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Déstabiliser le Moyen-Orient, ou une guerre du Golfe bis pour la civilisation

18 août 2002

Saddam HusseinL

e chroniqueur canadien Mark Steyn soutient passionnément une guerre préemptive contre le régime de Saddam Hussein. Loin de relever d'un bellicisme primaire, son argumentation part du principe que l'instabilité suscitée au Moyen-Orient par une offensive militaire américaine serait la meilleure chose que cette région pourrait espérer. Traduit de l'anglais.

La guerre avec l'Irak est imminente et tout le monde ne s'en réjouit pas. "Je pense que le principe de 'commencer par le commencement' s'applique ici", déclare Al Gore, "et qu'il faut le suivre si nous devons avoir quelque chance de succès". Il veut dire par là que, au lieu de se débarrasser de Saddam, "il faudrait assurer d'abord la stabilité de l'Afghanistan".

En Grande-Bretagne, ces deux vieilles dames gigognes que sont Edward Heath et Denis Healey font la moue et bombent le torse, ce qui n'est pas la première fois. Sagement, Lord Healey n'est plus aussi hardi dans ses prédictions de catastrophe imminente qu'il ne l'était en 1991, lorsqu'il affirmait avec assurance que la guerre avec Saddam "ferait grimper le prix du pétrole jusqu'à 65 dollars le baril pour au moins un an, provoquerait un effondrement du système bancaire américain et déclencherait une récession mondiale".

«... c'est parce qu'elle est trop stable que cette région se trouve dans l'état où elle est. En fait de stabilité, c'est la stagnation d'une fosse à purin. »
«... c'est parce qu'elle est trop stable que cette région se trouve dans l'état où elle est. En fait de stabilité, c'est la stagnation d'une fosse à purin. »

Pendant ce temps, les Continentaux n'ont plus qu'Unmovic à la bouche. Je supposais que cet Unmovic était le nouvel homme fort de la Serbie, plus obstiné encore que les précédents, mais il semble qu'il s'agisse du dernier en date des régimes d'inspection – la Commission de Surveillance, de Vérification et d'Inspection des Nations-Unies – que Saddam est brusquement si désireux d'inviter chez lui. Cela dit, pour quelle raison pensez-vous qu'il l'est devenu ?

Il va sans dire que son vice-président, Taha Yassin Ramadan, souhaite de la part des Nations-Unies l'assurance que son équipe d'inspecteurs ne sera pas "importune", et nul doute qu'elle accepte de s'y conformer. Que l'on donne à Saddam un petit coup de détecteur électronique, pas besoin d'une fouille complète des cavités corporelles ; de toute manière, c'est uniquement pour la galerie. Que le vieux bourreau soit en train de fabriquer des armes de destruction massive, personne n'en doute. La seule question est de savoir s'il s'en servira ou non – ou, plus exactement, s'il s'en servira contre quelqu'un dont nous ne nous foutons pas. Les euro-sophistes pensent qu'il ne le fera pas. Washington préférerait s'assurer qu'il en soit incapable.

En plus, le Président ne se soucie pas vraiment de le prouver. Ceux qui souhaitent le faire à sa place rappellent la rencontre à Prague entre l'homme de Saddam et Mohammed Atta à la veille du 11 septembre. D'autres disent que, si la nouvelle doctrine préemptive de Bush a un sens quelconque, c'est évidemment par Saddam qu'il faut commencer. Mais je préfère voir les choses ainsi : quel est le vrai but de guerre à long terme des États-Unis ? Je dirais ceci – ramener le Moyen-Orient au sein du monde civilisé. Comment faire cela ? Difficile à dire, mais une chose est certaine: ce n'est pas avec la bande actuelle que vous y parviendrez – Saddam, les Ayatollahs, la maison de Séoud, Assad junior, Moubarak, Yasser.

Lorsque Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue Arabe, avertit la BBC qu'une invasion américaine de l'Irak "menacerait la stabilité de tout le Moyen-Orient", c'est qu'il n'a rien compris : c'est justement pour ça que c'est une si bonne idée. Imaginez que nous marchions dans son boniment, et que nous placions la stabilité au-dessus de toute autre considération. Nous en prenons pour 25 années d'ayatollahs en plus, 35 ans d'OLP, 40 ans de baasistes en Syrie et en Irak, et 80 années de rab pour le wahhabisme saoudien. Quel Moyen-Orient aurions-nous à l'issue de tout cela ? Chose unique dans le monde non démocratique, c'est parce qu'elle est trop stable que cette région se trouve dans l'état où elle est. En fait de stabilité, c'est la stagnation d'une fosse à purin.

Alors, si vous voulez déstabiliser l'ensemble de la région, quel est le meilleur endroit pour commencer ? Réponse : le régime qui incarne la plus grande sottise des "drogués de la stabilité". Or c'est ce fétichisme de la stabilité qui avait conduit Bush Senior, Colin Powell et Cie à laisser les Saddamites au pouvoir il y a 11 ans de cela. Quand on sait que Joe Biden existe, on sait aussi que c'est un puissant sénateur démocrate ; ces jours-ci, à peu près toutes les dix minutes sur votre télé ou votre radio, vous pouvez l'entendre re-raconter pompeusement l'anecdote où il aurait mis Bush en garde contre le renversement de Saddam. "M. le Président", lui aurait-il dit, "il y a une raison pour laquelle votre père s'est arrêté et n'est pas allé à Bagdad. Il ne voulait pas y rester cinq ans."

Palestine, manifestation du Fatah en soutien à l'Irak

Et c'est censé prouver quoi ? D'après mes savants calculs, cela signifie que nous serions repartis en 1996. Plutôt une bonne affaire, à mon avis. Au lieu de cela, nous sommes à l'été 2002, et nous continuons à bombarder l'Irak sans aucun résultat, tout en réussissant à être accusés d'avoir fait systématiquement mourir de faim un million d'enfants irakiens – ou deux millions, ou n'importe quel chiffre qu'on puisse nous reprocher aujourd'hui – à cause des sanctions de l'ONU ; même si, chose curieuse, ces sanctions ne semblent pas avoir resserré les cordons de la bourse de Saddam à un point tel qu'il ne puisse trouver 25 000 dollars à donner à chaque famille de terroriste kamikaze palestinien. Plus encore, il est toujours là. Et ce simple fait, être toujours là, le fait passer pour la success story du monde arabe. Il est la preuve vivante, pour ces idiots de la "rue arabe", que vous pouvez être anti-américain, anti-israélien, anti-tout avec violence et vous en tirer quand même.

«... Il est la preuve vivante, pour ces idiots de la "rue arabe", que vous pouvez être anti-américain, anti-israélien, anti-tout avec violence et vous en tirer quand même. »
«... Il est la preuve vivante, pour ces idiots de la "rue arabe", que vous pouvez être anti-américain, anti-israélien, anti-tout avec violence et vous en tirer quand même. »

Aujourd'hui, les avions français recommencent à atterrir à l'aéroport international Saddam Hussein de Bagdad. Chaque année de survie supplémentaire affaiblit la volonté de le contenir et embellit sa légende dans toute la région. Donc Saddam doit partir. Il tombera rapidement, aussi vite que les Taliban. La disparité entre des troupes irakiennes terrifiées – et mal entraînées – et les forces américaines sera plus grande encore que voici 11 ans, sans avoir les mains liées par le multilatéralisme d'une coalition faisant penser à la collection complète du petit philatéliste. Ce qui se passera ensuite est plus difficile à prévoir. Je doute qu'un gouvernement cohérent puisse sortir de cet ensemble de tordus, d'aigris, de sales types et de losers rassemblés à Londres sous l'appellation de "Mouvement National Irakien" par le petit monde de la Realpolitik.

Cependant, comme le dirait Al Gore, commençons par le commencement : il n'est pas strictement nécessaire qu'un nouveau régime en Irak soit meilleur que son prédécesseur – il suffit qu'il soit différent. Voilà qui envoie un message important: "à qui tu arraches les ongles dans les cachots de ton palais présidentiel, c'est ton affaire, mais commence à jouer au con avec nous et tu as écrit ton dernier roman à l'eau de rose, beau moustachu." C'est le but immédiat des États-Unis, et il est crucial.

Il n'en reste pas moins que quiconque remplace Saddam sera presque certainement un progrès. C'est-à-dire qu'au pire ce sera une sorte de général Musharraf après le 11 septembre – un dictateur sain d'esprit qui mettra au feu la production d'anthrax pour se tourner vers des questions économiques plus urgentes, ce qui déclenchera une série de changements dans les États de la région, l’un après l'autre. Enumérons-en quelques-uns.

L'Arabie Saoudite : je ne crois pas à ces histoires dans la presse au sujet d'un royaume sur le point de s'effondrer. En fait, je dirais qu'elles ont bien plus de chances de venir du Prince héritier Abdullah lui-même, qui tente désespérément d'empêcher une invasion de l'Irak. Son ridicule "plan de paix pour la Palestine" n'était là que pour la grande diversion de printemps, et il escompte que cette dernière ruse le fasse durer jusqu'au nouvel an. L'une des raisons pour lesquelles la Maison de Séoud veut voir rester Saddam est que la première décision d'un nouveau régime irakien, libéré des contraintes de l'ONU sur les exportations de pétrole, sera de se mettre à pomper quelques millions de litres supplémentaires chaque jour. C'est un détail qu'il vaut la peine de noter : en laissant Saddam au pouvoir tout en limitant sa capacité à vendre du pétrole, c'est l'Occident qui se punit lui-même dans une certaine mesure. Un nouveau régime à Bagdad, démocratique ou non, signifie davantage de pétrole, un prix plus bas à la pompe, donc davantage de pression sur la Maison de Séoud, dont les caleçons se resserrent d'un cran à chaque dollar en moins le baril. La chute de Saddam pourrait donc être très douloureuse.

Il n'y a pas de "gentils" en Arabie Saoudite – on n'a le choix qu'entre ceux qui sont ouvertement pour Al-Qaïda et ceux qui achètent en sous-main leur silence – mais moins ils tirent d'argent du pétrole, moins ils ont les moyens de financer le recrutement d'islamistes en Europe, en Asie du sud et en Amérique du nord ; et plus il y aura de dissensions internes dans le royaume, plus leurs jeunes excités auront de chances de faire le djihad chez eux plutôt qu'à l'étranger.

Ayatollah Ali Khamenei

La Jordanie : il y a des rumeurs qui circulent à Washington selon lesquelles le roi Abdullah aurait plus ou moins été acheté par Saddam, et même pour une bouchée de pain. Ce qui demeure dans la grande tradition du roi Hussein, qui avait décidé de rester aux côtés de son "frère" irakien durant la dernière guerre du Golfe, même lorsque les Syriens s'engagèrent avec les Américains. Il est évident que plus longtemps Saddam restera au pouvoir et plus la Jordanie sera corrompue, et que nous finirons par nous retrouver avec un État arabe pourri de plus. Le royaume hachémite est déjà une voie d'accès importante pour la contrebande de l'Irak contre les sanctions de l'ONU, et Saddam voudrait bien s'en servir aussi comme d'une autoroute militaire. De tous les régimes antijuifs qui rejettent Israël au Moyen-Orient, les Saddamites sont les seuls désireux d'envoyer leurs troupes au combat contre Israël. Tout ce qui les retient, c'est l'existence des pays arabes qu'ils devraient traverser au passage. Chaque année que Saddam reste au pouvoir accroît le risque qu'il transforme la Jordanie en colonie de fait, et en voie rapide vers le champ de bataille.

«... Rien ne se produira sans une défaite militaire massive et humiliante du Timbré N°1 du monde arabe. Peu après, les Ayatollahs tomberont. »
«... Rien ne se produira sans une défaite militaire massive et humiliante du Timbré N°1 du monde arabe. Peu après, les Ayatollahs tomberont. »

Je ne suis pas un romantique du régime hachémite : lorsque vous prenez vraiment la peine de vous demander pourquoi la Jordanie a tellement bonne presse, cela semble se résumer au goût de sa famille royale pour des femmes canon occidentalisées. Cependant, si ses bons côtés demeurent une sorte de mystère, c'est néanmoins vrai qu'elle en a moins de mauvais que n'importe lequel de ses voisins. Le problème, c'est que l'histoire l'a laissée avec un État chroniquement vulnérable. Il serait bon de lui donner une chance de renouer avec sa destinée. Pour l'Arabie Saoudite, la meilleure solution serait de la démembrer, de partager les régions côtières entre les émirs du Golfe les mieux disposés, de s'emparer des champs de pétrole et de donner les lieux saints de l'Islam à la Jordanie. Si le roi Abdullah couche vraiment avec Saddam, tant pis : il y a toujours son oncle, le prince Hassan. Mais écarter Saddam de l’artère hachémite sera la première étape pour amener à se réformer le plus réformable des régimes arabes.

L'Iran : à l'instant où j'écris ceci, les cinglés islamistes originaux font feu sur leurs infortunés concitoyens à Téhéran, à Ispahan, à Ghazvin et dans d'autres villes iraniennes. Les manifestations populaires doivent marquer le 96ème anniversaire de la monarchie constitutionnelle et, pour autant qu'on puisse le déduire de comptes-rendus fragmentaires, cela ressemble davantage à la Hongrie de 1956 qu'à la Tchécoslovaquie de 1989. Cependant, nous avons quelques détails intéressants. Les protestataires rapportent que la police anti-émeutes du régime parle arabe. Cela confirme les rumeurs selon lesquelles les mollahs ont embauché des Saoudiens, des Irakiens et d'autres pour le dur labeur d'abattre des civils. La probabilité que la jeunesse pro-occidentale se laisse intimider par des étrangers arabes sera considérablement amoindrie par le départ de Saddam : ces soldats ne seront plus les troupes d'élite de la superpuissance régionale, mais seulement les reliquats abjects d'un régime de losers.

L'Autorité palestinienne : le peuple palestinien est peut-être la meilleure illustration des tares de la stabilité. Il a été maintenu depuis un demi-siècle dans un environnement artificiellement stable : les faux "camps de réfugiés" de Jénine et consorts, qui sont des fabriques de terroristes efficacement administrées par l'ONU, aujourd'hui habitées par trois générations de "réfugiés" n'ayant jamais vécu dans les endroits dont ils sont censés être réfugiés. Les millions de personnes déplacées dans l'Europe d'après-guerre ou dans l'Inde d'après la partition devraient remercier Dieu de n'avoir jamais attiré l'attention de l'ONU. Une guerre à mort, une guerre totale serait préférable, quel que soit le vainqueur. Ou bien les Arabes obtiendraient ce qu'ils veulent et jetteraient les Juifs à la mer, ou bien les Arabes seraient battus de façon décisive, une bonne fois pour toutes. Mais aucun de ces scénarios n'aurait conduit à cette implacable descente dans la dépravation que les Palestiniens ont vécue dans leur oubliette onusienne. La psychose du culte de mort n'existe pas isolément : elle est armée par l'Iran, payée par l'Irak, et nourrie philosophiquement par l'islamisme saoudien. Elle ne survivra pas à la liquidation de ses mécènes étatiques. Ce qui est une bonne nouvelle pour les Palestiniens s'intéressant à la vie réelle.

Rien de ce qui précède ne se produira sans une défaite militaire massive et humiliante du Timbré N°1 du monde arabe. Peu après, les Ayatollahs tomberont, puis ce bon vieux Yasser, et la maison de Séoud ; Assad junior et Moubarak suivront. Vous me prenez pour un fou ? Regardez la carte de la dernière guerre que nous avons faite à Saddam. En 1991, l'Afghanistan était encore communiste, comme l'étaient les républiques d'Asie centrale ; le Pakistan se trouvait sous le régime corrompu de Sharif ; et le Yémen nouvellement réunifié était sur la voie de la guerre civile. Onze ans plus tard, le général Musharraf fait de son mieux pour devenir le nouveau meilleur ami de Washington, et les forces américaines stationnent en Afghanistan, au Kirghizistan, en Ouzbékistan et même en Géorgie. Les frontières est et nord du Moyen-Orient sont tranquillement passées dans la sphère d'influence américaine. Les régimes locaux nous déplaisent à des degrés divers, mais aucun d'entre eux ne nous fait d'ennuis. C'est à cela que ressemblera l'Arabie dans quelques années. Ça commence par Bagdad, et c'est pour bientôt.




Texte original: Mark Steyn, "A war for civilization", The Spectator, 10.8.02    
Traduction : François Guillaumat    
Rewriting : Cap Ludovic Monnerat
    







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