Le principe de précaution,
une piste légale face au terrorisme ?
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20 novembre 2005
l’heure où de nombreux responsables politiques s’interrogent sur la réponse démocratique à donner au terrorisme, il apparaît de plus en plus manifeste qu’un piège rhétorique s’est formé autour de l’islam. Il est peut-être possible de sortir du débat théologique en s’appuyant plus simplement sur la notion de risque.
Cette religion est-elle oui ou non la source d’inspiration du djihad ou s’agit-il d’une déviance ? D’un côté, il ne fait aucun doute que les références canoniques sont bien réelles et d’un autre l’immense majorité des musulmans n’a aucune envie d’en découdre avec les non musulmans. Compte tenu du nombre très important et croissant de conflits, insurrections et autres actes de déstabilisation se réclamant du djihad à l’échelle planétaire, on ne peut plus nier que cette doctrine véhicule un certain potentiel d’effets secondaires indésirables, même s’ils sont condamnés par la majorité des musulmans.
«... Si celui qui diffuse un message appelant à la destruction de notre démocratie sait qu'il peut être tenu pour responsable personnellement, alors un effet inhibiteur peut fonctionner très en amont. »
Bref, si vraiment l’adhésion active aux lois islamiques prédispose au djihad, même si ce n’est que pour une minorité de croyants, alors la démocratie doit fixer des limites. Elle en a les moyens.
Un précédent : l’environnement
Juridiquement, la démocratie sait déjà fort bien gérer la notion de risque, même lorsqu’on ne sait pas exactement quand, où et dans quelles proportions, il va se réaliser. Ce qui est le propre de l’acte terroriste ou simplement subversif. Elle a pour cela inventé le « principe de précaution ».
Ce principe, né du constat des pluies acides dans les années soixante-dix, est déjà largement appliqué en droit de l’environnement et de la santé publique. La déclaration fondatrice de Wingspread (Wisconsin, USA) de 1998, lui donne les contours suivants : « Quand une activité présente une menace pour la santé de l’homme ou de l’environnement, des mesures de précaution doivent être prises, et ce, même si certaines relations de cause à effet ne sont pas clairement établies scientifiquement. »
Le principe de précaution est aujourd’hui parfaitement intégré dans le paysage législatif d’un grand nombre de démocraties, dont la Suisse. C’est l’article 74 alinéa 2 de notre Constitution Fédérale qui dispose notamment, que la Confédération : « veille à prévenir ces atteintes [à la santé et l’environnement]. Les frais de prévention et de réparation sont à la charge de ceux qui les causent. » La loi pose ainsi le principe constitutionnel « risqueur-payeur », selon lequel celui qui crée le risque doit personnellement en assumer les conséquences.
Dès lors que le principe de précaution est constitutionalisé pour la gestion des risques environnementaux et de santé publique, a fortiori peut-il l’être, pensons-nous, pour les risques de sécurité intérieure. Notre propos est donc d’en faire un modèle afin de contribuer à la réduction du risque terroriste ou subversif, en s’appuyant sur le caractère dissuasif qu’il contient. En effet, si celui qui diffuse un message appelant, certes par endroits mais néanmoins noir sur blanc, à la destruction de notre démocratie et des individus islamo-récalcitrants qui la composent, sait qu’il peut être tenu pour responsable personnellement, au titre du principe de précaution, alors un effet inhibiteur peut fonctionner très en amont.
Notre propos n’est évidemment pas de considérer tous les imams comme des inspirateurs mécaniques du terrorisme mais exactement au contraire, comme des citoyens à part entière, membres de cette société démocratique et donc coresponsables de sa pérennité. Il s’agit de leur offrir la possibilité de se démarquer publiquement des fauteurs de trouble. En effet, à ceux qui ne voudraient garder de leur texte fondateur que l’autorité des incitations à la paix, le temps n’est-il pas venu de leur offrir un soutien juridique beaucoup plus appuyé et distinctif ?
Sur la base du principe de précaution, trois options seraient ainsi données aux prédicateurs:
- soit ils assument le risque et se portent garants par avance des effets secondaires indésirables de leurs prédications,
- soit ils entourent leur activité de suffisamment de mesures de précaution pour qu'un tel risque soit fortement atténué, jusqu'à devenir insignifiant,
- soit encore ils promeuvent un antidote réaliste et sérieux ; faute de quoi, ils s'abstiendraient de prêcher des injonctions religieuses à risque.
Bien entendu, celui qui inciterait directement à des infractions anti-démocratiques tomberait sous le coup de textes déjà existants – par exemple, la prohibition de propagande subversive d’origine étrangère (art. 275bis du code pénal suisse), la fondation de groupements à visées subversives (art. 275ter du code pénal suisse) – dont il faudrait sans doute toiletter aujourd’hui le caractère répressif.
Préservation des libertés
Plusieurs scenarii seraient dès lors envisageables.
Premier cas : le prédicateur pourrait continuer à ne pas se soucier du risque d’effets secondaires, voire même les nier totalement, contrairement à certaines estimations officielles. Ce serait alors à lui de prouver qu’il n’est lui-même pour rien dans la réalisation du risque, si celui-ci se réalisait dans son aire d’influence. Ce serait l’application classique du renversement de charge de la preuve, au titre du principe de précaution.
La transposition du modèle de précaution permettrait même d’imaginer un système d’assurance obligatoire ou de contribution par taxe à un fond d’indemnisation des victimes, qui serait financé par les prédicateurs de cette première catégorie, à un taux proportionnel au risque encouru (principe risqueur-payeur), comme pour les sociétés pétrolières, par exemple. Bien entendu, les prédicateurs responsables seraient ceux situés sur la même chaîne de diffusion que l’agent lui-même, ce qui impliquerait de mettre en place un moyen de traçabilité, à la charge du prédicateur.
Deuxième cas : le prédicateur pourrait reconnaître cette fois l’existence d’un risque, si minime soit-il et s’imposer en conséquence de contribuer à sa réduction, ce qui en soi serait un acte de responsabilité particulièrement courageux.
Il serait évidemment exonéré de toute contribution à un fond d’indemnisation, à charge pour lui de proposer des mesures préventives efficaces. Par exemple : le rappel systématique fait à son audience, que la mise en pratique de certaines normes religieuses, contenues dans la doctrine, peut constituer une série d’infractions pénales graves. Il opterait ainsi pour une politique d’autocontrôle dont il serait responsable. Il n’aurait plus à prouver qu’il est étranger au risque lorsque ce dernier se réalise. Il serait également exempté de contribution à un fonds d’indemnisation.
Troisième cas : le prédicateur pourrait enfin, non seulement reconnaître le risque mais promouvoir l’incompatibilité absolue des normes religieuses à risque, avec la norme démocratique et admettre finalement leur caducité. Il s’agirait là d’une véritable voie de Réforme, encouragée par le droit, dans laquelle la majorité silencieuse des musulmans modérés pourrait enfin se reconnaître. Le prédicateur serait bien sûr exonéré de toute contribution et en outre pourrait même être subventionné au regard des bénéfices ainsi apportés à la paix publique.
Pour créer les bases légales d’une telle approche en Suisse, il suffirait de transposer les dispositions de l’article 74 de notre Constitution Fédérale sur l’environnement, vers l’alinéa 2 de l’article 185 sur la sécurité intérieure et extérieure, en ces termes: « Il [le Conseil fédéral] prend des mesures pour préserver la sécurité intérieure et veille à prévenir les atteintes contre elle, notamment en application du principe de précaution. Les mesures et frais de prévention et de réparation peuvent être mis à la charge de ceux qui s’inscrivent dans la chaîne de cause à effet y afférent, même indirectement. »
Dans les trois cas, les libertés d’opinion et de religion auront été préservées. En revanche, la société fera une différence notable entre les courants de prédication qui nient leurs responsabilités et ceux qui les assument de façon citoyenne.
Arnaud Dotézac
Professeur de droit HES, Lausanne