67 grandes villes irakiennes et le 85% des petites villes ont d'ailleurs un concile municipal avec lequel les formations militaires collaborent étroitement.

L'opinion des soldats semble globalement positive. A réitérées reprises, des militaires américains déployés au sud comme au nord de l'Euphrate ont déclaré que le 98 ou 99% de la population leur était favorable, ou à tout le moins neutre, et que seul le reste était dangereux. A Tikrit, où les tensions ont toujours été plus importantes que dans le reste du pays, la 1ère brigade de la 4e DI estime par exemple que 10% de la population lui est opposée, 10% favorable et 80% indifférente. Des soldats individuels ont aussi maintes fois souligné la difficulté à distinguer les amis des ennemis, et la méfiance que leur inspire une population, un milieu et une culture qu'ils ne comprennent pas.

Mais cela n'a pas une influence déterminante sur leur moral. Il est logique que les soldats de la 3e DI, arrivés dès septembre au Koweït et préparés pendant des mois à foncer sur Bagdad pour s'en emparer, aient mal ressenti les annonces successives d'un retour au pays en mai, puis en juillet, puis encore à l'automne. Ils n'en ont pas moins rempli avec succès une mission très délicate, comme l'a montré Fallujah. Au sein des autres formations de l'armée, apprendre que le déploiement durerait 12 mois au lieu de 6 a également suscité un ressentiment évident. En fait, le moral dépend largement du niveau qualitatif des unités : très bon chez les Marines et les forces spéciales, bon chez les troupes aéromobiles et la 4e DI, et moyen dans la 1ère division blindée, la cavalerie, les troupes d'appui et de logistique ainsi que les réservistes en général.



Bilan : la coalition en bonne voie

Quel bilan peut-on tirer de cette avalanche d'informations ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bourbier ou la déroute sont assez contraires à la réalité. Pour interpréter et comprendre une situation aussi complexe et changeante, il est nécessaire de prendre du recul par rapport aux aspérités ponctuelles de l'actualité - une émeute à Bassorah, une fusillade à Bagdad - et de s'intéresser aux mouvements de fond. Or ceux-ci vont majoritairement dans la même direction : les Américains ont sans cesse plus d'hommes, plus de moyens, plus d'appuis et plus de renseignements pour atteindre leurs objectifs, alors que leurs ennemis peinent à renouveler leurs ressources et préserver leur liberté d'action.

Contrairement à une opinion reçue, le temps joue donc en faveur de la coalition. D'une part, les pertes subies sont trop faibles pour que le soutien politique fléchisse, et l'attitude de la population irakienne est suffisamment positive pour que les efforts de reconstruction et de stabilisation soient suivis d'effets. D'autre part, les températures vont commencer à diminuer le mois prochain, ce qui avec la réduction de la consommation d'électricité améliorera notablement les conditions de vie de la population. Enfin, les infiltrations de combattants étrangers ne sont pas suffisantes pour mettre les formations américaines sur la défensive, perturber leurs activités et modifier leur comportement.

Les principales qualités dont font preuve les Américains en Irak sont la souplesse d'esprit et le pragmatisme : lorsque qu'une méthode ne fonctionne pas, lorsqu'une situation est bloquée, ils ne s'obstinent pas et recherchent une solution à la fois originale et acceptable. Le grand public l'ignore, mais il se passe des choses exceptionnelles en Irak. Une unité de Marines confrontée à une foule excitée par un imam extrémiste et hurlant des chants haineux s'est mise à son tour à chanter pour montrer l'absurde de la situation. Une section de paras prise dans une fusillade a détaché des hommes pour mettre à couvert plusieurs personnes âgées, et n'a plus été attaquée dans le quartier. Les exemples sont multiples.

Les Irakiens forment aujourd'hui un peuple en pleine confusion, qui a soif d'informations, de sécurité, de certitudes et d'améliorations, et qui doit réinventer au quotidien ou presque sa manière de vivre. On ne s'en doute guère, mais à long terme les Américains ont déjà gagné leur pari: avec la multiplication de ces vecteurs modernes que sont le téléphone portable, les antennes satellites et le réseau Internet, la contagion des idées libérales et démocratiques a commencé. Plus rien ne sera comme avant. Les erreurs commises par l'administrateur, le commandant de bataillon ou le soldat individuel seront vite oubliées ; la liberté d'expression et d'opinion marqueront à jamais les esprits.

Le plus grand danger à présent réside dans les fractures que connaît la société irakienne. Aux différences d'ethnie et d'obédience religieuse viennent en effet s'ajouter la fidélité à l'ancien régime ou la collaboration avec le nouveau, et les règlements de comptes contre les membres de l'ex-parti Ba'as et les auxiliaires des forces coalisées se chiffrent chaque mois par dizaines. Ce n'est guère un hasard si les ennemis de la coalition s'en prennent de plus en plus aux Irakiens, qui sont des cibles autrement moins dangereuses. Constituer un gouvernement suffisamment fort pour faire respecter l'ordre et suffisamment représentatif pour éviter une guerre civile ne sera guère aisé.

Des efforts considérables restent donc nécessaires pour transformer chaque jour un peu plus le pays. Les Etats-Unis continueront à perdre des soldats au fil des semaines, même s'ils subissent moins d'attaques ; tôt ou tard, la négligence ou la malchance permettra à une attaque d'être particulièrement efficace et de tuer des dizaines d'hommes. Pourtant, c'est uniquement en acceptant les pertes, en continuant à s'exposer et à s'investir que la coalition parviendra à se maintenir sur la bonne voie et à progressivement transférer ses responsabilités aux Irakiens. La patience n'est pas une qualité fréquente en Occident, mais la transformation du Proche-Orient l'exige.

Il reste à se demander pourquoi les médias s'obstinent à hurler au bourbier lorsque la réalité contredit une telle opinion. Entre l'envie de montrer qu'une intervention militaire ne peut réussir que dans le cadre de l'ONU, le besoin de dissimuler leurs propres erreurs quant à une «résistance» présumée de la population irakienne, l'influence néfaste d'experts enclins aux clichés plus qu'à l'analyse, et bien entendu une hostilité généralisée à la puissance américaine, les explications ne manquent pas. Quoi qu'il en soit, ceux qui prédisent le désastre depuis une année devront tôt ou tard se livrer à un sérieux examen de conscience face à son absence chronique.



Maj EMG Ludovic Monnerat    



Pertes des soldats US

Semaines

Attaques mortelles

Accidents mortels

Total pertes US

4.8-10.8.2003

4

6

10

28.7-3.8.2003

4

2

6

21.7-27.7.2003

12

1

13

14.7-20.7.2003

6

1

1

7.7-13.7.2003

3

9

12

30.6-6.7.2003

3

3

6

23.6-29.6.2003

6

3

9

16.6-22.6.2003

6

2

8

9.6-15.6.2003

2

2

4

2.6-8.6.2003

2

1

3

26.5-1.6.2003

4

3

7






Sources

Paul Harris and Jonathan Franklin, 'Bring us home': GIs flood US with war-weary emails, The Observer, 10.8.03 ; Niko Price, Crime Wave in Iraqi Capital Unprecedented, AP, 8.8.03 ; Pamela Hess, Raid in Iraq's 'Indian Country', UPI, 6.8.03 ; Edmund Sanders, 4th Infantry Scours Region for Hussein, Los Angeles Times, 6.8.03 ; Jamie Tarabay, Iraq Police Slowly Begin to Regain Baghdad, AP, 5.8.03 ; Steven R. Hurst, New Iraqi Army Recruits Head for Training, AP, 4.8.03 ; Harry de Quetteville, Mutual suspicion as US troops 'go in hard', Telegraph, 4.8.03 ; Pamela Constable, Iraqi Students Set a New Course, Washington Post, 2.8.03 ; Marc Semo, Saddam Hussein traqué à Takrit, Libération, 2.8.03 ; Alastair Macdonald, Hunt for Saddam Heats Up - from His Own Palace, Reuters, 2.8.03 ; Kevin Sullivan, On Battle and Home Fronts, a Roller Coaster of Nerves, Washington Post, 31.7.03 ;Michael Georgy, Commander: Troops in Iraq Powerless Against Bombs, Reuters, 31.7.03 ;Rowan Scarborough, Iraqi guerrillas devise new tactics as Americans fine tune techniques, Washington Times, 31.7.03 ; John O'Sullivan, Remember Tet Offensive, National Review Online, 31.7.03 ; Niko Price, Iraq Could Have Elections Within a Year, AP, 31.7.03 ; Michael R. Fenzel, A Little Better Each Day, Washington Post, 30.7.03 ; Rajiv Chandrasekaran, In Iraqi City, a New Battle Plan, Washington Post, 29.7.03 ; Georges Malbrunot, «Une mission trop grande pour les Etats-Unis», Le Figaro, 29.7.03 ; Delphine Minoui, Saddam Hussein, la traque infernale, Le Temps, 29.7.03 ; Pamela Hess, Marines walk tightrope in Najaf, UPI, 28.7.03 ; Donny Bryson, Militants Not Rallying for Iraq Holy War, AP, 27.7.03 ; Jim Hoagland, The Road From Baghdad, Washington Post, 27.7.03 ; Mark MacKinnon, How to make friends and occupy people, Globe and Mail, 26.7.03 ; Matt Moore, Three American Soldiers Killed in Iraq, AP, 26.7.03 ; Cynthia Johnston, L'usage de l'internet explose à Bagdad, Reuters, 26.7.03 ; Kate O'Beirne, Betting on Bremer, National Review Online, 25.7.03 ; Ann Scott Tyson, The GI in Iraq: jack-of-all-trades, Christian Science Monitor, 25.7.03 ; D'Arcy Doran, U.S. Troops Fight Invisible Enemy in Iraq, AP, 25.7.03 ; Jonathan Foreman, American soldiers really aren't spoilt, trigger-happy yokels, Telegraph, 25.7.03 ; Delphine Minoui, «C'était des monstres. On peut remercier les Américains», Le Temps, 25.7.03 ; ONU, Iraq: UN Weekly Press Briefing, 24.7.03 ; Thomas E. Ricks, As U.S. Lowered Sights, Information Poured In, Washington Post, 23.7.03 ; Ann Scott Tyson, US assembles new Iraqi army, Christian Science Monitor, 22.7.03 ; Borzou Daragahi, Translator Boosts American Effort in Iraq, AP, 22.7.03 ; US gaining clearer picture of Iraqi enemy: press, AFP, 21.7.03 ; David Blair, Iraq: the first 100 days, Telegraph, 18.7.03 ; Douglas Jehl, U.S. Considers Private Iraqi Force to Guard Sites, New York Times, 18.7.03 ; Miral Fahmy, Iraqis Cheer Fall of Baath on Anniversary of Coup, Reuters, 17.7.03 ; Amir Taheri, The Real Iraq, New York Post, 17.7.03 ; Scott Peterson, US shifting guard duty to former Iraqi soldiers, Christian Science Monitor, 15.7.03 ; Hamza Hendawi, Iraqi City of Peace Moving Toward Chaos, AP, 15.7.03 ; Borzou Daragahi, U.S. Forces Kill 4 Suspected Insurgents, AP, 13.7.03 ; Pamela Hess, Unruly Bagdad loses more electric power, UPI, 7.7.03 ; Maurin Picard, Irak : le temps des désillusions, Le Point, 4.7.03 ; communiqués Central Command et American Forces News Service pour les pertes et les activités.






Haut de page

Première page





© 1998-2003 CheckPoint
Reproduction d'extraits avec mention de la provenance et de l'auteur