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L'opération "Enduring Freedom" en Afghanistan est une victoire de la pensée non conventionnelle

12 octobre 2002


USS EntrepriseU

ne année après son déclenchement, l'opération "Enduring Freedom" lancée par les Etats-Unis n'a pas atteint tous ses objectifs. Mais les actions décisives des premières semaines et le succès spectaculaire qu'a symbolisé le renversement des Taliban ont mis en évidence la supériorité intellectuelle des Forces armées américaines. Malgré des dissensions internes et des échecs retentissants, le travail de fond effectué les mois suivants sur tout le territoire afghan confère à l'opération un profil sans précédent. Voici la première partie de l'analyse de ce conflit.

Lorsque les attaques terroristes ont frappé le World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001, toute perspective d'intervention militaire semblait aussi éloignée qu'incertaine ; moins de 3 mois plus tard, des foules en liesse célébraient le renversement des Taliban et la fin promise de 23 ans de guerre. Nombre d'experts vouaient l'opération "Enduring Freedom" à un échec piteux, mais un ensemble d'innovations et d'improvisations ont permis de vaincre des défis considérables et de surmonter des frictions chroniques. Au total, malgré les progrès sensibles de la technologie, c'est davantage l'utilisation inédite des ressources humaines qui a traduit l'évolution constante subie par l'art de la guerre.

«... Le succès spectaculaire qu'a symbolisé le renversement des Taliban a mis en évidence la supériorité intellectuelle des Forces armées américaines. »
«... Le succès spectaculaire qu'a symbolisé le renversement des Taliban a mis en évidence la supériorité intellectuelle des Forces armées américaines. »

Pour les dirigeants politiques et militaires américains, l'Afghanistan constituait pourtant l'un des théâtres d'opérations les moins favorables au monde. Son territoire de 647'500 km2 est traversé de chaînes montagneuses, n'offre aucun accès à la mer et ne possède que des infrastructures aéroportuaires limitées. Sa population éparpillée par une guerre interminable est divisée en plusieurs ethnies et dépend étroitement de chefs de guerres antagonistes. Ses voisins comprennent l'Iran et le Pakistan, dont les relations avec les Etats-Unis sont pour le moins tendues, ainsi que des républiques d'Asie centrale aux régimes douteux. Et son gouvernement fondamentaliste au pouvoir depuis 1996 s'appuyait largement sur les troupes d'Al-Qaïda et sur les services secrets pakistanais pour contrôler 80% du territoire.


Une plongée dans l'inconnu

Dans les premiers jours qui ont suivi les attentats, l'administration Bush a rapidement acquis la conviction que le réseau d'Oussama Ben Laden en portait la responsabilité et devait être combattu. Le détail des délibérations lors de cette crise mériterait d'être connu en détail, et un ouvrage à ce sujet attend encore d'être écrit. Il n'en demeure pas moins que le Secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a ordonné le 12 septembre la préparation de plusieurs options militaires crédibles en Afghanistan. La première planification opérationnelle établie sous l'ère Clinton, qui se limitait à une salve de missiles de croisière comme en 1998, n'est jamais entrée en considération. La Maison Blanche avait déjà jeté son dévolu sur une opération aéroterrestre d'envergure.

A la date du 11 septembre, le dispositif militaire américain en Asie du sud n'était pas négligeable. Deux groupes aéronavals complets, centrés autour des porte-avions nucléaires Entreprise et Carl Vinson, préparaient la relève du premier par le second dans le Golfe persique ; deux groupes amphibies les accompagnaient, le Kearsarge et le Peleliu, avec les 3000 fantassins des 24th et 15th Marine Expeditionary Unit (MEU) à leur bord. Sur leurs bases terrestres, les Américains disposaient également de 150 avions de combat et d'appui, tous engagés dans la protection des zones de non-survol en Irak, ainsi que d'équipements lourds permettant de former rapidement un groupement de combat terrestre de niveau divisionnaire. A proximité de l'Afghanistan, seul un détachement d'hélicoptères de combat, stationné en Ouzbékistan à l'issue d'un exercice effectué début septembre, offrait une capacité offensive.

Car c'est bien une offensive délibérée que le Pentagone est alors chargé de préparer. Lorsque le président Bush s'exprime devant le Congrès, le 20 septembre, les objectifs de l'opération nommée "Infinite Justice" sont définis : mettre un terme aux activités terroristes en Afghanistan, détruire les camps d'entraînement et les autres infrastructures essentielles, et capturer ou neutraliser les chefs d'Al-Qaïda. Le lendemain, le commandant du Central Command, le général Tommy Franks, présente à George W. Bush un premier concept opérationnel permettant de détruire le réseau Al-Qaïda en Afghanistan en même temps que le régime des Taliban. Les détails du briefing ne sont pas connus, mais une option conforme aux objectifs stratégiques est choisie et la planification de détail peut commencer.

Croiseur lance-missiles Antietam, 5.10.01

L'analyse de la mission, de l'ennemi mais aussi de l'histoire afghane incite les militaires américains à concevoir une manœuvre complexe, s'appuyant sur plusieurs processus : l'attaque directe du régime taliban, l'anéantissement de leur capacité militaire, l'équipement et la coordination des factions qui les combattent, l'aide humanitaire aux populations locales et la constitution d'un gouvernement stable et représentatif sont nécessaires. L'essentiel consiste ainsi à éviter une invasion du pays et à recevoir le soutien des Afghans, en engageant des forces non conventionnelles aux côtés des opposants, des actions aériennes ciblées et des moyens de surveillance permanents. Le tout dans un délai aussi bref que possible, compte tenu des tensions très vives dans le monde musulman. Une tâche gigantesque qui sort clairement des sentiers battus.

«... Le concept opérationnel définitif a été arrêté dans les derniers jours de septembre, et approuvé le 2 octobre par le Président Bush. »
«... Le concept opérationnel définitif a été arrêté dans les derniers jours de septembre, et approuvé le 2 octobre par le Président Bush. »

Alors que les planificateurs militaires s'escriment jour et nuit sur le théâtre d'opérations afghan, les premiers déploiements ont lieu. Le 13 septembre, le groupe aéronaval Theodore Roosevelt quitte les Etats-Unis pour la Méditerranée puis l'océan Indien ; il passera le canal de Suez 30 jours plus tard. Le 20 septembre, c'est le groupe amphibie Bataan destiné à le rejoindre qui prend la mer, mais la 26th MEU doit participer à l'exercice "Bright Star" qui se tient en Egypte du 8 octobre au 2 novembre. Environ 150 avions de l'Air Force sont progressivement positionnés sur des aérodromes de la région, comme ces 9 bombardiers lourds B-52 qui décollent le 21 septembre de Barksdale pour l'île britannique de Diego Garcia. De même, des contingents de forces spéciales de l'Army prennent discrètement position à proximité de l'Afghanistan.

La diplomatie musclée de Washington a d'ailleurs largement contribué à créer des conditions favorables au déploiement et à l'emploi des forces. Contraint de choisir entre la collaboration et l'adversité, le Pakistan du général Musharraf a accordé l'usage de son espace aérien et prêté trois bases aériennes pour des missions d'appui. L'Arabie Saoudite a refusé de prêter son sol à des missions d'attaque sur un pays musulman, mais le sultanat d'Oman et l'émirat du Koweït notamment ont donné leur appui. Plus important encore, l'Ouzbékistan a promptement cédé l'usage d'une base aérienne proche de l'Afghanistan, alors que le Département d'Etat est parvenu à constituer une coalition antiterroriste rassemblant 68 nations, dont 27 enverront des officiers de liaison au QG du Central Command.

Le concept opérationnel définitif a été arrêté dans les derniers jours de septembre, et approuvé le 2 octobre par le Président Bush. Le mécanisme initial consistait à appuyer les attaques des chefs de guerre opposés aux Taliban par des frappes aériennes ciblées et à les coordonner à l'aide de détachements de forces spéciales. En cas d'insuccès, d'importantes formations d'infanterie légère de l'Army auraient été engagées aux côtés des soldats de l'Alliance du Nord, alors que les deux unités expéditionnaires des Marines auraient été chargées de prendre d'assaut Kandahar, le plus fort bastion des étudiants en religion. Face aux 70'000 soldats des Taliban et d'Al-Qaïda, dans un pays qui saigna à blanc l'empire soviétique et au sein d'un environnement géopolitique en pleine recomposition, l'opération – renommée "Enduring Freedom" – représentait une plongée dans l'inconnu. Le feu vert n'en est pas moins donné par Washington à cette date.


Une manœuvre en 4 temps

C'est une manœuvre en 4 temps qui sera lancée. Le 27 septembre 2001, les premiers agents de la CIA commencent à être insérés en Afghanistan, en général par équipes de deux, appartenant à l'unité paramilitaire de l'agence (Special Activities Division). Aussi complexe que cruciale, leur mission consiste à convaincre les chefs de guerre anti-taliban de collaborer à l'effort d'ensemble, à désigner des zones d'atterrissages pour les hélicoptères de la coalition, à sécuriser des refuges pour ses éléments au sol, et à équiper les troupes locales avec des armes, des moyens de transmission, des médicaments et des habits. De fortes sommes d'argent sont à leur disposition pour faciliter les choses. Au nord comme au sud du pays, un nombre indéterminé d'équipes agissent ainsi en sous-main et préparent la chute des Talibans.

L'offensive aérienne débute le 7 octobre par le tir de 50 missiles de croisière et par 40 missions d'attaque au sol, prenant principalement pour cibles l'infrastructure de commandement et la défense antiaérienne des Taliban. Durant la première semaine à l'exception du 12 octobre, entre 20 et 30 avions d'attaque traversent chaque jour le ciel afghan et frappent des objectifs fixes ; dès le 15 octobre, ce nombre bondit toutefois à 100 et atteint une moyenne de 80 missions air-sol par tranche de 24 heures jusqu'à mi-novembre. Les bombardiers lourds et les chasseurs-bombardiers larguent en majorité des munitions intelligentes, mais des effets frappants sont obtenus par les appareils des forces spéciales – canonnières volantes AC-130 tirant des obus de 105 mm ou avion de transport MC-130 larguant la bombe géante "daisy cutter" de 6800 kg.

Le premier engagement terrestre a lieu le 19 octobre, par le largage judicieusement médiatisé d'environ 200 Rangers sur un aérodrome – appelé Rhino – au sud de Kandahar, et par un coup de main sur la maison du mollah Omar accompli par des membres du détachement Delta. Récoltant quelques renseignements d'une importance mineure, ces missions ont surtout pour effet de dissimuler l'insertion au nord de deux équipes des forces spéciales, attendues par les agents de la CIA pour épauler des chefs anti-talibans. Jusqu'à 316 membres des forces spéciales de l'Army seront progressivement engagés au sol, afin de synchroniser les offensives au sein de l'Alliance du Nord, de réunir en formations armées les tribus pachtounes et de fournir des cibles précises à l'aviation alliée. Leur action sera d'une importance décisive pour le succès de l'offensive, et provoquera notamment l'effondrement des lignes de front adverses.

Forces spéciales à cheval

Enfin, le 24 novembre, peu après la prise de Kaboul par les combattants tadjiks, la 15th MEU est projetée à l'intérieur des terres et s'empare de l'objectif Rhino. Après l'avoir transformé en base d'opérations avancée, les Marines l'utilisent pour mener des raids aériens et terrestres sur les lignes de communications des Taliban, dont la chute n'est dès lors plus qu'une question de jours. Fuyant les villes où la population leur est hostile, les combattants étrangers tentent de se regrouper dans les montagnes au centre et à l'est du pays, pourchassés jour et nuit par l'aviation alliée et les équipes de forces spéciales intégrées aux supplétifs afghans. Le 6 décembre, soit 61 jours après le début des frappes aériennes, Kandahar tombe aux mains des anti-talibans, et les combats diminuent peu à peu d'intensité tout en se concentrant dans des redoutes embusquées. Le première phase de la campagne s'achève.

«... La véritable innovation de l'opération, c'est que les forces spéciales ont pour la première fois constitué l'effort principal d'une offensive militaire majeure. »
«... La véritable innovation de l'opération, c'est que les forces spéciales ont pour la première fois constitué l'effort principal d'une offensive militaire majeure. »

A cette date, les médias qui début novembre annonçaient encore un nouveau bourbier vietnamien en Afghanistan célèbrent la fameuse révolution dans les affaires militaires, et vantent la combinaison gagnante que forment les forces spéciales, les troupes locales et le feu d'appui aérien. Pourtant, le succès initial de l'opération "Enduring Freedom" n'a pas reposé sur des percées technologiques ou sur des révolutions doctrinales. La formation et la coordination de combattants indigènes ont été rendues célèbres par Lawrence d'Arabie, alors que plusieurs milliers de militaires US étaient engagés dans ce but au Vietnam. Les premières bombes guidées ont été utilisées durant la Seconde guerre mondiale, et le guidage à partir du sol s'est généralisé dans les années 80. Et si l'avion sans pilote Predator a tiré plusieurs missiles antichars, des drones de combat avaient déjà prouvé leur utilité durant la guerre du Yom Kippour.

La véritable innovation de l'opération, c'est que les forces spéciales ont pour la première fois constitué l'effort principal d'une offensive militaire majeure, de sorte que leurs modes opératoires et leurs contingences ont nécessité une fusion interservice et de multiples interfaces externes. Pour décrire la victoire américaine en Afghanistan, il faut ainsi examiner les percées intellectuelles et les innovations pratiques qu'ont dû réaliser en quelques semaines les services de renseignements, les forces spéciales, les escadres et le commandement aériens, ainsi que les unités expéditionnaires amphibies. Nous verrons ainsi dans un prochain article que le conformisme des formations conventionnelles de l'US Army, qui n'ont joué qu'un rôle de couverture durant cette phase de la campagne, aura une influence considérable dans les échecs enregistrés en 2002.


Les "bérets verts" en vedette

Lorsque la première équipe de forces spéciales est insérée au nord de l'Afghanistan par deux hélicoptères MH-53 Pave Low, la nuit du 19 octobre 2001, des conditions météorologiques désastreuses font qu'il s'agit de sa troisième tentative. Elle ne passe d'ailleurs pas loin de la catastrophe, puisque l'un des appareils subit une panne électronique qui le rend presque aveugle et que les deux atterrissent aux mauvais emplacements, mettant plusieurs kilomètres de terrain montagneux entre les deux moitiés de l'équipe. Dans les jours suivants, deux autres équipes subiront également les aléas climatiques avant d'effectuer le même passage que les deux premières. Jusqu'à la fin novembre, un total de 18 équipes encadrées par 4 commandements de niveau unitaire et 3 de niveau bataillonnaire seront engagées au sol, soit 316 hommes. Mais à chacune de leur mission correspondent une planification, un déroulement et des moyens propres, comme c'est la règle dans les forces non conventionnelles.

Chaque équipe en question est en fait un détachement opérationnel (Special Forces Operational Detachment), nommé "A-Team", et appartient pour l'essentiel au 5th Special Forces Group (SFG) basé à Fort Campbell, dans le Kentucky. Les 12 hommes qui le composent sont des "bérets verts", des soldats polyvalents utilisant davantage leur cerveau que leurs muscles, aptes à remplir des missions diverses dans un large éventail d'environnements ; chacun d'entre eux possède deux spécialisations génériques telles que les explosifs, les transmissions, l'ingénierie mécanique et électronique ou encore le domaine sanitaire, et parle plusieurs langues couramment. La plupart sont d'ailleurs détenteurs d'une licence universitaire et suivent en permanence une formation continue, alors que la moyenne d'âge au sein des équipes oscille entre 32 et 35 ans.

La création des "bérets verts" remonte aux débuts des années 50, et s'est largement inspirée des expériences faites pendant et après la Seconde guerre mondiale dans le domaine des actions clandestines, de la guérilla et de la contre-insurrection. En 1957, l'envoi de 60 d'entre eux au Sud-Vietnam pour l'entraînement des forces spéciales locales marque leur entrée dans le conflit indochinois, où leurs effectifs atteindront 3750 opérateurs pratiquant la formation ou l'action en profondeur. Durant la Guerre du Golfe, 2000 membres des 3rd, 5th et 10th SFG sont engagés avant comme après l'offensive terrestre dans des missions comprenant la chasse aux Scuds irakiens, la prise d'un secteur prévu comme base opérationnelle avancée ou encore la libération de l'ambassade américaine à Koweït City.

Forces spéciales US aux Philippines

Regroupés depuis 1987 au sein du Commandement des Opérations Spéciales (United States Special Operations Command, USSOCOM), les "bérets verts" sont incorporés dans 5 groupes différenciés par leur préparation spécifique à un théâtre d'opérations : le Pacifique et l'Extrême-Orient (1st), l'Afrique sub-saharienne (3rd), l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'océan Indien (5th), l'Amérique latine (7th) et l'Europe (10th). Les SFG comptent en théorie 1400 hommes, répartis en 4 compagnies d'appui (commandement, logistique, transmissions, renseignements) et 3 bataillons de combat rassemblant chacun 1 compagnie de commandement et 3 compagnies de combat ; celles-ci comprennent 1 cellule de commandement et 5 à 6 détachements opérationnels de 12 hommes. A l'engagement, les détachements sont appelés "A-Teams", alors que les éléments de commandement prennent respectivement la désignation "B" ou "C" selon leur niveau, unité ou bataillon.

«... Les "bérets verts" sont des soldats polyvalents, utilisant davantage leur cerveau que leurs muscles, aptes à remplir des missions diverses dans un large éventail d'environnements. »
«... Les "bérets verts" sont des soldats polyvalents, utilisant davantage leur cerveau que leurs muscles, aptes à remplir des missions diverses dans un large éventail d'environnements. »

Pour l’opération "Enduring Freedom", la préparation des missions a probablement commencé à partir du 23 septembre, date à laquelle trois officiers des "bérets verts" se sont établis au Centre multinational d’opérations aériennes (Combined Air Operations Center, CAOC), sur la base saoudienne du Prince Sultan, pour participer à la planification globale. Dans les forces non conventionnelles, cette préparation s’effectue en plénum dans un endroit isolé, avec à disposition le maximum de renseignements nécessaires ; chaque équipe a ainsi reçu une mission particulière, formulé ses demandes de moyens et d’informations, puis établi la manière de la mener à bien. Au total, plusieurs jours doivent ainsi être consacrés à l’évaluation de tous les risques et de toutes les variantes possibles, à la répétition des phases-clefs de l’opération, à l’instruction au matériel nouveau, ainsi qu’à la vérification permanente de tout l’équipement.

En Afghanistan, et comme cela se produit fréquemment, chaque détachement a été renforcé par des spécialistes provenant d’autres services : 1 à 2 opérateurs de la CIA facilitant les contacts avec les chefs de guerre anti-taliban, 1 à 2 contrôleurs aériens avancés – provenant de la 23rd Special Tactics Unit de l’Air Force – optimisant le guidage au sol des frappes aériennes, voire quelques spécialistes en transmissions du SFG selon la configuration du secteur d’engagement. Appuyés par un groupe de forces d’opérations spéciales interarmées (Joint Special Operations Task Force) sur la base aérienne de Khanabad en Ouzbékistan, à 160 kilomètres de la frontière afghane, les différents détachements prévus pour l’insertion devaient en effet avoir la capacité d’y envoyer des informations retransmises ensuite au CAOC de Prince Sultan, à 2400 kilomètres de là.

Mais les "bérets verts" ne seront pas complètement isolés dans les montagnes afghanes, à l’intérieur des lignes ennemies, au sein de factions rivales dont la loyauté restera parfois douteuse. Non seulement disposent-ils du feu d’appui aérien fourni par les avions de combat de la Navy et de l’Air Force, mais ils peuvent également demander et obtenir en quelques heures la livraison d’équipements et de ravitaillement. Ce sont ainsi plusieurs centaines de containers pesant entre 600 et 1000 kg, remplis principalement d’habits pour l’hiver, de nourriture, d’armes et de munitions, qui seront parachutés sur commande par des MC-130 Talon basés en Turquie ou au Pakistan. Malgré cela, la charge individuelle de chaque opérateur oscillera entre 70 et 140 kg, dont 45 et 90 pour les seuls paquetages.


Une influence déterminante

Après leur insertion en Afghanistan, la tâche initiale des équipes consiste à convaincre les chefs de guerre alliés de leur utilité. Les deux premiers a être ainsi rejoints dès le 20 octobre, Abdul Rashid Dostum et Muhammad Fahid Khan (successeur d’Ahmed Shah Massoud), sont plus que sceptiques, et Dostum tend même à garder les soldats américains à l’arrière de peur que la mort de l’un d’eux ne mette fin au soutien des Etats-Unis. Par ailleurs, la communication est parfois difficile avec certains chefs locaux ; les hommes du 5th SFG sont habitués à être engagés au Moyen-Orient et parlent tous l’arabe en plus de deux autres langues majeures, mais seuls quelques uns d’entre eux ont déjà participé à des missions en Afghanistan et comprennent le dari ou le pachtou. Tout en apprenant rapidement ceux-ci, les "bérets verts" dénichent parfois des interprètes avec lesquels ils parlent en russe.

Dans un premier temps, les équipes demandent rapidement le largage d’habits chauds et de médicaments qui leur valent la reconnaissance de leurs nouveaux alliés. Mais c’est uniquement les pertes infligées aux Taliban qui leur permettent d’être respectés. Avec Dostum près de Mazar-i-Sharif ou avec Khan près de Bagram, les opérateurs déclenchent ainsi leurs premières frappes aériennes sur les lignes adverses, dont les effets sont spectaculairement efficaces. Jusqu’alors dédaigneux des bombardements effectués à haute altitude sur des objectifs imposants et aisément repérables, les Taliban tardent à s’adapter à cette nouvelle forme de guerre. Leurs concentrations de troupes sur les lignes de front, leurs bases de feux statiques et leurs convois circulant de manière compacte offrent des cibles rentables à l’aviation alliée.

A l’aide de désignateurs lasers ou de transmetteurs GPS, les contrôleurs aériens avancés montent peu à peu une véritable chorégraphie destructrice, du matin au soir, dont les avions disponibles déterminent le déroulement. Incapables de rester plus de 10 minutes au-dessus de l’objectif, les chasseurs-bombardiers F-14 et F/A-18 provenant de l’océan Indien et les F-15 basés sur la péninsule arabique larguent des bombes guidées et des missiles sur les chars et les bunkers des Taliban ; ayant une autonomie suffisante pour cercler pendant des heures, les B-52 et B-1 traitent les rassemblements de fantassins avec des tapis de bombes classiques ou quelques projectiles à guidage par GPS. De nuit, des AC-130U Spooky déversent leurs chapelets d’obus lumineux sur les tranchées abritant des troupes.

Frappes aériennes US

Dans la région de Bagram, un seul contrôleur avancé déclenchera ainsi 45 frappes distinctes en une heure sur les positions adverses, situées dans un rectangle de 300 mètres fois 100 ; en trois semaines d'opérations, un autre guidera environ 1000 projectiles vers des objectifs situés à quelques centaines de mètres. Les Taliban ayant en outre la tendance irrationnelle à sortir de leurs tranchées pour observer les impacts éloignés de leur positions, les Américains vont structurer leurs frappes de manière à offrir un spectacle qui, bien vite, se retournera contre ses spectateurs. L'effet sur le moral de l'Alliance du Nord, dont les soldats s'imaginent passer un hiver misérable de plus dans des collines désolées, sera considérable. Dans les rangs des Taliban, le pilonnage précis d'une aviation invisible et imprévisible aura bien entendu un effet inverse.

«... Dans la région de Bagram, un seul contrôleur avancé déclenchera 45 frappes en une heure sur les positions adverses, situées dans un rectangle de 300 mètres fois 100. »
«... Dans la région de Bagram, un seul contrôleur avancé déclenchera 45 frappes en une heure sur les positions adverses, situées dans un rectangle de 300 mètres fois 100. »

Entre le 24 et le 26 octobre, deux équipes supplémentaires sont insérées en Afghanistan, l'une dans la province de Bamian et l'autre autour de Kunduz. La plupart des équipes sont alors divisées en 4 trinômes pour couvrir davantage de territoire, et certaines achètent des jeeps d'occasion – à 7000 dollars la pièce ! – pour leurs déplacements, alors que d'autres chevauchent de maigres destriers ou empruntent de vieux hélicoptères Mil Mi-8 appartenant aux groupes anti-taliban ; après quelques semaines, des véhicules tout-terrains pourront leur être livrés. En plus des ravitaillements qui leur parviennent, des renforts sont également attribués aux "A-Teams" – notamment des contrôleurs aériens supplémentaires. De la sorte, chaque subdivision est en mesure de remplir l'ensemble des missions.

Il serait toutefois faux de croire que les "bérets verts" se contentent de fournir des cibles à l'aviation et mettent en mouvement un rouleau compresseur irrésistible. Ils partagent la vie rustique des combattants afghans, les risques et les aléas des combats, les us et coutumes de la région ; ils montrent l'exemple en menant l'assaut et enseignent les tactiques élémentaires du combat d'infanterie, puis soignent les blessés et assurent le ravitaillement. Dans bien des cas, ils affrontent des adversaires nettement plus nombreux et ne doivent leur survie qu'à des frappes aériennes rapprochées, qu'ils demandent à partir d'une tranchée sommaire ou à dos de cheval. Et l'effet principal de leur engagement est de transformer des factions misérables et démoralisées en troupes raisonnablement efficaces, prêtes à balayer les Taliban.

Le 3 novembre, un détachement bataillonnaire – un "C-Team" – de 15 hommes est inséré à Dara-e-Suf ; commandé par un lieutenant-colonel, il rejoint Abdul Rashid Dostum avec une carte géante destinée à coordonner une offensive concentrique sur Mazar-i-Sharif. Des téléphones satellitaires Inmarsat sont remis aux principaux chefs de guerre afin qu'ils puissent communiquer entre eux, mais les officiers du SFG conservent une liaison permanente avec les équipes détachées à leurs côtés. Les décisions sont ainsi étroitement orientées et surveillées par les "bérets verts", et ces derniers n'hésitent pas à montrer un morceau du World Trade Center pour couper court aux discordes entre rivaux. Un autre "C-Team" entre également en action à cette date, probablement à Kunduz, et en moyenne une équipe par jour est ensuite insérée.

La décision de la campagne sera suspendue à Mazar-i-Sharif. Appuyés chacun par une équipe complète, les "généraux" Dostum, Atta et Mohaqqiq convergent vers la cité et l'encerclent le 8 novembre. Mais le combat de rues tant redouté n'aura pas lieu : rudement secoués par deux semaines de raids intensifs, les combattants taliban prennent la fuite le lendemain sous les bombes alliées. En fait, c'est l'ensemble des lignes adverses qui s'effrite à cette date, alors même que la presse occidentale évoque un bourbier pour décrire la situation. Le 10 novembre, les troupes de l'Alliance de Nord et leur escorte américaine entrent dans Mazar-i-Sharif sous les vivats de la population. La dynamique qui renversera le régime du mollah Omar est dès lors lancée.


Des fonctions transversales

Dès que la route de Kaboul est entrouverte, les chefs de l'Alliance ne songent qu'à s'y ruer. Le Département d'Etat américain tente de les retenir, car le gouvernement post-taliban n'est pas défini, mais les "bérets verts" poussent au contraire les chefs de guerre en faisant jouer leur orgueil. Sur l'axe menant à la capitale, les frappes aériennes et les pots-de-vin provoquent des changements de camps spectaculaires entre Afghans, dont les Taliban étrangers font immédiatement les frais – en n'ayant que rarement la vie sauve. Le 13 novembre, les troupes du général Khan sont accueillis par des Kaboulis en liesse. Pourtant, le calme ne succède pas automatiquement à la libération. Les factions rivales tentent de s'arroger autant de pouvoir que possible, et n'hésitent pas à demander l'appui des Américains qui les accompagnent toujours. La diplomatie prend le pas sur le combat.

La chute de Mazar-i-Sharif fait également sentir ses effets au sud du pays, où les agents de la CIA s'efforcent de dénicher un chef de guerre pachtoune capable de combattre les Taliban. L'exécution d'Abdul Haq fin octobre a montré la difficulté à évoluer dans ces régions largement soumises à la loi des étudiants en religion, mais un leader tribal du nom d'Hamid Karzai semble pouvoir jouer un rôle d'envergure. Après avoir reçu des armes et des munitions grâce à la CIA, il reçoit l'appui d'une équipe de "bérets verts" alors que Kaboul tombe aux mains de l'Alliance du Nord, et tente de prendre la ville de Tarin Kot, capitale de la province d'Urazgan, et d'ainsi montrer la voie aux autres tribus pachtounes. Mais les habitants de la ville les devancent le 16 novembre en exécutant les responsables taliban et en appelant Karzai, qui y établit ses quartiers.

Dans la nuit, la nouvelle parvient aux militaires américains qu'une force comprenant 80 véhicules tout-terrains se dirige vers eux ; lorsque les combattants afghans alliés aperçoivent le nombre d'ennemis, au matin, ils prennent la fuite et les "bérets verts" sont contraints de se replier ; mais ceux-ci déclenchent ensuite des frappes aériennes qui déciment totalement le convoi taliban et ses 400 hommes, sous le regard des nombreux enfants de la ville. Le prestige d'Hamid Karzai en est notablement renforcé, et les conseils comme l'exemple des Américains lui permettent de renforcer la pression exercée sur les Taliban. Le 5 décembre, alors qu'il vient d'être nommé président par intérim du nouveau gouvernement, Karzai est légèrement blessé par une bombe à guidage GPS dirigée par erreur sur la position du contrôleur avancé, et qui tue 3 "bérets verts" et 5 Afghans.

Mais c'est également la dernière bombe larguée sur la région : à cet instant, les Taliban envoient une délégation à Karzai pour signifier leur reddition à Kandahar, qui sera prise le 6 décembre. La poursuite des Taliban et des membres d'Al-Qaïda continue les jours suivants, mais les bombardements diminuent notablement à partir de la moitié du mois. Le 22 décembre, une cérémonie d'inauguration du nouveau gouvernement se tient à Kaboul en présence du général Franks, pendant que les premiers combats d'envergure commencent à l'est du pays, dans la région de Tora Bora, où se sont retranchés les séides d'Oussama Ben Laden. La seconde phase de l'opération "Enduring Freedom" a débuté.

Tract largué en Afghanistan

Il ne faut toutefois pas croire que l'action des forces spéciales se résume aux aventures des 1st et 5th SFG. Les pilotes notamment du 160th Special Operations Aviation Regiment (SOAR) ont été lourdement mis à contribution, pour l'insertion, l'extraction, le ravitaillement et l'appui de feu des équipes au sol ; à elle seule, une opération d'extraction peut ainsi mobiliser 1 avion de transport MC-130 Talon, 2 hélicoptères SH-60 Black Hawk et 1 canonnière AC-130. Si l'on considère que la presque totalité du soutien fourni aux quelque 400 "bérets verts", contrôleurs avancés et opérateurs de la CIA engagés en Afghanistan l'a été par voie aérienne, on mesure l'effort au niveau de la logistique et des transmissions que cela représente.

Un domaine d'activité tout aussi important est celui des opérations psychologiques. Le 4th Psychological Operations Group a envoyé un important détachement au Pakistan et tenté d'influencer la population afghane par de multiples moyens, la plupart mis au point sur leur base de Fort Bragg.

«... 4 avions EC-130 Commando Solo ont commencé dès le 7 octobre à émettre de la musique afghane et des informations diverses, 10 heures par jour. »
«... 4 avions EC-130 Commando Solo ont commencé dès le 7 octobre à émettre de la musique afghane et des informations diverses, 10 heures par jour. »

En premier lieu, 4 avions spécialisés EC-130 Commando Solo ont commencé dès le 7 octobre à émettre de la musique afghane et des informations diverses, 10 heures par jour, alors que des milliers de postes de radio étaient largués ; à la suite de chansons vantant la résistance à l'envahisseur soviétique et la fierté de l'histoire afghane, des slogans en dari et en pachtou rappelaient aux auditeurs le joug des Taliban et leur responsabilité dans les malheurs subis depuis des années.

Par ailleurs, un nombre considérable de tracts différents ont été confectionnés. Confrontés à de nombreux écueils, comme l'analphabétisation de la population ou le fait que le mot "terroriste" est intraduisible, les spécialistes des psyops ont recouru à des symboles graphiques ; l'un d'entre eux figurait ainsi un soldat taliban en train de battre une femme recouverte de la tête aux pieds, avec un texte demandant si tel était l'avenir souhaité pour les femmes et les enfants. En revanche, comme les appels à la reddition sont peu compatibles avec la culture afghane, des tracts analogues à ceux utilisés durant la Guerre du Golfe ont été peu utilisés. Au total, le groupe d'opérations psychologiques a tout de même largué 50 millions de tracts, soit 20 millions de plus que dans le Golfe.


Improvisations interarmées

Dans le cadre de l'opération "Enduring Freedom", la totalité des éléments engagés ont toutefois dû s'adapter aux conditions d'une guerre non conventionnelle. En premier lieu, l'intégration interarmées n'a jamais été aussi poussée, car l'urgence de la situation et les défis à relever ont périmé les traditionnelles rivalités et frictions entre services. Il n'était ainsi pas rare qu'un contrôleur au sol de l'Army communique avec un chasseur-bombardier de la Navy s'étant ravitaillé auprès d'un appareil de l'Air Force. La totalité des transmissions pouvait s'effectuer sans distinction d'un élément à un autre, alors que l'incompatibilité des systèmes durant la Guerre du Golfe contraignait par exemple les demandes d'appui à être envoyées par écrit à la Navy. En fait, la fusion en temps réel des informations et l'utilisation d'un réseau de transmission informatisé ont été des atouts considérables.

Mais chaque service a également modifié dans l'urgence ses procédures et sa doctrine. Traditionnellement, les stratèges de l'Air Force n'ont en effet que dédain pour les cibles réduites comme un char isolé, un petit groupe de soldats ou une cahute abritant un canon : les pilotes et leurs commandants se préparent toute l'année à détruire avec précision des objectifs d'importance stratégique ou opérative, comme des postes de commandement ou des bâtiments ministériels. Or ce type de cible était rare en Afghanistan, où les besoins relevaient presque exclusivement de l'appui aérien rapproché (Close Air Support, CAS). Après 4 semaines d'hésitations et des discussions enflammées avec les troupes au sol, le CAOC a ramené le cycle de planification pour une mission d'attaque de 72 à 12 heures, et divisé le pays en 30 zones de destruction, au sein desquelles les avions pouvaient attendre une demande d'appui rapproché.

Pour les contrôleurs avancés, un contact direct pouvait ainsi être établi dans leur secteur avec la totalité des avions disponibles, qu'ils appartiennent à l'Air Force, à la Navy ou aux Marines ; selon les besoins, ils fournissaient une description de l'objectif, l'illuminaient avec un rayon laser ou transmettaient ses coordonnées GPS à l'équipage de l'appareil, qui les introduisait ensuite dans ses projectiles. Le délai entre une demande de feu et l'arrivée des coups au but atteignait en moyenne 20 minutes. Cette présence au sol, conjuguée à l'évolution technologique des vecteurs air-sol, ont permis en 10 ans une amélioration considérable de l'arme aérienne : alors que 3000 sorties d'attaque et d'appui étaient réalisées quotidiennement durant la Guerre du Golfe, ce chiffre s'est établi à 200 sorties en Afghanistan pour un nombre identique d'objectifs combattus ; de la sorte, les 10 avions nécessaires pour détruire une seule cible durant "Desert Storm" ont été remplacés en Afghanistan par 1 appareil détruisant en moyenne deux cibles différentes par vol.

B-52 au décollage à Diego Garcia

Les progrès réalisés dans les procédures et l'amélioration des équipements ont toutefois été contrebalancés par les précautions légales prises vis-à-vis des dommages collatéraux. Presque chaque attaque au sol sans contrôleur avancé a dû recevoir l'approbation du QG du Central Command, en Floride ; et malgré la retransmission en temps réel des images filmées par les drones ou les avions de combat, le nombre de juristes impliqués dans l'évaluation des risques posés par le milieu et les munitions ont parfois retardé l'autorisation au point de perdre certaines occasions fournies par des renseignements de qualité. Dans les faits, les dommages collatéraux sont restés assez bas, puisque entre 1000 et 1300 non-combattants ont péri sous les bombardements. Par rapport aux centaines de milliers d'Afghans sauvé de la mort par famine ou maladie, ces pertes tragiques restent acceptables.

«... Durant les 76 premiers jours, l'aviation américaine a effectué 6500 missions d'attaque et largué 17'500 projectiles, dont 57% de munitions intelligentes. »
«... Durant les 76 premiers jours, l'aviation américaine a effectué 6500 missions d'attaque et largué 17'500 projectiles, dont 57% de munitions intelligentes. »

Durant les 76 premiers jours de l'opération "Enduring Freedom", c'est-à-dire du début des frappes aériennes à la présentation du nouveau gouvernement afghan, l'aviation américaine a effectué 6500 missions d'attaque et largué 17'500 projectiles sur 120 objectifs fixes et plus de 400 objectifs mobiles ; sur les 57% de munitions intelligentes engagées, le type de guidage était également réparti entre laser et GPS. Les principaux vecteurs d'attaque ont été les bombardiers lourds B-1B Lancer et B-52H Stratofortress, qui effectuaient des missions longues de 12 à 15 heures en parcourant 9000 kilomètres : avec 10% des sorties, ils ont largué les deux tiers des munitions, soit 11'500 projectiles. Au total, l'Air Force n'a d'ailleurs réalisé que 25% des missions aériennes durant la première phase de l'opération, même si ses nombreux appareils de reconnaissance et de surveillance ont effectué 325 sorties jusqu'à la fin novembre.

En raison surtout de la configuration géographique, c'est donc l'aéronavale américaine qui a réalisé la majorité des vols. Pour autant, jamais une telle pénétration à l'intérieur des terres n'a dû être pratiquée au quotidien, et les chasseurs-bombardiers de la Navy se sont lourdement appuyés sur les ravitailleurs de l'Air Force ou ceux de la RAF britannique pour atteindre leur secteur de combat ; l'éloignement moyen de 800 kilomètres impliquait ainsi des missions longues de 6 à 9 heures, soit le double de la normale, et le nombre limité de ravitailleurs nécessitait parfois un atterrissage au Pakistan pour refaire le plein de carburant. De plus, l'incertitude liée à l'évolution des demandes faisait que 80% des appareils décollaient sans objectifs précis, et étaient dirigés par les AWACS de l'Air Force avant d'entrer en contact avec les contrôleurs avancés.

L'effort produit sur les porte-avions a de ce fait été considérable : à partir du mois de novembre, la nécessité de mener en moyenne 100 sorties par jour pour appuyer les combats terrestres a imposé au personnel embarqué des journées de travail atteignant 20 heures. Durant la première phase de l'opération, les F-14 Tomcat et F/A-18 Hornet de la Navy ont ainsi réalisé 4900 missions d'attaque et engagé 90% de munitions à guidage laser, satellitaire ou télévisuel. Par ailleurs, la flotte américaine a également tiré 88 missiles de croisière Tomahawk dans les 10 premiers jours de l'opération, dont la moitié à partir de sous-marins ; à cette occasion, elle est parvenue à ramener le cycle de programmation des missiles de 101 minutes, la norme durant la guerre du Kosovo, à 19 minutes.

Marines à Camp Rhino

La marine américaine a également innové dans l'usage de ses navires : le 30 septembre 2001, elle a ainsi fait appareiller le porte-avions à propulsion conventionnelle Kitty Hawk de son port d'attache de Yokosuka, au Japon, et l'a fait naviguer à vitesse maximale jusqu'à l'Océan Indien ; à son bord, une escadre aérienne amputée de tous ses avions à réaction, mais renforcée notamment par une quarantaine d'hélicoptères du 160th SOAR et par un bataillon du 75th Rangers Regiment – appartenant tous à l'Army. De la sorte, le Central Command a pu disposer d'une deuxième base avancée pour ses forces spéciales, réduisant sensiblement les problèmes de sécurité opérationnelle et à partir de laquelle des "bérets verts" ont été insérés au sud de l'Afghanistan.

«... La principale contribution du Corps à l'effort principal fut la constitution d'une base opérationnelle avancée au cœur du territoire sous contrôle ennemi.. »
«... La principale contribution du Corps à l'effort principal fut la constitution d'une base opérationnelle avancée au cœur du territoire sous contrôle ennemi. »

Pour sa part, le Corps des Marines a également fait preuve d'imagination pour s'adapter au théâtre d'opérations. Les formations amphibies stationnées dans l'Océan Indien ont ainsi dû remplir une mission rocambolesque : évacuer un hélicoptère de l'Army. Dans la nuit du 20 octobre, un Black Hawk transportant des Rangers s'est en effet écrasé au Pakistan, près de la frontière afghane ; en quelques heures, la 15th MEU fit décoller plusieurs hélicoptères CH-53E Super Stallion qui volèrent jusqu'au lieu de l'accident, hissèrent le Black Hawk en partie désossé, furent pris en embuscade lors d'une halte sur un aérodrome pakistanais qui les força au retrait sans l'épave, avant de monter un groupe de forces qui revint terminer le travail. Par la suite, les bases au Pakistan ont été sécurisées en permanence par les Marines.

Mais la principale contribution du Corps à l'effort principal fut la constitution d'une base opérationnelle avancée au cœur du territoire sous contrôle ennemi. Le 25 novembre, une compagnie de Marines à bord de 6 Super Stallion s'enfonça en pleine nuit sur 640 kilomètres pour s'emparer de l'objectif Rhino ; moins d'une heure plus tard, la piste était opérationnelle et les premiers KC-130 atterrissaient, débarquant des fantassins supplémentaires et des véhicules légèrement blindés. Par la suite, un véritable pont aérien nocturne permit de renforcer en permanence le camp retranché et de débarquer des moyens allant de l'hélicoptère de combat au bulldozer : chaque nuit, 10 avions de transport moyens C-130 atterrissaient et redécollaient avant l'aube, alors que les avions de transport lourds C-17 effectuèrent au total 43 livraisons.


Conséquences stratégiques

Dans le cadre de la stratégie d'ensemble, l'intégration renforcée a également concerné les services de renseignements. Les images satellitaires du National Reconnaissance Office (NRO), les détections de la National Security Agency (NSA), les évaluations de la Defense Intelligence Agency (DIA) et les informations de la CIA étaient non seulement disponibles en permanence au QG de Tampa, mais elles ont également été distribuées jusqu'à chaque équipe de "bérets verts" engagée au sol. Bien entendu, la collaboration étroite entre forces spéciales et services de renseignements est la règle, aussi bien en phase de planification que durant l'action proprement dite. Ce qui est vraiment nouveau, c'est l'intégration des moyens de la CIA à une stratégie d'ensemble dirigée par les militaires.

La mort d'un officier de la CIA durant la mutinerie menée dans la forteresse de Mazar-i-Sharif, alors qu'il était en train d'interroger des prisonniers taliban, a montré au grand jour l'implication étroite de l'agence dans l'opération "Enduring Freedom" et a même révélé l'existence de sa division paramilitaire. En fait, les membres de cette unité ont effectué de nombreuses missions clandestines en Afghanistan à partir de la prise du pouvoir par les Taliban, et des contacts utiles ont été établis et maintenus durant les années qui ont suivi. Le succès rapide de l'opération doit aussi beaucoup à ces relations de confiance. De plus, les renseignements obtenus par la CIA avant le 11 septembre ont permis de cibler les recherches et les interrogatoires après l'effondrement des fondamentalistes. Une quantité énorme d'informations a ainsi pu être réunie sur les activités d'Al-Qaïda.

Par ailleurs, la CIA a également engagé des moyens propres, comme ces drones armés qu'elle a initialement tenté de garder à son usage exclusif. Mis au point par l'Air Force au début de 2002, les avions sans pilote Predator équipés de missiles antichars Hellfire télécommandés ont en effet d'abord été livrés à l'agence, qui en a engagé plusieurs avec succès en Afghanistan – sans que l'on connaisse exactement l'ampleur de ce succès. En revanche, on sait avec certitude que le chef militaire d'Al-Qaïda, Mohammed Atef, a été traqué et localisé par un drone Predator de la CIA équipé d'un illuminateur laser, ce qui a permis de guider la bombe larguée par un F/A-18 et de mettre la cible définitivement hors d'état de nuire. Resté près du lieu de l'impact, le même drone a d'ailleurs pu diriger une seconde frappe lorsque des membres du réseau sont venus tenter de déblayer les décombres !

Soldats de l'Alliance du Nord

Malgré cela, le renseignement est resté le point faible de l'opération. Contraints dans l'urgence de planifier une guerre non conventionnelle, les militaires américains ont en effet surestimé la résistance des Taliban et des combattants d'Al-Qaïda, puisqu'ils pensaient que 5 mois seraient nécessaires pour renverser leur pouvoir. La capacité des forces spéciales à redresser l'opposition et à maximiser l'effet des frappes aériennes a fait tomber Kandahar avec 3 mois d'avance ; et si les diplomates ont été contraints de mener au pas de charge la formation d'un nouveau gouvernement, les militaires ont dû réorienter leur campagne dans le sens d'une contre-guérilla sans en avoir le temps ou les moyens. Nous verrons dans la deuxième partie de cette analyse les conséquences de cette déficience en terme de planification subséquente.

«... La capacité des forces spéciales à redresser l'opposition et à maximiser l'effet des frappes aériennes a fait tomber Kandahar avec 3 mois d'avance. »
«... La capacité des forces spéciales à redresser l'opposition et à maximiser l'effet des frappes aériennes a fait tomber Kandahar avec 3 mois d'avance. »

Il faut toutefois reconnaître que les risques conceptuels pris par les Forces armées américaines ont permis de remporter une victoire sensationnelle. Surveillés par des drones immanents, entourés d'ennemis insaisissables et bombardés par des avions invisibles, les Taliban se sont effondrés parce qu'ils n'avaient pas d'issue : concentrer leurs moyens pour résister aux offensives rebelles les exposait à la destruction par air, et se disperser pour y échapper empêchait de tenir la moindre portion de terrain. Une petite partie d'entre eux est parvenue à se réfugier dans des régions montagneuses, et d'autres ont plus ou moins rapidement changé de camp pour se soustraire à une mort certaine ; mais entre 8000 et 12'000 d'entre eux ont rejoint leur Créateur, dont l'évocation permanente n'a pas joué le rôle escompté.

Le rôle central joué par les forces spéciales dans ce succès, enfin, doit attirer l'attention sur le développement des formations non conventionnelles. Dans les années 90, et alors que l'ensemble des services subissaient une brutale contraction de leurs moyens, le Pentagone a continuellement augmenté les ressources allouées à l'USSOCOM, jusqu'à atteindre actuellement 3 milliards de dollars annuels pour environ 40'000 militaires. Avec la durée de formation et l'âge des membres des forces spéciales, ce sont des décisions prises au lendemain même de l'effondrement communiste qui ont porté leurs fruits en Afghanistan. De sorte que l'analyse prospective de la situation géostratégique a non seulement cerné l'évolution des menaces, mais également les réponses devant y être apportées. Avoir raison avec 10 ans d'avance, au besoin seuls contre tous, reste le défi permanent des militaires.




Cap Ludovic Monnerat    








Sources

Greg Jaffe, "Elite Army Psychological Unit Aims A Propaganda Campaign At Afghans", Wall Street Journal, 8.11.01 ; Joseph R. Chenelly, "15th MEU (SOC) Recovers Downed U.S. Army Helicopter In Pakistan", USMC, 9.11.01 ; Joseph R. Chenelly, "Marines Land, Seize Desert Strip", USMC, 25.11.01 ; John Barry, "A New Breed of Soldier", Newsweek, 10.12.01 ; Christopher Andrew, "How we won the spy game", The Times, 10.12.01 ; David McHugh, "A small group's big mission: taking out a Taliban convoy", Associated Press, 12.12.01 ; Jonathan Weisman, "A Soldier's Story: U.S. Backbone Wins Battle", USA Today, 26.12.01 ; Thom Shanker, "In Kandahar, New Mission For 'A Team': Make It Safe", New York Times, 7.1.02 ; Kirk Spitzer, "Green Berets Outfought, Outthought The Taliban", USA Today, 7.1.02 ; Donatella Lorch, "The Green Berets Up Close", Newsweek, 14.1.02 ; Thom Shanker, "Conduct Of War Is Redefined By Success Of Special Forces", 21.1.02 ; Dana Priest, "'Team 555' Shaped a New Way of War", Washington Post, 3.4.02 ; Milan Vego, "What Can We Learn from Enduring Freedom?", Proceedings, July 2002 ; GlobalSecurity.org, StrategyPage.com, Geostrategy-Direct.com, DEBKAFiles ; dépêches d'agences AP, AFP, Reuters.






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