L’ABC de la guerre de l’information dans les conflits de basse intensité contemporains

6 septembre 2004

Palestiniens photographiés de prèsV

aincre et convaincre sont aujourd’hui indissociables l’un de l’autre, et l’exploitation ou la manipulation des médias dans les conflits de basse intensité se font systématiques. L’éditorialiste israélienne Caroline Glick décrit ici leur application en Palestine ou en Irak, et tente de cerner plusieurs réponses pour les armées.

Le 30 juin dernier, le Concile pour la Protection des Journalistes a écrit une lettre au Premier ministre israélien Ariel Sharon pour protester contre une attaque au missile effectuée la nuit précédente sur un bâtiment administratif de Gaza. Selon le CPJ, dont le Président d’honneur est Walter Cronkite, l’immeuble abritait les bureaux de plusieurs organes de presse internationaux, dont la BBC et MBC.


«... L'ennemi se cache derrière des accréditations journalistiques pour obtenir une couverture. Il met en scène un spectacle terroriste en donnant des « scoops ». Il reconstruit des défaites au combat en victoires. »


Selon les Forces de défense israéliennes et le Bureau de presse du Gouvernement, le bâtiment en question abritait également les bureaux de la télévision Al-Manar du Hezbollah et faisait office de centrale de transmissions pour le Hamas. Par ce biais, le Hamas maintenait en permanence la communication avec des terroristes, disséminait de la propagande et revendiquait sa responsabilité pour des attaques comme celle que l’organisation avait menée le jour précédent – le meurtre d’Afik Zahavi et Mordechai Yosepov, âgés respectivement de 4 et 49 ans, par des roquettes Kassam à Sderot. Cette réalité a été ignorée par le CPJ.

Dans son avant-dernier paragraphe, la lettre mentionnait que « le CPJ vous rappelle que les bureaux des médias sont des installations civiles et sont protégées contre toute attaque selon le droit international humanitaire, à moins qu’ils ne soient utilisés à des fins militaires. Les FDI n’ont pas fourni de preuve convaincante que les bureaux étaient utilisés de la sorte. L’attaque de ce bâtiment était également disproportionnée par rapport à toute menace perçue et mettait imprudemment des civils en danger – en l’occurrence les nombreux journalistes qui travaillaient là. »

La lettre du CPJ faisait suite à une protestation similaire, lancée par l’Association de la Presse Etrangère en Israël.



La désinformation systématique des terroristes

Le fait que le Hamas et le Hezbollah cohabitaient dans un immeuble utilisé par des organes de presse et dissimulaient leurs opérations sous une couverture journalistique n’a rien de nouveau. C’est une pratique habituelle des terroristes, à la fois dans les centres urbains palestiniens et en Irak, de se déguiser en journalistes et d’utiliser une telle apparence pour circuler librement.

Avant son arrestation par les FDI, Hassam Youssouf, le commandant du Hamas en Cisjordanie, siégeait dans un bureau de Ramallah affichant pour enseigne « service de presse Nur ». Lorsqu’à l’automne dernier les Etats-Unis ont commencé à faire pression sur le dictateur syrien Bashar Assad pour qu’il ferme les quartiers-généraux terroristes à Damas, celui-ci a rétorqué qu’il ne s’agissait pas de quartiers-généraux, mais de services de presse.

Au début du mois de juillet, le photographe de l’Agence France Presse Mohammed Abed a pris une photo de deux terroristes palestiniens encagoulés en train d’assembler une bombe dans le camp de réfugiés de Rafah [cette image est reproduite au sommet de cet article, note du traducteur]. La photo a été prise à une distance de moins d’un mètre. Comment a-t-il été autorisé à venir aussi près ? En Irak, des reporters sont arrivés à plusieurs reprises sur le lieu d’attaques contre des forces de la coalition avant qu’elles aient lieu. Ils ont admis avoir été prévenus par les terroristes afin de leur permettre de prendre tout de suite des images d’Américains agonisants.

Alors qu’Israël a été sévèrement blâmé pour avoir tiré 3 missiles dans le quartier-général « médiatique » du Hamas et du Hezbollah, le CPJ ou l’Association de la Presse Etrangère n’ont publié aucune déclaration condamnatoire contre l’Autorité palestinienne pour l’attaque perpétrée en mai sur le chef du bureau du New York Times, James Bennet. Lorsque le photographe de l’AFP Jamal Arouri a eu les deux bras brisés par les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa afin de l’empêcher de travailler, plus tôt cette année, aucune de ces organisations n’a protesté.

Un article du Washington Post sur les combats ayant opposé l’US Army à la milice d’Al-Sadr au sud de l’Irak, ce printemps, avait un passage révélateur. Pendant les combats à Nadjaf, les forces US ont mené une bataille rangée de 6 heures pour empêcher leurs ennemis de s’emparer d’un Humvee en flammes. Comme l’a dit l’un des officiers, « on n’allait pas les laisser danser dessus pour les infos. Même avec tous les types qu’ils avaient perdus ce jour-là, cela leur aurait néanmoins donné une victoire. »

Tous ces exemples indiquent que la capacité à exploiter les médias et à contrôler les images de la guerre sont l’une des composantes essentielles de la doctrine de guerre terroriste. L’ennemi se cache derrière des accréditations journalistiques pour obtenir une couverture opérationnelle. Il met en scène un spectacle terroriste en donnant des « scoops » sur des attaques à d’autres voyageurs équipés d’appareils photos, d’enregistreurs et de bloc-notes. Il reconstruit des défaites au combat en victoires sous l’œil des caméras. Il utilise les bandes vidéos de ses propres atrocités aussi bien pour effrayer ses ennemis que pour encourager ses sympathisants.

Dans leur emploi stratégique des médias pour atteindre leurs objectifs de guerre, les terroristes sont aidés par les agences de presse occidentales. Les « reporters » d’Al-Manar, d’Al-Jazeera, des sites web du Hamas et d’Al-Qaïda ou d’autres organes de propagande sont considérés comme des « collègues » plutôt que des agents du jihad ou des belligérants. A partir de là, il est clair que l’un des plus grands défis pour les démocraties en guerre consiste à trouver les réponses adéquates à la question de savoir comme faire campagne dans une guerre de l’information qui est entièrement liée au champ de bataille et aux aspects diplomatiques de la guerre.

Les militaires américains ont redécouvert l’une des armes les plus puissantes contre la guerre médiatique des terroristes lors de planification de l’opération Iraqi Freedom. La décision d’intégrer des journalistes avec les forces US a été une réussite monumentale. De la sorte, les Etats-Unis ont rétabli une longue tradition de reportage sur le champ de bataille qui avait presque disparu après la guerre du Vietnam.

Avoir des reporters avec les troupes a permis aux militaires de présenter l’opération en temps réel et avec la perspective de leurs propres hommes. Lorsque j’étais en Irak avec la 3e division d’infanterie de l’US Army, la nécessité du programme d’intégration a été constamment démontrée. J’en ai peut-être pris conscience le plus clairement lorsque les Américains ont pris l’aéroport de Bagdad. Quand j’ai téléphoné aux infos du Channel 2 israélien pour annoncer que j’étais à l’aéroport, le producteur de l’émission m’a rétorqué que je devais me tromper, parce que le Ministre irakien de l’« information » venait d’affirmer qu’aucune force américaine ne se trouvait à l’aéroport de Bagdad.

Intégrer des journalistes aux unités de combat revêt donc la plus haute importance. Mais lorsque la guerre continue et adopte les formes repoussantes et sophistiquées de la barbarie télégénique, cela ne suffit pas. Des méthodes supplémentaires pour combattre la propagande terroriste doivent également être trouvées. L’une de ces méthodes consiste à refuser d’accorder automatiquement les privilèges journalistiques à quiconque affirme appartenir à la presse. L’Autorité gouvernementale provisoire irakienne l’avait reconnu l’an passé, lorsque ses membres avaient retiré aux TV satellitaires Al-Jazeera et Al-Arabiya l’autorisation d’émettre à partir du territoire irakien. Les organisations de presse devraient être jugées par l’impact de leurs reportages et leur contenu autant que par leur légitimité. Si elles soutiennent activement la cause de l’ennemi, elles devraient être démasquées comme ennemies. Et ceci sans aucune excuse.

L’un des avantages des terroristes sur les démocraties qu’ils affrontent réside dans leur absence de scrupule à mentir. Cela par exemple a été le cas lors de la frappe aérienne américaine sur un point de rassemblement terroriste sur la frontière irako-syrienne, voici quelques semaines : avant que les responsables à Bagdad ne soient informés du raid, des « journalistes » arabes annonçaient que les forces US avaient bombardé une fête nuptiale.

Dans le cas d’Israël, la première diffamation sanglante de la guerre terroriste palestinienne, en l’occurrence l’allégation selon laquelle les FDI avaient tué le jeune Mohammed Al-Doura en octobre 2000, a été créée par la lenteur des FDI a vérifier les faits de l’incident. Lorsqu’elles ont prouvé de manière irréfutable que Al-Doura avait été abattu par des forces palestiniennes, des semaines s’étaient écoulé et la diffamation avait circulé dans tout le monde arabe.

Pour résoudre ce problème, il faut adopter une politique visant à ne jamais accorder aux terroristes l’avantage moral. Au niveau stratégique, ceci implique de ne jamais accepter de culpabilité pour quoi que ce soit jusqu’à ce que les faits soient établis. Il est préférable de nier – et il est effectivement possible de le faire, parce qu’en règle générale les FDI ne visent pas les civils – que de tolérer des allégations pouvant se révéler vraies ou fausses. Si par la suite il apparaît que des civils ont été tués, une explication de leur mort peut être donnée dans son contexte entier. Les terroristes ne doivent jamais obtenir le monopole de la communication.

Au niveau tactique, cela signifie que les armées démocratiques doivent intégrer la composante de la guerre de l’information dans tous leurs plans opérationnels. En devenant peut-être plus souples sur la publication de renseignements. En déployant des photographes militaires avec les troupes dans chaque opération, afin de prendre le contrôle des images émanant des scènes de combat.

Tout en refusant des droits aux terroristes et à leurs appuis médiatiques, les armées démocratiques doivent protéger les journalistes qui font réellement leur travail. A de nombreuses reprises, il est apparu que des reporters de la chaîne télévisée Al-Hurra, financée par les Etats-Unis, ont été agressés et harcelés par des terroristes et leurs supporters. Ceci ne doit pas pouvoir continuer. Parce que le journalisme de guerre implique toujours des risques, les forces démocratiques doivent faire tout leur possible pour fournir un minimum de sécurité aux reporters légitimes.

La composante informationnelle de la doctrine terroriste est l’un des aspects les plus uniques de la guerre actuelle. La prolifération des sources d’information à travers l’Internet et les télévisions par satellite, combinée à l’orientation post-nationaliste et post-moderniste de larges franges des élites médiatiques occidentales, ont rendu la nécessité d’intégrer la guerre de l’information à chaque étape de la planification, de la conduite et de l’évaluation des combats absolument essentielle, tout comme à la planification stratégique d’ensemble. Propager l’information est maintenant au moins aussi important, sinon davantage, que vaincre les forces ennemies lors d’un engagement. Parce que sans l’information, la victoire sur le champ de bataille deviendra finalement une défaite stratégique.




Texte original: Caroline Glick, "Information warfare 101", The Jerusalem Post, 18 juin 2004  
Traduction et réécriture: Lt col EMG Ludovic Monnerat
  









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