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Le raid britannique sur le port de St-Nazaire reste le plus grand de tous les temps

4 janvier 2004

TirpitzL

e 28 mars 1942, les commandos de Sa Majesté ont détruit la cale sèche du port de St-Nazaire et ainsi empêché que le cuirassé Tirpitz, jumeau du Bismarck, ne puisse y être réparé après une possible guerre de course dans l'Atlantique. Ce raid exceptionnel, accompli au prix de pertes terribles, a prouvé dès cette époque le caractère irremplaçable des forces spéciales en cas de conflit.

Dans les sombres jours du début 1942, la ligne vitale de l'Atlantique était étirée jusqu'au point de rupture. Les U-Boote coulaient les navires de commerce alliés plus vite qu'ils ne pouvaient être remplacés, et à cette menace s'ajoutait celle des navires de surface allemands. Le printemps précédent, la Royal Navy avait pourchassé et coulé le cuirassé moderne Bismarck, mais d'autres raiders potentiels restaient en liberté. Le plus dangereux d'entre eux était le Tirpitz, le navire jumeau du Bismarck.


«... Le dock ne fut pas remis en service avant les années 50. Le monstrueux cuirassé Tirpitz restait privé de base, et il ne sortit jamais de son refuge norvégien. »


Le Tirpitz était un monstre, avec plus de 50'000 tonnes, un blindage épais et des canons de 380 mm. Il était si puissant qu'aucun cuirassé britannique ou américain ne pouvait l'affronter seul. Si ce géant parvenait à accéder aux les lignes empruntées par les convois dans l'Atlantique Nord, les résultats auraient pu être catastrophiques pour les Alliés. Avec son talent littéraire habituel, Winston Churchill a décrit de cette manière l'importance de la destruction du Tirpitz : « toute la stratégie de la guerre tourne à cette époque autour de ce bateau. »

Le Tirpitz était alors embusqué dans les eaux norvégiennes, de même que les cuirassés de poche Lützow et Admiral Scheer. La Royal Navy s'efforçait de neutraliser cette flotte dangereuse ou de la contraindre à sortir et à combattre, mais jusqu'ici les Britanniques manquaient de chance. Le danger était bien entendu que les navires allemands fassent une sortie pendant que les unités majeures de la flotte britannique opéraient ailleurs, et qu'ils ne s'attaquent à un convoi protégé uniquement par des corvettes, des chalutiers armés et des destroyers. Or, si la Royal Navy pouvait amener le Tirpitz à se battre et l'endommageait, il n'y avait qu'un seul port dans toute l'Europe occupée par l'Axe où il pourrait être réparé : la ville française de St-Nazaire.



Un objectif hautement fortifié

Cette petite ville portuaire abritait la forme-écluse Louis Joubert, mieux connu sous le nom de dock Normandie, une énorme cale sèche construite spécialement pour accueillir le Normandie, l'orgueil de la flotte passagère française d'avant-guerre. Le Bismarck, endommagé dans son combat avec le Hood et le Prince of Wales en mai 1941, avait mis le cap sur St-Nazaire lorsqu'un avion Fairey Swordfish de la Royal Navy le frappa d'une torpille, avant que la force navale britannique qui le poursuivait l'intercepte et le coule. C'était également à St-Nazaire que le Tirpitz irait pour réparer des dégâts causés par des torpilles, des bombes ou des obus. Les Britanniques étaient décidés à supprimer le seul refuge du navire géant - et c'est ainsi qu'est née l'opération Chariot.

St-Nazaire et le dock Normandie se trouvent sur l'estuaire de la Loire, à environ 10 km de son embouchure. Au printemps de 1942, le fleuve était large de 1,5 km et relativement peu profond, sauf là où un canal pour grands bateaux avait été dragué, près de la rive nord de l'estuaire. Le dock lui-même était énorme, un bassin de 349 mètres sur 50. L'accès reposait sur des portes monstrueuses épaisses de 11 mètres, tellement massives que les Britanniques les appelaient des «caissons». Elles mesuraient 52 mètres de long et 16 de haut, et avaient été conçues pour être déplacées sur d'énormes roulettes.

Les maisons de treuil et les stations de pompage étaient construites à la même échelle que le grand dock. Sur un côté de la cale sèche se trouvaient St-Nazaire et les bassins de Penhouet, de larges mouillages artificiels qui étaient généralement utilisés par les petits navires de guerre allemands. Le bassin de St-Nazaire, le plus grand des deux, étaient attribués aux U-Boote, qui atteignaient l'estuaire de la Loire à travers une suite d'écluses. Certains des abris bétonnés pour U-Boote de St-Nazaire étaient en service, alors que d'autres étaient encore en construction.

D'autres installations du port étaient à proximité, de même que des écluses, des ponts, des quais, des réservoirs souterrains de carburant pour les sous-marins, et une centrale électrique. L'ensemble du complexe était défendu par quelque 100 canons de tailles diverses, infesté de projecteurs de recherche et fréquenté par des dragueurs de mines et des vaisseaux de défense côtière. La ville elle-même abritait jusqu'à 5000 soldats et marins allemands, dont une brigade d'infanterie complète.

Pour surmonter ces défenses formidables, les Britanniques savaient qu'ils devaient engager leurs meilleurs soldats - les commandos. Les soldats de la Couronne avaient à dire vrai une longue histoire des raids audacieux. Ils ont organisé des dizaines d'expéditions avec de petits bateaux contre les Espagnols et les Français à l'époque de la voile. Et ils ont également mené durant la Première guerre mondiale les frappes risquées contre Zeebrugge, en Belgique, pendant lesquelles des troupes débarquées ont neutralisé les défenses côtières allemandes alors que la marine coulait trois vieux croiseurs dans le canal qu'empruntaient les U-Boote allemands pour gagner la Mer du Nord.

Les commandos britanniques s'étaient déjà distingués dans des raids similaires, de l'Afrique aux îles Lofoten en Norvège. L'attaque des Lofoten en avril 1941 avait été un énorme succès. Elle avait totalisé 11 navires coulés, 800'000 gallons de pétrole brûlés, 216 Allemands et 60 « Quislings » norvégiens [autrement dit des collaborateurs, note du traducteur] faits prisonniers, et plus de 300 Norvégiens engagés volontaires pour les forces de la Norvège libre. Les Britanniques n'ont enregistré qu'un seul blessé.

Alors que la plupart des premiers raids menés par les commandos ont entraîné des pertes, de l'embarras et de l'inquiétude pour l'Axe, St-Nazaire posait un défi bien plus difficile que tout ce qui avait été tenté précédemment. Si l'offensive réussissait, et rien n'était moins sûr, ce serait le raid le plus audacieux de la guerre. Les commandos devaient être engagés durant la dernière semaine de mars, car c'est seulement à cette période qu'ils auraient une pleine lune et une marée montante entre 2400 et 0200.



Des moyens limités

Les ressources britanniques étaient maigres. Certains des commandos devaient se déplacer sur une flotte de 15 vedettes, des bateaux en bois non blindés et longs de 34 mètres, qui transportaient leurs réservoirs auxiliaires sur le pont et n'avaient pour armement qu'un canon bitube Oerlikon de 20 mm et une paire de mitrailleuses Lewis datant de la Première guerre mondiale. Quatre de ces fragiles embarcations transportaient également des torpilles. Les vedettes avaient deux avantages : elles atteignaient 18 nœuds de vitesse et n'avaient qu'un très faible tirant d'eau. En entrant dans l'estuaire de la Loire sur une marée de printemps, elles pouvaient opérer sur les hauts fonds et autour de plages de vase, en-dehors du canal principal fortement défendu.

Une puissance de feu légèrement supérieure était fournie par une unique canonnière motorisée en bois. Elle portait un canon antiaérien Vickers de 40 mm, deux mitrailleuses bitubes de 12,7 mm et un canon de 40 mm semi-automatique. Elle était destinée à faire office de bateau de commandement et à guider les raiders jusqu'à la Loire, car elle était équipée à la fois d'un radar et d'une sonde sonore.

Il y avait enfin le torpilleur 74, dont les tubes conçus pour être arrimés à mi-coque avaient été avancés presque jusqu'à la proue, dans l'idée qu'il puisse lancer ses torpilles par-dessus un filet anti-torpilles. Celles-ci avaient été modifiées et avaient reçu une minuterie, de manière à ce qu'elles explosent après avoir reposé un instant au sol. La fonction du navire était de torpiller le caisson sud si l'arme principale ne fonctionnait pas. Le torpilleur 74 était un bateau étrange qui avait du mal à maintenir une vitesse donnée entre l'extrême lenteur et les 40 nœuds atteints à fond. Il devait être remorqué pour entrer en action, au grand dégoût de son capitaine, le sous-lieutenant Micky Wynn, l'un des nombreux audacieux excentriques (« d'une excentricité folle », selon un officier supérieur) qui avaient trouvé leur place dans la Royal Navy en guerre.

Mais aucun de ces vaisseaux ne pouvait fournir l'impact principal, le coup d'assommoir qui mettrait la cale sèche hors service presque indéfiniment. Il n'y aurait pas de deuxième chance. Les commandos mettraient pied à terre pour détruire les grands caissons coulissants, les maisons de treuil et la station de pompage, mais même cela ne pourrait pas rendre le dock inutilisable pour le restant de la guerre. Il fallait quelque chose de plus, et ce quelque chose s'est révélé être le HMS Campbeltown. Ce vieux destroyer à 4 cheminées long de 95 mètres, alias USS Buchanan, était l'un des 50 destroyers obsolètes transférés à la Royal Navy par les Etats-Unis en échange de l'usage privilégié de bases au sein des Caraïbes britanniques.

En vue du raid, le Campbeltown a été envoyé dans une installation de la Royal Navy à Devonport pour y subir un lifting. Une reconstruction de 9 jours lui a permis de ressembler un peu à l'un des navires de guerre allemands largement utilisés de la classe Möwe, une sorte de croisement entre un petit destroyer et un grand torpilleur. Les ouvriers de Devonport ont allégé au maximum le vieux destroyer, car il devait franchir les hauts fonds de la Loire, où même à marée haute il n'y avait qu'à peine 3 mètres d'eau. Tous les tubes lance-torpilles et l'équipement anti-sous-marin du Campbeltown furent enlevés, de même que deux de ses cheminées, la plupart de ses mâts et tous ses canons sauf un. Les deux cheminées restantes furent raccourcies, et les ouvriers ajoutèrent un mince blindage autour de la passerelle. Ils installèrent également 4 plaques de blindage hautes de 5,4 mètres de la passerelle à la poupe, afin de donner une certaine protection aux éléments débarqués du commando. De plus, le bateau reçut 8 canons Oerlikons de 20 mm, et son unique pièce de 76 mm fut déplacée de la poupe à la plage avant.

Le mordant du Campbeltown était constitué de 24 charges de profondeur, placées dans un réservoir en acier bétonné dans la coque, juste derrière le piédestal qui avait porté le canon du pont avant. Cette charge énorme, qui représentait plus de 4 tonnes d'explosifs, était amorcée par d'autres explosifs fixés à des détonateurs ayant un délai de 8 heures. Ces détonateurs devaient être activés en remontant la Loire. Si tout se déroulait conformément au plan, le Campbeltown emboutirait les énormes portes de la cale sèche, se frayerait un chemin à travers et s'enfoncerait profondément dans le bassin. Il serait ensuite sabordé à cet endroit, puis avec un peu de chance exploserait et détruirait le dock Normandie jusqu'à la fin de la guerre. La charge explosive était bien suffisamment derrière la coque du Campbeltown pour ne pas à ne pas être endommagée par la déformation inévitable de la proue, et bien assez à l'avant pour être dans la zone de la cible.



Attaquer à 1 contre 10

La mission des commandos était de débarquer rapidement, de tirer sur tout ce qui était important et de détruire au maximum l'équipement vital du dock et d'autres installations du port. Les portes des écluses reliant le bassin des sous-marins était un objectif prioritaire - les mettre hors service bloquerait l'accès à l'océan et limiterait sérieusement l'utilité du bassin. Au total, les commandos avaient pour but de démolir 4 ponts, 6 centrales électriques, 8 portes d'écluses et 13 canons.

La force terrestre devait compter 256 hommes et officiers, provenant de 6 différentes compagnies de commandos. Certains des raiders ne transportaient qu'un pistolet et un énorme sac à dos contenant jusqu'à 40 kg d'explosif. La tâche d'autres groupes de 5 hommes, chacun équipé de mitraillettes Thompson et d'une mitrailleuse Bren, consistait à couvrir les porteurs d'explosifs pendant qu'ils posaient leurs charges. D'autres éléments de combat, formés chacun de 2 officiers et de 12 hommes, devaient prendre d'assaut les positions d'artillerie, établir un périmètre autour du dock et repousser les renforts venant de la ville. Pour des crises imprévues, il y avait une maigre réserve de 12 hommes, ainsi qu'un médecin et un petit détachement médical.

Le raid devait être conduit par le lieutenant-colonel A. C. Newman, un officier territorial du régiment de l'Essex, chef du 2e Commando et vétéran des raids réussis en Norvège. Le contingent naval était commandé par le commandant R. E. D. Ryder - inévitablement appelé « Red. » Ryder était le loup de mer britannique par excellence, un vétéran de l'exploration polaire, des sous-marins, des Q-ships [des navires anti-sous-marins déguisés en bateaux marchands, NDT] et de deux naufrages sur navires de guerre. Ces deux chefs étaient des professionnels calmes et réfléchis.

Les hommes qui les ont suivis comptaient des soldats et des marins de carrière, mais la plupart étaient des guerriers temporaires ; le détachement de Newman comprenait un membre de la Bourse de Londres, un mineur, un conservateur de musée et un économiste. Tous avaient acquis un niveau excellent en suivant l'entraînement meurtrier des commandos. Nul ne portait le badge commando sur son épaule sans survivre à des marches forcées épuisantes - 100 kilomètres en 24 heures était le standard, et quelquefois les hommes devaient accomplir 11 kilomètres en une heure. Une unité avait fait une marche mémorable de 104 km en 23 heures. Tout le monde se partageait les charges, sans différence entre officiers, sous-officiers et soldats. Tout le monde s'entraînait dans la neige et le froid des hivers dans les Highlands ; tout le monde frissonnait durant les débarquements dans les eaux glaciales des Hébrides ; tout le monde apprenait à tuer des hommes à mains nues et au couteau.

Ces volontaires en temps de guerre savaient qu'ils se jetaient dans les bras de la mort. Avec une honnêteté déprimante, le vice-amiral Louis Mountbatten, chef des opérations combinées, a en fait dit à Newman que lui et ses hommes étaient passés par pertes et profits: « je suis sûr que vous pouvez y aller et faire le boulot, mais nous n'avons pas beaucoup d'espoir de pouvoir vous extraire. Même si on vous perd tous, les résultats de l'opération en auront valu la peine. Pour cette raison, je veux que vous disiez à tous les hommes ayant des responsabilités familiales, ou qui pensent devoir se retirer pour n'importe quelle raison, qu'ils sont libres de le faire et que personne ne leur en voudra pour cela. » Newman a transmis l'offre de Mountbatten à ses commandos, mais pas un seul homme ne s'est défilé.

L'entraînement en vue du raid a duré des semaines, en particulier à la cale sèche King George V de Southampton, qui était assez grande pour accueillir le Queen Mary de 75'000 tonnes. Les groupes d'attaque ont répété leurs tâches encore et encore, et passé plus de temps encore autour d'une maquette précise à l'aide de photos prises par les avions de reconnaissance de la RAF. Les équipes de démolition se sont entraînées de jour, puis en portant des bandeaux et enfin de nuit. La règle était de placer les explosifs sur la cible en 10 minutes ou moins, et à chaque répétition des hommes étaient déclarés touchés de manière impromptue, afin que les autres membres de l'équipe soient contraints d'apprendre chaque fonction en plus de la leur.

Les raiders ont même inventé un mot de passe à l'épreuve des Allemands : « war weapons week », avec « weymouth » pour réponse, car il n'y a pas de son « w » en allemand. Ils ont également consenti à quelques jeux d'acteurs pour les espions allemands qui pouvaient se trouver autour de Falmouth, leur point d'embarquement. Ils se sont eux-mêmes appelés la « 10e force de frappe anti-sous-marine » et ont lancé la rumeur qu'ils étaient organisés pour rechercher des U-Boote loin au-delà des approches occidentales des Iles britanniques. Ils ont également concocté une histoire selon laquelle la force allait quelque part à l'est du canal de Suez, et ils se sont assurés que quiconque les observait pouvait voir que des lunettes de soleil et d'autres équipements de haute température étaient transportés à bord des bateaux qui les emmèneraient en France.

Au milieu du mois de mars, tout était aussi prêt qu'ils pouvaient le faire. Des images aériennes de dernière minute ont montré 4 nouveaux canons de défense côtière près de l'objectif. Ces nouvelles pièces n'étaient qu'une partie des armements incroyablement puissants du 280e groupe d'artillerie navale, qui couvrait l'estuaire avec 28 canons d'un calibre allant de 70 mm jusqu'aux tubes massifs de 170 mm. Il y avait même une batterie de canons sur rail de 240 mm, le long de la côte à la Baule, à près de 15 km de là. Trois groupes de DCA navale étaient également situés à l'intérieur de St-Nazaire ou à proximité. Ces unités engageaient 43 canons de 20 à 40 mm et quelques autres de 37 mm, dont un grand nombre étaient positionnés dans des tours DCA, au sommet de bunkers ou de toits. Et ceci sans compter les avions de la Luftwaffe, les canons des bateaux mouillant près du dock ou les destroyers errants de la Kriegsmarine.

Dans le bassin de Penhouet ou celui des sous-marins se trouvaient 10 dragueurs de mines, 4 navires de défense côtière et 9 U-Boote - bien que ceux-ci n'avaient que des équipages squelettiques. Un Sperrbrecher lourdement armé - conçu pour combattre les mines magnétiques - était ancré dans le courant. Deux pétroliers étaient en réparation à l'intérieur du grand dock et dans un autre à proximité. Il y avait également 4 torpilleurs de classe Möwe amarrés dans le bassin à sous-marins, et ils occupaient l'endroit exact où Ryder et Newman avaient prévu de placer leur poste de commandement sur la canonnière. L'opération Chariot continuerait quand même. Les risques étaient formidables : 611 raiders, en 2 groupes à peu près égaux de marins et de commandos, s'élanceraient contre des adversaires 10 fois plus nombreux. L'audace et la surprise devaient compenser la disparité des forces.



Dans les eaux de la Loire

Les raiders ont quitté Falmouth tard dans la journée du 26 mars, guidés par les destroyers Atherstone et Tynedale, suivis par le Campbeltown et flanqués des deux côtés par les petites vedettes. Le torpilleur 74 et la canonnière étaient remorqués par les destroyers. Les commandos visibles sur les ponts portaient des tricots et des duffel coats pour tromper tout avion ou sous-marin inquisiteur. Durant la nuit, les Britanniques ont changé de cap et hissé les couleurs allemandes. Le matin suivant, ils ont aperçu un U-Boote, que le Tynedale ont contraint à plonger avec ses canons et ses charges explosives. On n'entendit plus parler du sous-marin, le U-593, mais nul ne pouvait dire s'il avait transmis la position et le cap de la flottille.

Il est apparu qu'il l'avait fait, mais les Britanniques ont eu de la chance. Le U-593 n'avait probablement pas vu les petites vedettes - elles étaient trop bas sur l'eau - et avait également transmis à son commandement qu'il avait vu une force britannique voguant à l'ouest au lieu de l'est. Les Allemands en ont logiquement déduit que le sous-marin avait vu une opération de minage, et ont envoyé des navires pour en savoir davantage. Ils n'ont trouvé qu'une mer vide.

Vers 2200 cette nuit-là, la force aperçut une lumière venant du sous-marin Sturgeon de la Royal Navy, posté en guise de balise de navigation pour marquer le point de départ de l'étape finale pour l'estuaire de la Loire. La petite flottille changea de cap et s'élança dans la gueule du loup, la canonnière en tête et le Campbeltown juste derrière. L'Atherstone et le Tynedale virèrent de bord, naviguant en appui rapproché au large de l'estuaire. Chaque homme avait vérifié et revérifié ses armes, et les équipes de démolition avaient soigneusement empaqueté leurs charges au plastic dans l'ordre dans lequel elles seront utilisées. Chaque charge, variant entre une demi-livre et deux livres, étaient méticuleusement emballée dans du papier étanche.

Au-dessus de St-Nazaire, tranchant sur les ténèbres, les obus allemands faisaient des arcs dans un ciel nuageux, un repère dans la nuit. La RAF effectuait un raid de diversion, bien que la plupart des bombardiers n'ont pas largué leurs charges de crainte de tuer des civils français. En fait, les scrupules des Britanniques ont inspiré les doutes d'un commandant de garnison allemand, qui nota que les bombardiers ne larguaient aucune bombe par instant. « Une diablerie se prépare », a-t-il dit, et il a averti sa garnison de sa « suspicion de parachutages. » Les pilotes de la RAF, qui ne savaient rien du raid imminent en-dessous d'eux, ont dit plus tard qu'ils auraient piqué avec joie pour bombarder au ras du sol si on leur avait dit ce qui était en jeu.

A 2300, sur le Campbeltown, le lieutenant Nigel Tibbets - expert en explosifs - amorça les détonateurs de l'énorme bombe du bateau. Les charges devaient exploser entre 0500 et 0900 le matin suivant. Les colonnes britanniques croisaient posément dans l'estuaire de la Loire, maintenant leur vitesse à moins de 10 nœuds. Les petits bateaux étaient peu maniables à basse vitesse, mais le Campbeltown avait moins de tirant d'eau à 10 nœuds qu'à haute vitesse, et il était essentiel de le maintenir au minimum pour franchir les plages de vase.

A présent, tout le raid dépendait d'un seul homme, le lieutenant A. R. Green de la Royal Navy, navigateur sur la canonnière. C'était à lui d'ouvrir la marche, en maintenant le destroyer hors des hauts fonds et de la vase qui se cachaient autour de lui dans les eaux sombres du fleuve. A deux reprises, le Campbeltown rafla le fonde la vase, réduisant sa vitesse de moitié, mais il poursuivit sa route. La navigation de Green était superbe, et les pilotes professionnels de la Loire ont dit après la guerre que sa conduite du Campbeltown à travers les hauts fonds était « sans précédent dans l'histoire du port. »

Toujours en belles colonnes, la flottille britannique naviguait hardiment dans la nuit, mais elle fut aperçue à 0115 et le quartier-général allemand transmit une alerte de débarquement. Cependant, c'est seulement à 0122 que les défenses côtières ont réagi. Des projecteurs de recherche illuminèrent le fleuve depuis les deux rives, et les Allemands interrogèrent les vaisseaux. Un transmetteur britannique en uniforme allemand répondit, donnant un signal d'appel extrait d'un livre de transmissions dérobé. Cela retint les batteries allemandes pour quelques minutes de plus, et les Britanniques envoyèrent d'autres signaux, en demandant l'amarrage immédiat de bateaux endommagés par l'ennemi. Finalement, lorsque les Allemands commencèrent enfin à ouvrir le feu, les Britanniques émirent le signal international de bateaux pris sous le feu ami.

Dès que les canons allemands se sont mis à tirer pour de bon, les Britanniques amenèrent leurs couleurs allemandes, levèrent l'insigne blanc et répliquèrent avec chaque arme, y compris les mitrailleuses Bren des commandos. Leur feu eut un effet immédiat. Le Sperrbrecher se tut rapidement, son canon de 88 mm étant mis hors combat. Les tirs allemands des berges commencèrent à diminuer, et plusieurs projecteurs furent détruits. L'efficacité du feu britannique fut un triomphe, a dit Ryder par la suite, « pour les nombreux canonniers du navire côtier et du Campbeltown. » Dans la confusion, les petits bateaux de bois émirent de la fumée et mirent abruptement le cap sur la masse noire du chantier de construction navale, alors que le capitaine du Campbeltown, le lieutenant de vaisseau R. H. Beattie, demanda toute la vitesse que son navire pouvait donner.

Au terme de sa longue vie, le Campbeltown se précipitait pour mourir en beauté. Sur le pont, Beattie ordonnait les corrections de cap en visant les grands portes caissons toujours éloignées de quelque 700 mètres. Ses canons Oerlikons étaient en action et pilonnaient les défenses côtières allemandes. Lorsque les servants de deux Oerlikons furent touchés, d'autres membres d'équipage se ruèrent dans le déluge de feu pour les remplacer. Les traçantes allemandes se déversaient sur vers le Campbeltown, et des obus plus lourds s'écrasaient sur ses flancs. Newman, qui l'observait depuis la canonnière, a dit par la suite : « Le poids du feu coupait le souffle. Ses côtés semblaient vivants sous l'éclatement des obus. » Les hommes morts et blessés jonchaient ses ponts ensanglantés.

Le barreur et le bosco du Campbeltown avaient tous deux été tués sur le pont, mais Tibbets a calmement devancé un autre officier et pris la barre. « Je vais le prendre, mon vieux », a-t-il dit, et il a maintenu le vieux bateau droit sur son erre glorieuse. Presque aveuglés par les projecteurs allemands, Beattie et Tibbets sont restés de vrais marins professionnels, laconiques et neutres au milieu du feu et du carnage. Le calme glacé de Beattie amena un observateur à s'exclamer : « Par Dieu ! Le parfait élizabéthain ! »

« A tribord toute », dit tranquillement Beattie à son nouveau barreur.

« A tribord toute », répondit tout aussi calmement Tibbets.

« Cap au 055. » Puis « bâbord 25. »

« La barre à bâbord 25, Monsieur. »

« Cap au 345. »

Beattie ordonna finalement, « cap au 350 », et le vieux Campbeltown fonça directement sur le caisson sud de la cale sèche. Puis, « préparez-vous à l'éperonnage. » Juste avant l'impact, Beattie ordonna « bâbord 25 », et Tibbets balança la poupe à tribord, dégageant habilement une place de débarquement pour les vedettes qui le suivaient.

A la vitesse de 19 nœuds, le vieux destroyer déchira les câbles d'un filet anti-torpilles, s'écrasa dans le grand caisson méridional et se coinça profondément à l'intérieur du grand dock. Sa proue en acier se voilà sur 11 mètres sous l'impact gigantesque. Il était solidement bloqué, pointant vers le haut à un angle d'environ 20 degrés, sa poupe presque submergée. Beattie s'est permis de sourire, puis déclara, « eh bien, nous y voilà, avec 4 minutes de retard. » Il était 0134, juste 4 minutes hors de l'horaire soigneusement planifié par Ryder.



Les groupes terrestres en action

Les survivants des raiders passaient par-dessus le bord du Campbeltown. La plupart d'entre eux avaient été touchés, mais quiconque pouvait se déplacer descendit du dock sur des échelles télescopiques et se lançait dans sa mission. L'équipage du canon avant et les hommes servant les mortiers des commandos étaient tous hors combat, morts ou blessés, mais les Oerlikons restants continuaient de déverser un feu précis sur les défenses côtières. Avec tant de morts et de blessés, pas plus de 113 commandos n'abordèrent la rive, et environ un quart d'entre eux - les hommes chargés des démolitions - ne portaient que des pistolets.

Le colonel Newman mit pied à terre avec son groupe de commandement et fut immédiatement confronté à une furieuse fusillade avec des canons allemands montés sur les abris des sous-marins, les canons des garde-côtes et une batterie côtière. Le sergent-major Haines arriva avec un mortier de 2 pouces au milieu de cet enfer, installa calmement son tube et parvint à réduire l'essentiel du feu allemand, même s'il tirait sans organe de visée. Lorsque l'un des bateaux allemand dans le bassin de St-Nazaire tira sur le groupe de Newman, Haines le fit taire avec une mitrailleuse Bren.

Le lieutenant John Roderick conduisit son groupe au bas des échelles télescopiques par la proue du Campbeltown, prenant d'assaut deux positions de mitrailleuses ennemies dans la foulée en les détruisant à la grenade. Le prochain obstacle était une tour de DCA, que les hommes de Roderick ont détruit en lançant des grenades sur le toit, dans les supports des canons. Ils réduisirent ensuite au silence une position de 40 mm toute proche. Au-dessus d'eux, un autre canon et un projecteur allemand avaient été détruits par le feu britannique, bien que qu'à ce jour encore nul ne sache qui l'ait tiré.

Pendant ce temps, le capitaine Donald Roy menait ses Ecossais en kilt au-delà de la station de pompage, à travers un pont et dans le bassin à sous-marin, où ils parvinrent à retenir des renforts allemands durant une demi-heure. En passant, il détruisit les canons placés sur le toit de la grande station de pompage en béton. Les survivants allemands avaient pris la fuite dans la nuit. Les hommes de Roy subirent de lourdes pertes sous le feu de canons multitubes de DCA situés à l'extrémité du bassin et des navires ancrés à l'intérieur. Mais les Allemands les considéraient comme une menace suffisante pour que l'équipage d'une navire de défense portuaire, redoutant la capture, le sabordent.

Derrière le groupe écossais de Roy, le lieutenant Stuart Chant - déjà touché au bras droit et à la jambe gauche - conduisait son équipe de démolition vers son objectif, la station de pompage du grand dock. Les hommes de Roy avaient déjà éliminé les canonniers allemands sur le toit du bâtiment. Le groupe de Chant plaça un « palourde » - une petite charge aimantée - sur les portes bloquées, défoncèrent ces portes et plongèrent dans les entrailles du bâtiment, se dirigeant vers la machinerie 12 mètres plus bas. L'un des hommes de Chant, qui avait déjà été blessé et ne pouvait plus marcher, fut laissé en couverture à l'entrée de la station de pompage.

Le sergent A. H. Dockerill, jadis enfant de chœur à la cathédrale d'Ely, portait à la fois le sac d'explosifs pesant 27 kg du blessé et le sien en descendant le long des escaliers d'acier. Chant, les mains coupées et en sang, posa les charges avec ses hommes - environ 18 kg de plastic pour chacune des énormes pompes, puis les envoya au sommet du bâtiment en ne gardant que Dockerill avec lui, « au cas où mes blessures devaient m'empêcher de mettre à feu les charges. » Pendant qu'il travaillait, la station de pompage était secouée par les lourdes explosions venant du toit, où Roy détruisait les canons allemands. Dès que Chant et Dockerill allumaient les détonateurs, ils n'avaient que 90 secondes pour remonter l'escalier de 12 mètres et se mettre en sécurité. Chant réussit à monter en boitant les marches dans ce délai, en s'accrochant à la ceinture du solide Dockerill.

Mais il avait bien placé ses charges. L'explosion ne laissa de la station qu'un amas de béton et projeta les moteurs des pompes dans le cratère en contrebas. Son groupe termina le travail et démolit ce qui restait debout avec des marteaux de forgeron et des charges incendiaires. Puis Chant ramena ses hommes vers la rivière, en direction du « Vieux Môle », une jetée qui s'avançait directement dans la Loire, juste au sud de l'ouverture de la cale sèche. Comme leur itinéraire était barré par un pont que le feu allemand balayait, les hommes de Chant s'accrochèrent aux poutrelles sous la structure et ainsi passèrent de l'autre côté.

Le lieutenant Bob Burtenshaw descendait avec son groupe le long du dock près du Campbeltown. Portant la casquette du commandant Beattie - on ignore comment il l'a eu - et son monocle fermement vissé à l'œil, il fredonnait l'air « There'll Always Be An England » pour lui-même au milieu du feu allemand. Dans les ténèbres, il tomba sur les survivants du groupe du lieutenant Gerard Brett, qui avaient laissé à couvert leur commandant blessé et avaient atteint le caisson nord du dock, non sans tuer deux Allemands croisés en chemin. Ils avaient essayé sans succès de forcer l'ouverture de l'écoutille menant à l'intérieur de l'énorme caisson.

Déjà blessé, Burtenshaw prit le commandement et les équipes mélangées placèrent une dizaine de charges de 8 kg dans l'eau, contre la face du caisson. Les Allemands répondirent par le feu nourri des bateaux mouillant dans le bassin, et Burtenshaw prit la tête d'un petit groupe et descendit le long du mur pour essayer de neutraliser ces tirs. Comme ils avaient transporté leurs lourdes charges explosives, Burtenshaw et ses hommes ne portaient que des pistolets, mais avec ces maigres armes - et l'aide de deux mitrailleurs anglais - ils prirent d'assaut les armes automatiques qui balayaient les sapeurs sur le caisson. Les Allemands prirent la fuite, mais Burtenshaw, toujours fredonnant, fut tué au bord du dock.

La maison de treuil au sud du dock avait également été détruite par un groupe commandé par le lieutenant Christopher Smalley, ses moteurs et ses énormes gerbes réduit à un enchevêtrement de métal, bien que Smalley ait été tué lorsqu'il ramenait ses hommes vers les vedettes restantes. Les hommes du lieutenant Corran Purdon brisèrent la porte d'acier de la maison de treuil du caisson nord, posèrent leurs charges et observaient lorsque leurs explosions démolirent la cible.



L'hécatombe de la flottille

Sur le fleuve, les vedettes en bois avaient terriblement souffert sous le déluge de feu allemand. Plusieurs avaient coulé, étaient en train de le faire ou brûlaient lorsque le Campbeltown s'écrasa. Du carburant enflammé se répandait sur le fleuve pendant que les commandos et les marins luttaient pour nager dans l'eau glaciale, en tirant leurs camarades blessés. Aucun survivant ne pourra jamais oublier les cris des hommes piégés dans le carburant en feu. Le bateau du sergent-major Moss coula sans parvenir à la rive, et ses survivants l'avaient abandonné. Avec cran, Moss nagea vers la terre en remorquant lui-même le radeau - et il mourut avec chaque homme sur le flotteur dans un torrent de rafales de mitrailleuses.

L'une des vedettes prit feu et explosa, en tuant 15 des 17 commandos à bord ainsi que l'essentiel de son équipage. Une autre vedette stoppa pour repêcher les survivants et les extraire du carburant en feu, mais il fut déchiqueté par le feu allemand. Une autre encore perdit un moteur ainsi que sa barre et dut se retirer, et trois autres étaient en flammes. La vedette qui récupéra les survivants du Campbeltown tenta de prendre la fuite vers le large, en zigzaguant et en émettant de la fumée, mais les batteries côtières allemandes étaient simplement trop nombreuses. Touché de nombreuses fois, la vedette se mit à dériver le long de la Loire, tel un phare brûlant dans les ténèbres, privé de capitaine. A part Beattie et un autre homme, chaque officier du Campbeltown mourut à bord, y compris le courageux Tibbets.

La canonnière cabossée de Ryder était jonchée de morts et de blessés, et sur le fleuve 5 vedettes brûlaient furieusement dans la nuit. Au canon pom-pom du pont avant, le marin William Savage déversait un feu continu et précis sur les batteries côtières allemandes. Complètement exposé, sans même une plaque en guise de protection, Savage pilonna calmement les canons allemandes pendant 25 terribles minutes.

Alors que le feu allemand continuait à balayer la canonnière, la plupart des blessés à bord ont été touchés pour la deuxième ou la troisième fois. Pour sauver ses hommes blessés, Ryder donna à contre-cœur l'ordre de se retirer et la canonnière, tirant toujours de ses armes restantes, mit le cap sur l'embouchure de la Loire. Certains des vedettes survivantes rentrèrent à la maison en même temps, en émettant de la fumée pour couvrir leur retrait. Lorsque la canonnière prit enfin le cap de retour, un éclat d'une nouvelle salve allemande tua Savage.

Micky Wynn orienta le torpilleur 74 vers son objectif secondaire, les portes des écluses menant à l'intérieur du bassin de St-Nazaire. Wynn entendit ses projectiles frapper les portes et fit demi-tour, sa mission accomplie. Lui et son torpilleur 74 avaient une voie dégagée vers la sécurité, en redescendant la Loire à 40 nœuds - jusqu'à ce que Wynn tombe sur deux survivants britanniques s'accrochant à un canon de sauvetage dans l'eau. Refusant de les abandonner, il rangea son petit bateau le long du canot, mais avant que les hommes ne puissent être hissés à bord, un torrent de feu déchiqueta le torpilleur 74. Le brave Wynn, ayant perdu un œil, fut secouru avec deux autres hommes par des navires allemands. Tous les autres hommes à bord étaient morts.

Sur la rive, les commandos survivants commencèrent à se réunir autour de Newman, qui rassembla quelque 70 hommes dont la moitié étaient blessés. Newman leur annonça que toutes les vedettes avaient été soit coulées, soit retirées de l'enfer le long de la rive. Il leur ordonna de se diviser en petits groupes et de se diriger vers l'intérieur du pays, de ne pas se rendre tant qu'ils avaient des munitions, et d'essayer d'atteindre la frontière espagnole. Il nomma rapidement des chefs pour chacun des détachements. « Leurs saluts », a-t-il écrit plus tard, « et leur allure auraient pu être ceux de l'Ecosse, et les ordres de combattre à terre furent reçus avec des sourires. »

« C'est une belle nuit au clair de lune pour cela », leur déclara Newman, et ses hommes commencèrent à se séparer, sautant par-dessus les haies des jardins et s'enfonçant dans les allées. Les commandos tiraient sur tout ce qui bougeait en progressant vers le côté est de la zone des bassins, abattant un motocycliste et un pilote de side-car allemands en route, et nettoyant des poches de résistance allemandes. Certains combats s'effectuaient à mains nues. Mais la zone grouillait d'ennemis, et petit à petit les raiders étaient abattus ou capturés.

Pendant ce temps, en haute mer, le Tynedale et l'Atherstone avaient affronté quatre destroyers allemands, et l'Atherstone collectait les survivants de trois vedettes britanniques, leurs ponts recouverts de sang et jonchés de commandos grièvement blessés. Le Tynedale avait recueilli les blessés de trois autres vedettes et de la canonnière, puis transféré certains des hommes à l'Atherstone. Chargés de blessés, les deux destroyers rentraient à vitesse maximale vers Falmouth, couverts par les avions du Coastal Command. Lorsqu'un Junkers Ju-88 se mit à menacer les navires, un Bristol Beaufighter de la RAF attaqua et s'écrasa dans l'appareil allemand. Les équipages des deux avions perdirent la vie.

Peu après, les destroyers Brocklesby et Cleveland firent leur apparition, ce qui ajoutait une puissance de feu considérable à la petite flotte. Le Brocklesby abattit un autre bombardier allemand, et un Beaufighter détruisit un avion de reconnaissance allemand qui suivait, aveuglant ainsi une grande force d'attaque de la Luftwaffe qui se formait pour frapper les Britanniques en retraite. Pour gagner davantage de vitesse, les raiders sabordèrent la canonnière et deux des canots, qui étaient tous salement endommagés.

Trois autres vedettes revinrent à la base de leurs propres moyens, endommageant en chemin un avion allemand et en abattant un autre. La vedette 14 fut bien près de trouver son chemin vers la haute mer, mais à quelque 72 kilomètres de l'estuaire, il se heurta au Jaguar, un torpilleur allemand plus grand et plus lourdement armé. La vedette 14 combattit ce navire pendant une heure, et l'ennemi tentait de l'éperonner ou de le prendre d'abordage. Ce n'est que lorsque ses ponts ruisselaient de sang et qu'il coulait sous son équipage toujours combatif que le skipper de la vedette 14 finalement se rendit. A son crédit, le capitaine allemand Paul prit un grand soin des blessés britanniques. En fait, un officier allemand - probablement Paul - rendit plus tard visite à Newman, alors prisonnier, pour transmettre un compte-rendu favorable de la courageuse défense britannique. Le rapport allemand mena à l'attribution après la guerre d'une Victoria Cross au sergent Thomas Durrant, qui s'accrocha aux mitrailleuses bitubes de la petite vedette et mourut à bord du Jaguar avec un total de 25 blessures.



Une explosion finale

A St-Nazaire, la fumée s'était dissipée et le carnage avait cessé. Les prisonniers britanniques avaient été emmenés, et les cadavres des deux camps collectés. Dans la cale sèche, environ 40 officiers allemands - certains accompagnés de leurs maîtresses françaises - s'étaient aventurés à bord du Campbeltown et inspectaient le navire cabossé. Quelques 400 autres Allemands curieux étaient rassemblés sur les bords du dock. Ils y étaient toujours en fin de matinée, discutant et prenant des photos, lorsque l'énorme charge du vieux destroyer explosa, dispersant des fragments humains sur tout le flanc de la cale.

L'explosion projeta complètement le caisson hors de son rail, détruisit la proue du Campbeltown et mit hors service le dock pour le reste de la guerre. Beattie était alors interrogé par un officier allemand, qui venait de lui dire que les Britanniques n'avaient de toute évidence pas réalisé la résistance du dock. A l'instant où la charge du Campbeltown fut mise à feu, la fenêtre éclata et la bâtiment fut secoué. Beattie ne résista pas à l'envie de dire doucement qu'ils n'avaient peut-être pas sous-estimé leurs cibles.

Les pertes allemandes dues à l'explosion sont inconnues, mais plus tard des enquêtes françaises fixèrent ces pertes à 60 officiers et quelque 300 soldats en plus de ceux tués et blessés par les commandos. On affirme encore que l'un ou l'autre des officiers britanniques capturés étaient également à bord du Campbeltown, et qu'ils se sont peut-être sacrifiés en racontant au large groupe d'officiers allemands une histoire préparée, afin de les faire rester à bord jusqu'à l'explosion. Les habitants de St-Nazaire croyaient que quelque chose de ce genre s'était produit, ou qu'un officier était retourné pour mettre à feu les charges. Si c'était le cas, c'était un sommet de sang-froid et de courage.

Le jour suivant, les deux torpilles à détonation retardée du torpilleur 74 explosèrent dans le bassin de St-Nazaire, générant une panique au sein des défenseurs allemands. Certains soldats allemands se mirent à tirer de manière indiscriminée sur des ouvriers français, et même sur le personnel de leur propre Organisation Todt.

Le Campbeltown avait bien fait son travail. En fait, le dock ne fut pas remis en service avant les années 50. Le monstrueux cuirassé Tirpitz restait privé de base. Il ne sortit jamais de son refuge norvégien, et c'est là, dans un autre raid, les sous-marins de poche de la Royal Navy le trouvèrent et le paralysèrent en 1944. A l'automne de cette année, des Avro Lancasters de la RAF l'attaquèrent. Leurs bombes de 5450 kg ravagèrent le cuirassé, qui chavira dans le fjord de Tromso et devint un cercueil d'acier pour une grande part de son équipage.

L'opération Chariot avait coûté à la Grande-Bretagne 169 tués et environ 200 prisonniers, la plupart d'entre eux blessés. Cinq commandos parvinrent à se frayer un chemin jusqu'à l'Espagne. Quatre autres furent faits prisonniers, mais réussirent à s'échapper. Ceux qui moururent dans l'attaque furent honorés par les Allemands, qui formèrent une garde d'honneur pour les cercueils de certains d'entre eux et échangèrent des saluts avec des officiers britanniques capturés lors de l'enterrement.

Le courage extraordinaire des raiders aboutit à un total de 74 décorations britanniques, et la France a décerné 4 Croix de Guerres. Un nombre sans précédent de 51 hommes a été mentionné dans des citations, et l'opération a été surnommée par ceux qui y ont survécu « le plus grand raid de tous les temps. » Cinq Victoria Cross furent également décernées aux raiders. L'une est allée à Ryder et une autre à Newman, en reconnaissance non seulement de leur valeur personnelle mais également de la valeur collective des hommes sous leurs ordres. Une troisième médaille est allée à l'imperturbable Beattie, le capitaine du Campbeltown, reconnaissant son courage de même que, selon la coutume britannique, la valeur « aussi des officiers et des hommes du navire, dont beaucoup n'ont pas survécu. »

Le sergent Durrant mérita sa Victoria Cross pour son combat courageux et à sens unique contre les canons du Jaguar. La cinquième médaille est revenue à Bill Savage. Sa citation résume toute la nuit tragique et vaillante de St-Nazaire. La Victoria Cross a été décernée non seulement pour le courage individuel, mais également pour la grande valeur de nombreux anonymes, dans les vedettes, les canonnières et les torpilleurs, qui ont accompli leur devoir à des positions complètements exposées et à courte distance du feu ennemi.



Texte original: Robert Barr Smith, "The Greatest Raid of All", World War II, Mars 2003  
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat
  






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Histoire des Commandos,
1939-1943

Histoire des Commandos,
1944-1945

Histoire des Commandos,
1945 à nos jours

St Nazaire 1942: The Great Commando Raid

Storming
St. Nazaire









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