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Les attaques terroristes en Espagne rappellent que l’Europe n’échappe pas à la guerre

14 mars 2004

Gare d'Atocha, 11.3.04A

près Djerba, Casablanca et Istanbul, Madrid subit à son tour les assauts directs du terrorisme fanatisé. Ces premières attaques en Europe occidentale déchirent toutes les illusions faciles et les châteaux de cartes intellectuels créés pour nier l’existence d’une menace, d’un ennemi, et donc d’une guerre. Analyse.

La série d’attentats perpétrée dans la banlieue madrilène le jeudi 11 mars a fait pour l’heure 200 morts et 1500 blessés. Le nombre de victimes directes de ces attaques est donc le plus élevé en Europe occidentale depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais le bilan aurait pu être plus monstrueux encore : parmi les 13 bombes identifiées par la police espagnole, trois n’ont pas fonctionné alors qu’elles auraient dû frapper la foule en fuite et les premiers sauveteurs, alors que le retard d’un train pris pour cible a évité qu’il n’explose en gare. Frapper des lieux publics aux heures de pointe correspond à une volonté affichée d’infliger un maximum de pertes.


«... On ne combat pas une idéologie avec des bons sentiments, avec des manifestations gigantesques, avec des trémolos sur une supposée tragédie, mais bien en mettant hors d'état de nuire ceux qui la forgent et la propagent. »


Ces attentats ont naturellement suscité une avalanche de condamnations et d’expressions de consternation ou de solidarité. Les commentaires sont toutefois moins unanimes quant à la manière de se prémunir de telles attaques. Pour les uns, celles-ci démontrent l’inutilité de toutes les mesures de sécurité, et il convient simplement de s’habituer au terrorisme et de le considérer avec le fatalisme réservé aux catastrophes naturelles. Pour les autres, ces attentats sanctionnent la participation de l’Espagne à la lutte contre le terrorisme islamiste, et la seule solution consiste d’abord à régler le conflit israélo-palestinien. D’autres encore jugent qu’il s’agit d’une affaire certes tragique, mais strictement nationale, ou relevant exclusivement de la justice ordinaire.

Je n’ai pas lu une seule ligne dans la presse romande soulignant, comme le font Georges Suffert dans Le Figaro ou Daniel Vernet dans Le Monde, que l’Europe est désormais obligée de reconnaître la guerre existant entre les démocraties et le terrorisme fanatique. C’est dire à quel point les gens qui façonnent l’information dans notre coin de pays sont incapables de remettre en cause leur système de valeurs et leurs habitudes intellectuelles. Et leur influence déterminante sur les dirigeants et les notables, à défaut de l’être sur la population, garantit à la politique de l’autruche un avenir aussi prometteur que limité dans le temps. Car nous serons également frappés par le terrorisme ; nous l’avons déjà été, et nous préférons l’oublier, mais nos ennemis ne nous oublient pas.

Essayons d’analyser froidement et objectivement cette situation, au lieu d’y projeter nos aspirations à une vie paisible et prévisible.



Une menace mortelle pour l’Occident

Les attentats de Madrid portent de toute évidence la marque d’Al-Qaïda, ou pour être plus précis des groupes islamistes qui se rattachent à la mouvance dont Oussama Ben Laden reste la figure de proue. Il n’est pas exclu que l’organisation terroriste basque ETA soit impliquée dans ces attaques, mais cela ne change rien au constat essentiel : le terrorisme massif a fait son entrée en Europe occidentale. La médiatisation des attaques, la globalisation des causes, la prolifération du savoir-faire et la circulation des personnes sont les raisons essentielles derrière le mimétisme des méthodes et l’émulation des attaques qui se produisent au niveau planétaire.

Les bombes posées près de la capitale espagnole s’inscrivent ainsi dans la ligne d’attaques pratiquées depuis des années dans le monde musulman. Il faut par exemple rappeler qu’entre 1992 et 1998, les fondamentalistes égyptiens ont tué plus de 1200 personnes – dont 92 étrangers – au cours de leurs attentats ; parmi ceux-ci, on rappellera l’exécution de 18 touristes grecs près d’un hôtel du Caire, en avril 1996, et bien entendu le massacre de Louxor, où 58 touristes – dont 36 Suisses – ont été froidement abattus en novembre 1997. Le mépris total de la vie humaine ou la rationalisation de meurtres à la chaîne par la haine des « croisés » ne datent pas du 11 septembre 2001.

Pour les Européens, force aujourd’hui est d’admettre que la menace s’est rapprochée. Après Louxor, Djerba, Casablanca, Mombasa ou Bali, destinations prisées des touristes occidentaux, après Istanbul, ville européenne symbole des ponts entre Orient et Occident, Madrid a été frappée, et Rome, Londres, Paris, Lisbonne ou Athènes sont également des cibles. La déclaration de guerre à l’Occident faite au début des années 90 par Al-Qaïda et ses filiales n’établit aucune distinction entre nations et peuples : le Chrétien, comme d’ailleurs le Juif, doit être combattu partout où il se trouve. Et ce message répété à toute heure de la journée dans les écoles coraniques d’Asie ou dans certaines mosquées d’Europe rend caduque toute notion de frontière, toute différence entre sécurité intérieure et extérieure.

Le fait qu’il ait fallu attendre le 11 mars 2004 pour assister à un attentat massif en Europe occidentale souligne l’efficacité remarquable des services de sécurité. Affirmer que les attaques de Madrid démontrent leur inutilité est faire preuve d’une inconscience insultante. Au contraire, des dizaines d’attentats aux ambitions similaires ont été déjoués, et leurs auteurs capturés ou mis en fuite, depuis plusieurs années. Même si le caractère clandestin de la lutte empêche une pleine information du public, certaines tentatives avortées sont connues ou devraient l’être, comme l’attentat stoppé de justesse en décembre 2000 contre le marché de Noël sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg. L’Espagne n’est pas en reste, avec 63 arrestations de terroristes islamistes présumés, dont l’un en juin 2003 qui était membre d’une cellule préparant une attaque sur une centrale nucléaire.

Ces succès ont d’ailleurs eu un effet pervers : celui de prolonger la conviction selon laquelle l’Europe a l’habitude du terrorisme, et qu’il est possible de le combattre puis de le vaincre avec les seuls outils du pouvoir judiciaire. Mais les réseaux fondamentalistes contemporains n’ont rien à voir avec les groupes gauchistes tellement idéalisés dans les années 70 et 80. Les populations européennes ne sont pas à leurs yeux des ignorants à interpeller et à convaincre, mais des êtres inférieurs à tuer ou à convertir. Comme l’a souligné Tony Blair dans un discours récent, les fondamentalistes ne voient aucune différence entre tuer 200, 2000 ou 20'000 personnes ; ce sont des combattants fanatisés qui utilisent les moyens disponibles et frappent les cibles les plus rentables.

Les conséquences de cet état de fait tardent à être comprises, ou même imaginées. L’usage d’armes chimiques et biologiques dans des attentats terroristes est pourtant une réalité, et seule des questions d’échelle et de savoir-faire ont jusqu’ici réduit leur efficacité. Dès aujourd’hui, toute concentration de personnes dans des lieux publics, symboliques ou non, constitue une cible potentielle, susceptible d’être attaquée avec des armes pouvant avoir des capacités de destruction massive. Dans toute l’histoire de l’humanité, l’évolution des technologies appliquées aux armements a fait radicalement évoluer les rapports de force entre individus et collectivités ; nos sociétés post-modernes permettent désormais à quelques personnes isolées d’affecter la multitude. Rien ne sera plus comme avant.

Quelle que soit leur acharnement à la tâche, les services de renseignements et les forces de l’ordre ne sont pas en mesure d’empêcher tout attentat terroriste sur le territoire européen ; la disproportion des investissements entre l’attaque et la défense assure à la première une suprématie durable. La collaboration intensive entre États, l’augmentation des contrôles aux frontières de l’Union, l’interconnexion des bases de données, les échanges de renseignements, les écoutes téléphoniques ou l’appui en matière d’instruction permettent uniquement de réduire la probabilité d’attentat, et pas de l’annuler. Même la défense la plus solide finit tôt ou tard par être contournée. Et tous les pays ne sont aussi actifs en matière d’antiterrorisme que l’Espagne.

Or il suffit d’une seule attaque, impliquant par exemple des substances radiologiques ou des agents biologiques, pour complètement bouleverser une société, transformer sa vie quotidienne et remettre en cause ses valeurs. Nier ce danger ou espérer par miracle y échapper ne retardera pas l’échéance, car ce sont toujours les cibles les plus faciles qui attirent les terroristes. Ces derniers profitent d’ailleurs de toutes les largesses occidentales qu’ils combattent, comme la protection de la sphère privée, la présomption d’innocence ou la tolérance multiculturelle. Nous sommes condamnés à admettre et à comprendre que les fondamentalistes haïssent l’Occident au point de convoiter sa destruction, et qu’ils constituent par conséquent des ennemis irrémédiables.

Notre ennemi n’est pas l’autre, l’étranger, l’émigré, même s’il y a une corrélation entre immigration et terrorisme ; à dire vrai, notre ennemi n’est pas l’homme, mais l’idéologie qui le transforme. Et on ne combat pas une idéologie avec des bons sentiments, avec des manifestations gigantesques, avec des trémolos sur une supposée tragédie, mais bien en mettant hors d’état de nuire ceux qui la forgent et la propagent. De toute évidence, l’Europe n’a toujours pas tiré les leçons de la guerre froide, lorsqu’elle espérait une coexistence pacifique avec le communisme au lieu de prendre activement part à sa défaite – pour la simple et mauvaise raison qu’elle n’imaginait pas celle-ci. Pourtant, aucune idéologie n’est moins mortelle que ses créateurs.

Ainsi, face au constat que la protection parfaite n’existe pas et que les sociétés occidentales auraient bien trop à perdre en durcissant à outrance leur appareil sécuritaire et répressif, une seule conséquence doit être tirée : l’action préventive et coercitive au-delà des frontières. Ce n’est pas un hasard si des pays européens comme l’Allemagne, la France, le Danemark ou encore la Suède ont discrètement déployé dès 2002 des forces spéciales en Afghanistan, non pas au sein de la FISA, mais dans le groupe de forces sous commandement américain chargé de traquer les membres d’Al-Qaïda et les Taliban : l’attrition progressive de la nébuleuse islamiste est une contribution directe à la sécurité de l’Union européenne.

Cela reste toutefois insuffisant. L’activité principale d’Al-Qaïda était et reste liée aux opérations, et la formation pratique des milliers de jeunes musulmans passés dans ses camps d’entraînement n’était que la suite – et le complément – d’une formation idéologique antérieure. En d’autres termes, contrer les activités passées et présentes d’Oussama Ben Laden revient à combattre les vecteurs de la menace et non la menace elle-même. Le fondamentalisme islamiste reste avant tout un produit d’exportation de l’Arabie Saoudite, qui finance la propagation du wahhabisme dans le monde entier à coups de milliards de pétrodollars. Et comme les idées circulent infiniment plus vite que les hommes, cette éducation sectaire multiplie les vocations fanatiques à l’intérieur même des sociétés occidentales.

Les Etats-Unis sont progressivement en train d’admettre cette réalité. L’installation d’une démocratie en Irak constituait une stratégie rationnelle pour attaquer de flanc le fondamentalisme musulman, insuffler au cœur des nations arabes les valeurs libérales de la modernité, et tenter de rendre à Bagdad une part de son statut historique. Mais recruter 25 millions d’Irakiens dans la guerre contre le terrorisme ne suffira pas à détrôner les imams wahhabites assis sur la manne pétrolière. Tout comme l’effondrement de l’Union soviétique a décimé la subversion communiste et libéré plus de 120 millions d’Européens, seul le désarmement idéologique de la péninsule arabique diminuera la menace terroriste qui pèse sur l’Occident.

Malheureusement, l’Europe ne semble pas prête à reconnaître l’urgence de la guerre qu’elle subit et mène à contrecœur. Au vu des réactions qu’ils ont suscitées, les 200 morts du 11 mars n’apparaissent pas suffisants pour provoquer une véritable prise de conscience. Les attaques terroristes sont toujours inscrites dans une relation causale qui fournit une justification au moins partielle : les attentats de Madrid seraient « dus » au soutien de l’Espagne à l’offensive coalisée en Irak, tout comme celui de Bali « s’expliquait » par le soutien de l’Australie à l’action armée en Afghanistan ; les attaques du 11 septembre, comme celles de Nairobi et Dar Es-Salaam en 1998, découlaient du soutien américain à Israël. Et ainsi de suite jusqu’aux Croisades.

Cette rhétorique omniprésente dans les médias concorde avec le syndrome occidental de l’autoflagellation, et elle a pour effet d’accorder un crédit galvaudé aux griefs souvent imaginaires des fondamentalistes. Il faudra probablement des milliers de victimes ou davantage encore pour que les Européens admettent la vanité de ces ratiocinations et comprennent enfin que le terrorisme islamiste les attaque pour ce qu’ils sont, pensent, croient et espèrent, et non pour ce qu’ils font, disent ou possèdent. Nous n’en sommes d’ailleurs qu’aux premiers soubresauts provoqués par l’unification – et donc le métissage occidentalisant – de la planète. Les conflits identitaires sont la conséquence inévitable de la concurrence des cultures et des idées, et du fait que les nôtres s’imposent.

Il reste à aborder la question de la Suisse dans cette lutte séculaire. Tous les jours ou presque depuis des mois, lorsque je passe par la gare de Berne matin et soir, je reste frappé par la concentration inattentive des gens, par la rareté des patrouilles policières, par la contradiction flagrante entre impératifs économiques et sécuritaires. J’ai surtout l’impression dérangeante d’être entouré de cibles potentielles et d’en devenir une moi-même, alors que le nombre était jusqu’ici une source de sûreté depuis des millénaires – et la base de la vie urbaine. En un sens, je comprends parfaitement l’attachement que l’on peut éprouver pour cette insouciance, et l’aveuglement que provoque le refus d’y renoncer. Les illusions sont le propre des êtres sensibles et intelligents, dont l’imagination donne l’impression de triompher du monde.

Mais nous soupirons au bord du précipice. Nous sommes aussi en guerre. Nous ne sommes pas neutres ; nous aidons nos alliés et nous arrêtons leurs ennemis – et ceux-ci sont aussi les nôtres. Nous serons donc attaqués. Il est grand temps de s’y préparer.



Maj EMG Ludovic Monnerat  









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