Une histoire de la violence palestinienne,
indissociable de sa dignité
23 octobre 2005
a violence intarissable et barbare de la société palestinienne s'explique par le fait que sa dignité y est liée de manière indissociable. Telle est l'opinion de l'éditorialiste américain Bret Stephens, et la raison pour laquelle selon lui le président palestinien sera incapable de la maîtriser.
Lors d'une visite amicale, le président palestinien Mahmoud Abbas a rencontré George Bush dans le Bureau ovale. Pendant la conférence de presse au Rose Garden qui a suivi, M. Bush a souligné la responsabilité qu’avait M. Abbas de "stopper les attaques des terroristes, de démanteler leurs infrastructures, de maintenir le droit et l'ordre et, un jour, d'assurer la sécurité d'un Etat palestinien". M. Abbas lui même n'a pas mentionné les mots "terrorisme" ou "terroristes". Mais il a demandé la libération de ceux qu'il a appelé "les prisonniers de la liberté", actuellement détenus dans les prisons israéliennes.
«... Le président palestinien dirige une société dans laquelle dignité et violence sont depuis longtemps entrelacées, dans laquelle l'absence de la seconde risque de provoquer la perte de la première. »
L’attention du monde n’est plus rivée sur le conflit israelo-palestinien comme elle l’était autrefois. Elle ne s’en est toutefois jamais détachée et cela continuera certainement ainsi dans les prochaines décennies. La raison pour cela a bien été reflétée dans l’emploi du terme « prisonniers de la liberté » par M. Abbas.
Une violence respectable
Qui sont quelques uns de ces prisonniers? L'un est Ibrahim Ighnamat, un dirigeant du Hamas arrété la semaine dernière par Israël en raison de son rôle dans l'organisation d'un attentat à la bombe en mars 1997 au café Apropos à Tel Aviv, qui coûta la vie à trois personnes et en blessa 48 autres. Un autre est Jamal Tirawi des Brigades des Martyrs d'Al Aqsa: M. Tirawi avait forcé un adolescent de 14 ans à se faire sauter dans un attentat suicide en le menaçant de le dénoncer comme "collaborateur", ce qui dans la société palestinienne aboutit fréquemment à une condamnation à mort.
Ensuite il y a Wafa Samir al-Bis, une jeune femme de 21 ans, arrêtée en juin dernier à un checkpoint israélien sur la frontière avec Gaza, après qu’elle n’est pas parvenue à activer les explosifs qu’elle transportait sur elle. Comme Mlle Bis l’a avoué plus tard, sa cible était un hôpital israélien où, dans un geste humanitaire, elle avait été précedemment soignée pour des brûlures subies lors d'un accident domestique. "Je voulais tuer 20, 50 Juifs", a-t-elle expliqué lors d'une conférence de presse suivant son appréhension.
Beaucoup d'explications ont été données afin d'éclaircir la barbarie presque incomparable dans laquelle est tombée la société palestinienne ces dernières années. L'une est l'effet de l'occupation israélienne et de tout ce qui lui est assorti: les checkpoints, les blocus, les harcèlements, les assassinats ciblés de chefs terroristes. J'ai été personnellement le témoin de tout ceci, lorsque j'ai habité en Israël, et l'on ne peut négliger l'effet aigrissant d'un couvre-feu militaire de 18 heures par jour pendant une semaine sur les Palestiniens ordinaires qui y sont soumis.
Toutefois, les checkpoints et les couvre-feux ne sont pas plus des actes gratuits de méchanceté de la part d'Israël que des reliques de l'occupation. Au contraire, durant les années où Israël exerçait un contrôle total sur les Territoires, il n'y avait ni checkpoint ni couvre-feu, et les Palestiniens pouvaient se déplacer librement (et trouver du travail) à travers le pays. Ce n'est qu'avec le début du processus de paix de 1993 et la création d'une zone palestinienne autonome sous le contrôle de feu Yasser Arafat que le terrorisme est devenu un élément commun de la vie israélienne. Et ce n'est qu'à ce moment-là que les checkpoints ont été déployés et que le resserrement sécuritaire a commencé à devenir significatif.
En d'autres termes, tandis que les actions palestiniennes expliquent largement le comportement israélien, affirmer l'inverse ne tient pas la route. Dans ce cas, comment les Ighnamat, Tirawi et autres Bis de la société palestinienne peuvent-ils être expliqués?
Considérons une statistique: durant les neufs premiers mois de l'année 2005, plus de Palestiniens ont été tués par d'autres Palestiniens que par des Israéliens - 219 contre 218, selon le Ministère de l'Intérieur de l’Autorité palestinienne, bien que ce premier chiffre soit, en vérité, probablement bien plus élevé. Dans la bande de Gaza, le départ des troupes israéliennes et des colons a amené l'anarchie, et non la liberté. Les échanges de tirs entre les membres de Hamas et du Fatah, le parti politique au pouvoir de Mahmoud Abbas, sont routiniers. Tout aussi souvent des meurtres sont le fait de confrontations similaires entre clans, ou hamullas. De soi-disants collaborateurs sont exécutés dans la rue par la foule, leur "culpabilité" n'ayant souvent pour source que l'animosité d'un voisin. Les parias de la société palestienne sont également en danger de mort ; les crimes d'honneurs sur des femmes "dépravées" sont banals, tout comme la torture et le meurtre d'homosexuels.
Au sommet de cette culture de la violence se trouvent les dirigeants du Hamas et du Fatah, les chefs de hamulla, les "généraux" et les "ministres" de l'Autorité palestinienne. Et au dessus d'eux, théoriquement du moins, le président palestinien. Tous ont été élevés dans cette culture et la plupart font usage de cette violence. Pour Arafat, l'objectif était de maîtriser son mouvement, et de lier les énergies de celui-ci à ses objectifs politiques. Sa popularité parmi les Palestiniens devait largement au fait que, sous sa direction, toute cette violence avait résulté en un degré incroyable de respectabilité internationale.
D'où la fidélité exprimée par M. Abbas aux "prisonniers de la liberté" lors de la conférence de presse de Rose Garden. Le président palestinien dirige une société dans laquelle dignité et violence sont depuis longtemps entrelacées, dans laquelle l'absence de la seconde risque de provoquer la perte de la première. Cela ne signifie pas que M. Abbas soit lui même un homme violent. Mais son destin d'homme politique demeure dans les mains d'hommes violents, et jusqu'ici il n'a pas montré d'ardeur à vouloir se confronter à eux.
Au lieu de cela, il a cherché à pousser des groupes tels que le Hamas vers un processus démocratique. Et comme le Hezbollah au Liban, le mouvement terroriste a été heureux d’obtenir ce qu'il a pu par des voies politiques tout en refusant de déposer les armes. Ces groupes ont tourné en ridicule l'affirmation politique de M. Abbas : "une autorité, une loi, une arme" – l'essence même d'un Etat, et donc de la présidence de M. Abbas.
Parlez aux Palestiniens, et vous entendrez souvent, comme un credo, que la dignité palestinienne demande un Etat palestinien. Ceci est soit un illusion, soit un mensonge. Si la construction d’un Etat palestinien devient un jour une réalité à Gaza et en Cisjordanie, ce sera un petit endroit, plutôt pauvre, culturellement marginal et constitué dans sa plus grande partie de désert, de roches, de taudis et de poussière. On peut aisément comprendre pourquoi Arafat, un homme aux vices terribles mais à la vanité incroyable, a rejeté une telle offre – et pourquoi son peuple l’a acclamé lorsqu'il l'a fait. La dignité de ce dernier a toujours résidé dans sa violence, sa lutte, ses "prisonniers de la liberté".
Pour M. Abbas, le problème réside dans le fait que la dignité et l'obtention d'un Etat ne vont pas de pair. Ce sont des choix. Et si l’on se réfère à l’Histoire, le choix que le président palestinien doit faire n'en est certainement pas un auquel il survivra.
Texte original: Bret Stephens, "A History of Violence", The Wall Street Journal, 22.10.2005
Traduction et réécriture : Vladimir Ionesco, Ordre 66