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Comment l’armée suisse devient un atout majeur hors des frontières nationales

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3 avril 2005

Super Puma suisse à Banda AcehL

’engagement de l’armée en Asie du Sud ouvre une nouvelle ère pour celle-ci, faites d’interventions régulières au-delà du continent européen. Le développement des capacités et du savoir-faire en matière de projection devient une priorité.

Le retour du dernier contingent suisse présent à Sumatra, le 12 mars dernier, a mis un terme à une mission unique pour l’armée : intervenir à 10'000 kilomètres du pays pour contribuer à sauvegarder les conditions d’existence d’une population en pleine détresse. L’envoi par rotation de 113 militaires pour engager 3 hélicoptères Super Puma au profit du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU, dans les zones dévastées par le tsunami, rappelle naturellement la mission effectuée voici 6 ans en Albanie, durant la guerre du Kosovo. L’opération « SUMA » marque cependant une extension du rôle joué par l’armée au-delà des frontières : en déployant des effets salvateurs et stabilisateurs loin au-delà du continent européen, les militaires suisses ont démontré leur capacité à appliquer efficacement les principes de la politique de sécurité nationale face aux crises de notre époque.


«... Le Conseil fédéral sera régulièrement confronté à des crises majeures sur d'autres continents, pour lesquelles son meilleur outil de réaction rapide sera constitué de plusieurs composantes professionnelles de l'armée. »


Initialement, une telle prestation n’avait cependant rien d’évident. Au sein de l’armée, l’éventualité d’une mission en Asie du Sud semblait largement impensable avant la demande du HCR, et ce pour des questions de faisabilité. L’institution militaire suisse reste en effet largement empreinte par une culture stratégique axée sur la défense de la nation et la sauvegarde de son indépendance ; introduites dans le cadre de la réforme Armée XXI, les notions d’avant-terrain opératif (quelques centaines de kilomètres au-delà des frontières), d’environnement stratégique (le continent européen) et d’environnement global (au-delà) avaient déjà contribué à élargir la perspective spatiale. Mais l’île de Sumatra aurait tout aussi bien pu se trouver sur une autre planète : à la fin décembre, et malgré l’ampleur des moyens militaires en cours de déploiement dans la région, l’armée ne pensait pas pouvoir intervenir aussi loin, aussi vite et aussi efficacement qu’elle l’a fait.



Un succès et une révélation

Le succès de l’opération a ainsi constitué une révélation, et pas seulement en Suisse. Opérationnels du 17 janvier au 27 février, les Super Puma de la Task Force SUMA ont accompli 476 heures de vol, transporté 2267 passagers et déplacé 368 tonnes de cargaison sans avarie majeure ni accident. Le délai entre l’ordre du Gouvernement et le début des vols a été de 10 jours, identique à celui du détachement de l’Armée de Terre française et de ses hélicoptères basés en métropole, alors que les Suisses ont été les derniers militaires européens – mis à part les Allemands – à quitter le théâtre d’opérations. Mieux encore : en établissant une coopération étroite avec l’antenne de la Direction pour le Développement et la Coopération (DDC) présente à Banda Aceh, l’armée a développé une synergie nationale mutuellement bénéfique à la politique étrangère suisse, et démontré son rôle complémentaire dans les situations de crise.

La présence d’un contingent de 50 militaires suisses et de ses 3 hélicoptères pouvait paraître négligeable parmi les 20'000 militaires et la centaine d’hélicoptères qui ont été mobilisés autour d’Aceh ; dans les faits, il faut différencier les moyens déployés de leur emploi sur zone. Avec en moyenne plus de 9 tonnes de cargaison par jour de vol, les Super Puma suisses ont ainsi approché le volume déplacé par les 17 hélicoptères embarqués sur le porte-avions USS Abraham Lincoln, qui oscillait entre 10 et 40 tonnes par jour ; au total, en un peu plus d’un mois, le navire américain a d’ailleurs transporté 3043 passagers. La comparaison avec les 2 pays européens les plus engagés est encore plus intéressante : avec 11 hélicoptères – dont 7 Puma et Super Puma – et 2 avions de transport Transall, les armées françaises ont transporté 476 tonnes de fret en 960 heures de vol, alors que le contingent espagnol a transporté 172 tonnes de fret et 675 passagers en 499 heures de vol avec 3 avions de transport CN-235 et 3 hélicoptères AB-212.

A Sumatra, les militaires suisses ont donc fourni une contribution de premier plan au niveau européen, et constitué un partenaire important dans la livraison de l’aide humanitaire – avec la reconnaissance que cela suppose. Cette première intervention en Asie du Sud, dans le cadre d’une opération multinationale qui s’est rapidement transformée en démonstration de force matérielle et morale, a fourni de la Suisse une image remarquable, dans la droite ligne de sa réputation faite de précision et d’excellence. L’ambassadeur en poste à Jakarta, Georges Martin, a d’ailleurs rapidement vu le bénéfice politique et diplomatique qui pouvait être tiré d’une intervention qu’il a largement appuyée. Et les militaires des grandes nations du Pacifique, à commencer par les Américains, ont été impressionnés par la performance de la petite TF SUMA ; il est vrai que c’est un équipage suisse, lors de sa première sortie, qui a guidé les secours vers un hélicoptère accidenté du Lincoln…

Plus prosaïquement, le succès de l’opération helvétique s’explique par son efficacité opérationnelle unique, et celle-ci reposait sur plusieurs éléments. Premièrement, les Super Puma étaient engagés et entretenus du lever au coucher du soleil, avec une seule pause de 30 minutes à midi, et accomplissaient en moyenne 6 heures de vol par jour, contre environ 2 heures pour leurs homologues européens. A l’exception de Banda Aceh, seul emplacement dans la zone sinistrée où le carburant était disponible, les chargements et déchargements se faisaient aussi souvent que possible rotor en marche afin de perdre un minimum de temps et faire 1 à 2 rotations supplémentaires dans la journée. Le rythme de travail était intense : le déchargement d’une tonne d’eau en bouteilles de 1,5 litres se faisait par exemple en moins de 2 minutes – je l’ai moi-même constaté – et le temps passé au sol, dans le hurlement des turbines, restait inférieur à 10 minutes.

Deuxièmement, le concept opérationnel a atteint un compromis idéal entre endurance et performance en appliquant un cycle de 3 jours pour chaque Super Puma : le premier jour, départ de Medan pour le secteur d’engagement, rotations toute la journée, puis nuitée à Sabang, dans le camp militaire français, à 40 km environ de Banda Aceh ; le deuxième jour, départ de Sabang pour commencer dès que possible les rotations, puis retour à Medan le soir ; le troisième jour, repos pour l’équipage et maintenance pour l’hélicoptère. La location d’un hangar sur l’aéroport de Medan, bien que celui-ci soit situé à 450 km de vol de Banda Aceh, et le déploiement d’un shelter entièrement outillé ont permis d’entretenir les machines avec un niveau de qualité presque identique à celui pratiqué en Suisse. L’absence d’avarie majeure sur les Super Puma, malgré un usage d’une intensité sans précédent, est le fruit de cette qualité.

Troisièmement, le partenariat avec le HCR a permis d’exploiter au mieux la capacité de transport mise à sa disposition par l’armée. Le concept d’emploi mis en place progressivement par cette agence de l’ONU a abouti au fait que les hélicoptères suisses volaient en fin de mission avec un taux de charge moyen atteignant 92% du maximum. Le HCR avait des équipes sur toutes les places d’atterrissage et était capable de planifier des navettes combinant transport de personnes et de biens. Les échanges d’informations avec le dispatch suisse à Medan et avec les pilotes offraient une souplesse et une réactivité que la lourde administration onusienne était incapable d’égaler ; le 23 mars dernier, l’United Nations Humanitarian Air Service (UNHAS) a par exemple annoncé avoir transporté en 2 mois d’opérations à Sumatra 4452 passagers et 544 tonnes de fret, malgré une flotte comprenant 3 Puma, 2 Mi-8 et 1 avion Twin Otter. Soit une efficacité 4 fois moindre que la TF SUMA.

Enfin, l’excellence du personnel et du matériel explique également le succès de l’opération. Le contingent suisse était structuré comme une force de circonstance interforces (Joint Task Force) visant à optimiser les opérations aériennes, avec un état-major de 11 officiers et 5 détachements aux effectifs variables (pilotes, mécaniciens, dispatch, logistique et sécurité militaire). Tous les postes étaient remplis par des professionnels et des spécialistes globalement très qualifiés et expérimentés, comme l’indique la moyenne d’âge de 38 ans recensée durant toute l’opération. Trois contingents ont été successivement déployés à Sumatra et leurs membres ont travaillé sans difficulté majeure dans un climat tropical, avec des températures pouvant atteindre 40° sous hangar et une humidité oscillant entre 80% et 90%. Aucun accident n’a été déploré en cours de mission, et la prévention contre les maladies infectieuses – Sabang était un foyer de malaria – s’est révélée efficace.

L’importance de l’opération n’a bien entendu échappé à aucun d’entre eux. Les dévastations dues au tsunami, le dénuement des survivants et la gratitude que ceux-ci ont témoignée à l’endroit des militaires étaient autant d’incitations à se surpasser. La province d’Aceh a eu besoin jusqu’à la mi-février d’une aide d’urgence, et les cargaisons d’eau, de nourriture et de médicaments transportées par les Super Puma ont soulagé l’existence de dizaines de milliers de personnes, et même sauvé une partie d’entre elles. La charge émotionnelle était d’ailleurs très lourde pour les équipages, amenés à opérer souvent pour la première fois dans une zone de catastrophe, et elle a nécessité des débriefings quotidiens pour éviter des cas de stress post-traumatique. Malgré cela, une partie des membres du contingent rentrés au pays ont eu du mal à reprendre le rythme normal de leur existence. La volonté d’en faire plus était une réaction naturelle.

Et l’armée suisse aurait pu en faire bien plus si elle était mieux équipée pour une mission axée sur une projection de capacités. Un seul des 2 avions de transport Casa C-295M demandés l’an dernier et refusés récemment par le Conseil national aurait par exemple été en mesure d’augmenter significativement l’efficacité du contingent suisse, notamment en permettant aux hélicoptères d’être positionnés plus près du secteur d’engagement et en appuyant les éléments décentralisés sur le plan logistique. Les 3 Casa déployés par l’Espagne à Sumatra ont d’ailleurs représenté le seul véritable succès dans l’engagement tardif de ce pays. D’autre part, l’armée gagnerait à adopter une conception modulaire pour le soutien de ses contingents envoyés dans des zones dégradées ou mal équipées, en réservant un petit nombre d’équipements spécialisés pour les missions menées en situation de crise à l’étranger.

La probabilité de telles missions va en effet croissant, et le succès de l’opération à Sumatra n’y est pas étranger. Le HCR s’est déclaré totalement satisfait de l’appui fourni par l’armée suisse, et va songer à le demander plus fréquemment pour des besoins désormais situés au-delà du continent européen ; la DDC a également exprimé son entière satisfaction et compte obtenir plus souvent l’appui de l’armée dans des situations de crise. L’opération « SUMA » a en effet démontré que les militaires suisses étaient capables d’intervenir rapidement et efficacement à 10'000 kilomètres du pays pour contribuer à juguler les effets d’une catastrophe ; or l’environnement médiatique contemporain aboutit précisément à réduire les distances, à rendre plus proches des évènements situés loin au-delà des frontières, et donc à augmenter les pressions – nationales et internationales – pour amener les Etats à mener des actions comprenant une composante militaire.

L’emploi des armées dans des situations de crise, que seuls les idéologues surannés refusent a priori, s’explique en effet par les capacités uniques qui les caractérisent. Les formations militaires sont conçues, équipées et instruites pour fonctionner dans des environnements dévastés par le combat, sans voies de communication praticables, sans électricité ni eau potable, sans soins sanitaires ni approvisionnement régulier. Elles possèdent également des processus de planification et de conduite qui leur permettent de s’adapter rapidement à des situations changeantes, de reconfigurer leurs structures et leurs dispositifs de manière flexible et modulaire. Enfin, leur armement est suffisamment gradué pour fournir une réponse proportionnelle à un large éventail de menaces, et donc d’exercer une présence dissuasive dans un grand nombre de contextes différents.

Cette convergence entre faisabilité, nécessité et opportunité explique pourquoi la projection doit devenir une fonction normale de l’armée suisse. Les intérêts objectifs et subjectifs du pays se globalisent au même rythme que les échanges économiques, les voyages et séjours de nos concitoyens ou les réseaux de télécommunication ; dans les années à venir, le Conseil fédéral sera régulièrement confronté à des crises majeures sur d’autres continents, pour lesquelles son meilleur outil de réaction rapide sera constitué de plusieurs composantes professionnelles de l’armée, spécialisées dans des domaines tels que la reconnaissance, la protection, la recherche et sauvetage, le transport aérien, l’aide humanitaire ou encore la logistique. Il exigera des militaires une réponse rapide quant à leur capacité d’intervention dans une situation donnée, et les options politiques pouvant être développées sur cette base, avant de décider et d’ordonner.

En conclusion, il faut donc souligner le fait que l’opération de l’armée suisse à Sumatra ouvre clairement une nouvelle ère pour celle-ci : avec un secteur d’intérêt élargi au monde entier et un développement des capacités d’intervention au-delà du continent européen, c’est une évolution majeure qui est en train de se produire. Il reste à espérer que la classe politique du pays cesse de la considérer comme un gadget électoral et lui accorde à nouveau les moyens nécessaires à ses missions futures.



Lt col EMG Ludovic Monnerat  









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