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Vers des armées non linéaires, organiques et sociétales

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27 juin 2004

Système Félin de Giat IndustriesL

a principale entrave à la transformation des Forces armées n’est pas le manque de crédits ou l’opacité de l’avenir, mais bien la vétusté des idées. Pour construire les formations de demain, il faut cerner les concepts qui en seront les fondations. C’est l’intention de cet article, qui montre pourquoi les armées futures auront des capacités non linéaires, une structure organique et un ancrage sociétal.

Plongées dans un monde où règnent l’artifice et le clinquant, les armées modernes cultivent malgré elles une apparence trompeuse : derrière la rigueur des formes et l’éclat des équipements magnifiés par l’honneur du service se cachent en effet un ensemble d’idées qui déterminent à la fois la doctrine, les structures et l’état d’esprit des formations, et qui ont de ce fait une influence capitale sur leur efficacité opérationnelle. Or ces idées sont bien souvent des dogmes, des solutions ponctuelles dont le caractère périssable a été oublié, et qui régissent les réflexions jusqu’à ce que la réalité s’impose brutalement. Le spectre des Ardennes et de la Meuse « infranchissables » hante encore les couloirs des états-majors.


«... Condamnées à juguler le chaos multiforme d'environnements déstructurés, les armées devront avoir des capacités non linéaires, axées sur la flexibilité, l'imprévisibilité et la promptitude. »


Au siècle dernier, les militaires ont dû en permanence réviser à l’ombre de l’échec leurs convictions les plus profondes : la supériorité du choc sur le feu, de la cavalerie sur l’infanterie, de la fortification sur l’offensive, du cuirassé sur le porte-avions ou encore du bombardier sur le chasseur ont toutes été défendues avec acharnement jusqu’à leur démenti sanglant. Présumés intangibles, ces principes ont en fait retardé l’émergence de concepts novateurs en favorisant l’incompréhension des conflits futurs, et en particulier des ruptures qui les caractérisent fréquemment. Rien de pire qu’un succès pour préparer l’avenir ; des forts de Verdun à la Ligne Maginot, de Dien Bien Phu à Khe Sanh, comme des Six Jours au Yom Kippour, l’immobilisme intellectuel mène fatalement à la surprise.

Est-ce que notre époque comporte également ses dogmes ? Cela va de soi. Les transformations subies par les Forces armées européennes ces dernières années ont montré que nos usages opératifs et nos réflexes tactiques s’insinuent dans toutes nos projections conceptuelles. De nos jours, des idées telles que la primauté du combat symétrique de haute intensité, la séparation des corps de troupes en infanterie, artillerie ou génie, la hiérarchie pyramidale et ses planifications séquentielles, ou encore la structuration des secteurs en deep / close / rear, sont des principes reconnus, enseignés, entérinés. Gare à qui viendrait les contester. Même s’ils datent au mieux de la guerre froide !

Le défi de la nouveauté est connu : nous avons tendance à imaginer spontanément des améliorations progressives à l’outil militaire, alors que ce sont les innovations disruptives qui en définitive changent la face du monde, quelle que soit la modestie de leurs débuts. Entre l’enlisement des Mark I sur la Somme et la promenade des M1A1 Abrams dans le désert irakien, 75 ans ont été nécessaires pour que le concept du char de combat naisse, se développe, s’impose et amorce son obsolescence. Par conséquent, pour avoir demain l’armée de nos besoins et non celle de nos habitudes, comme le souhaitait de Gaulle, il faut imaginer aujourd’hui les concepts répondant aux paradigmes des conflits futurs. Les lignes suivantes ont l’ambition de s’en approcher.



Capacités non linéaires

S’il est un constat qui s’impose, c’est que la fin de l’ère industrielle a périmé la guerre totale et tous les modes de destruction à la chaîne qui en ont découlé. La discontinuité et l’asymétrie des conflits ont ainsi fait exploser le champ de bataille traditionnel, et avec lui le crescendo précédant le paroxysme du combat ; non seulement l’épée reste l’axe du monde, mais les mains qui la brandissent ne sont plus seulement celles des nations. Parallèlement, le spectre des missions s’est élargi en une gradation subtile dans l’application de la force, face à de multiples acteurs allant de l’activiste individuel à l’organisation transnationale, et sous l’œil émotif d’opinions publiques rivées aux médias planétaires. Condamnées à juguler le chaos multiforme de ces environnements déstructurés, les armées devront dès lors avoir des capacités non linéaires, axées sur la flexibilité, l’imprévisibilité et la promptitude.


Polymorphisme opérationnel

Le premier concept nécessaire peut être défini comme le polymorphisme opérationnel. Signe historique de l’appartenance aux Forces armées, l’uniforme a perdu son caractère originel en devenant avant tout un moyen de camouflage ; les conflits modernes ayant pour cadre principal non plus les plaines et sous-bois mais le milieu urbain et les populations qui y vivent, il est logique que l’apparence militaire s’y adapte en se raréfiant – au moins pour des phases d’infiltration, de surveillance ou de reconnaissance. Certaines unités d’élite ont d’ailleurs depuis longtemps l’habitude d’opérer sans uniforme, à l’intérieur ou en-dehors du territoire national, alors qu’une telle pratique est indissociable des adversaires asymétriques. Le port intégral et continu de l’uniforme est devenu une entrave à la souplesse des corps constitués, comme le savent depuis toujours les forces de l’ordre civiles – sans même parler des branches « action » des services de renseignements.

Demain, les formations militaires seront donc polymorphes, et elles adapteront graduellement leur apparence en fonction de la létalité de l’opposition et de la confidentialité de l’action. Elles pourront être engagées dans des missions ouvertes et représenter la force publique d’un État, en arborant uniformes, armes et véhicules militaires, mais également accomplir des opérations discrètes ou clandestines avec des habits civils et des équipements banalisés, et en ne dévoilant de signe distinctif que lorsque la marque de l’autorité devient nécessaire. Elles devront de ce fait pouvoir s’immerger complètement dans leur environnement opérationnel, et acquérir ou posséder les connaissances linguistiques, culturelles et historiques qu’exige leur interaction avec les populations et les structures locales. Une distinction claire entre les actions réversibles et les effets définitifs devra être établie pour s’accommoder des règles contenues dans le droit international humanitaire, quand bien même ce dernier peine à s’appliquer aux conflits de ce siècle.

Clairement antagonistes avec cette acculturation, le formalisme et l’uniformité des armées se limiteront bientôt à une prestation d’apparat, dans l’optique d’une démonstration de force, à une pratique pédagogique au début de l’instruction et à une contribution symbolique à l’émergence d’un esprit de corps indispensable. Par ailleurs, la graduation de l’identification entraînera une diversification des acquisitions et un renouvellement des codes visuels propres aux unités militaires. Cette transformation ne manquera pas de susciter de vives résistances émotionnelles et des controverses sur la spécificité des Forces armées. Pourtant, les objections de cette nature ne sauront avoir qu’une influence restreinte, car la palette d’options et les synergies dues au polymorphisme dicteront largement la cohérence des armées face aux menaces futures. De plus, l’application délibérée de la coercition armée sera indissociable de sa justification quantitative. Entre les traditions séculaires et l’efficacité opérationnelle, le choix n’existe donc pas.


Multifonctionnalité mimétique

Le deuxième concept capacitaire prendra le nom de multifonctionnalité mimétique. Aujourd’hui encore, le mythe du spécialiste hypercompétent péjore la formation du personnel militaire en fournissant un idéal de performance déconnecté de la réalité, et une vision monolithique des fonctions attendues des militaires individuels ou des unités élémentaires qui les rassemblent. En fait, la variété déroutante des environnements opérationnels ainsi que la brusque transition des risques et des menaces exigent plus que jamais des facultés d’adaptation et de souplesse, alors que l’élargissement des secteurs d’engagements amène chaque soldat à être potentiellement confronté à cette complexité. Disposer d’une supériorité marquante dans un seul domaine est avant tout synonyme de vulnérabilité dans tous les autres. Ce siècle appartient aux généralistes sachant en permanence garder la vue d’ensemble et fournir un éventail d’options.

A l’avenir, les unités militaires seront ainsi multifonctionnelles et pourront être engagées dans tous les contextes, quelle que soit l’évolution de la menace durant la mission. Elles mèneront successivement ou simultanément des actions oscillant entre la coercition, la contention et la coopération, en s’appuyant sur la flexibilité du soldat et la versatilité des équipements, mais également sur une doctrine intégrant les exigences de toutes les prestations. Elles seront aussi en mesure de renforcer l’effet de leurs actions en y associant des organisations civiles et des structures non gouvernementales présentes dans leur secteur d’engagement. En donnant aux gouvernements des options redéfinies en permanence, l’institution militaire sera prioritairement tournée vers l’action stratégique et tous ses échelons inscriront leurs effets dans cette perspective.

La polyvalence sera donc aux formations armées ce que le logiciel est au matériel : une capacité au cœur de leur existence même. La fonction généralement unique des soldats fera place à un ensemble de compétences multiples, comprenant quelques efforts principaux et s’appliquant au spectre complet des missions. Les équipements seront également conçus dans une optique multifonctionnelle, et les plates-formes conjugueront notamment des effets aujourd’hui l’apanage de véhicules dédiés – feu direct et indirect, létal ou non, sol-sol et sol-air, transport et combat, etc. – sous une apparence aussi proche que possible, afin que le mimétisme contribue à dissimuler les intentions de la manœuvre. La spécialisation ne disparaîtra pas complètement, mais l’intelligence artificielle et la robotisation permettront aux militaires de se concentrer sur l’essentiel : les interactions humaines.


Dualité prédateur / proie

Un troisième concept doit être introduit pour concrétiser cette capacité fondamentale : la dualité prédateur / proie. De tous temps, les petites formations militaires ont eu des aptitudes offensives et défensives, un potentiel de protection et de destruction ; mais elles avaient généralement une orientation principale, et c’est l’addition de formations diverses – le combat interarmes – qui fournissait l’équilibre attendu. Si les groupements de combat introduits durant la Seconde guerre mondiale ont illustré avec éloquence l’efficacité de tels mélanges face à des adversaires symétriques moins flexibles, c’est pendant le dernier demi-siècle que se sont généralisées les unités intégralement versatiles, à même d’alterner promptement l’attaque et la défense, comme l’infanterie mécanisée, le chasseur-bombardier ou le destroyer lance-missiles. Mais ces unités sont taillées pour des champs de bataille et des formes de guerre aujourd’hui raréfiés.

Dans les conflits déstructurés qui nous menacent, où aucun front défini ne procurera le répit d’une zone arrière, cette dualité sera une question de vie ou de mort. La prolifération des adversaires asymétriques, des projectiles intelligents à longue portée et des armes robotiques semi-autonomes feront de toutes les unités militaires des proies faciles ; parallèlement, le développement des senseurs, l’interconnexion des réseaux de transmission et l’insensibilité aux conditions atmosphériques en feront des prédateurs féroces. A l’instar du monde animal, chacune d’entre elles devra pouvoir participer au guet, à la traque et à l'assaut, mais également prendre la fuite et s’évanouir en cas de danger. En d’autres termes, alterner spontanément la concentration et la dispersion, dans le temps et dans l’espace, et faire de ces mouvements complexes les flux respiratoires d’un organisme supérieur.

La prédation est étroitement associée à l’engagement classique des unités, puisqu’elle privilégie l’attente, la séparation des tâches et la coordination entre chaque entité ; elle se fonde essentiellement sur une pensée linéaire visant à minimiser le risque et l’incertitude par la supériorité et la sûreté. Par conséquent, le caractère vulnérable et insaisissable de la proie constituent un paradigme comportemental plus élaboré, car sa maîtrise suppose une pensée non linéaire trompant l’adversité par l’irrégularité des dispositions, la décentralisation des décisions et le maintien du lien tactique. Demain, les formations militaires seront donc caractérisées par une indépendance maximale jusqu’aux plus bas échelons, une connectivité redondante et identitaire, ainsi qu’une imprévisibilité renforcée par des algorithmes d’intelligence artificielle développés pour manipuler les senseurs adverses. Se fondre dans le chaos exige de renoncer à l’apparence de l’ordre.


Ciblage vectoriel

Enfin, le dernier concept opérationnel à être développé correspond au ciblage vectoriel. Traditionnellement, la visibilité des formations militaires et des infrastructures nécessaires à leur déploiement assurait un dénombrement aisé des objectifs ; malgré la notion clausewitzienne de centre de gravité ou les cercles distingués par Warden, la simplicité de l’attrition explique en grande partie sa prédilection. Celle-ci a été parfaitement illustrée par la guerre aéroterrestre classique, où l’articulation des cibles déterminait largement celle des armes, alors que la planification découpait en phases distinctes la réduction progressive des capacités adverses. Mais la dispersion des adversaires asymétriques au sein des populations et la multiplication des senseurs en temps réel ont périmé cette procédure – au moins pour des raisons morales et logistiques.

L’environnement opérationnel futur sera trop complexe, diffus et enchevêtré, pour se laisser quantifier de la sorte, et son évaluation mènera au ciblage non pas des seuls acteurs impliqués, mais avant tout des liens existant entre eux. La situation sera décrite de manière dynamique, en localisant les vecteurs par lesquels transitent informations, connaissances, équipements, sommes d’argent, marchandises ou personnes. Il s’agira par ce biais de comprendre les facteurs physiques, psychologiques et éthiques d’un conflit, c’est-à-dire ceux qui déterminent respectivement la capacité, la volonté et la légitimité d’agir, puis d’apprécier leur évolution constante et ainsi d’être à même de les influencer. La réduction des belligérants à une suite de cibles matérielles sera oblitérée par la dimension humaine de l’affrontement.

Les unités militaires adapteront en conséquence leurs modes opératoires et élargiront leur palette d’effets, en développant et en prolongeant les doctrines actuelles allant dans ce sens. La destruction, la surveillance ou la protection seront complétées par l’arrestation et la neutralisation ; mais la contre-propagande, la construction, l’aide humanitaire, l’instruction, le désarmement ou la déception deviendront également des prestations coutumières. Afin de distendre ou de renforcer certains liens, les formations armées seront par ailleurs en mesure d’interagir avec l’ensemble des acteurs présents dans leur domaine d’activité, et elles s’y prépareront en permanence par les échanges et la collaboration. A terme, les opérations visant à atteindre un état final découlant des objectifs stratégiques pourront donc être décrites en termes d’affaiblissement ou de renforcement matériel, mental et moral. Et cette prise en compte intégrale des cœurs et des esprits au même titre que des muscles définira à elle seule l’efficacité des militaires. Une caste introvertie ne sera jamais le bras armé d’une société.



Structure organique

Les forces à même de produire de tels effets auront des structures largement différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Depuis des millénaires, l’organisation des armées a été déterminée prioritairement par la portée des armements et par l’efficacité des moyens de transmissions ; avec la diversification des vecteurs et le développement des télécommunications, les groupements de combats interarmes et les organisations divisionnaires classiques sont évidemment obsolètes. En ce début de siècle, la violence armée n’est plus méthodique et étatisée, mais spontanée et contagieuse, presque métastatique ; afin d’en être à la fois le vaccin et l’antidote, les armées seront semblables à des organismes vivants, adaptant constamment leurs mécanismes internes, leur rythme opérationnel et l’agencement de leurs subdivisions en fonction de la menace. L’abandon des structures monolithiques exige dès lors un effort intellectuel majeur au niveau de l’articulation des formations et des processus de commandement.


Maillage cellulaire

Le premier concept nécessaire à cette mutation est certainement le maillage cellulaire. En effet, le développement de la hiérarchie pyramidale et l’augmentation des effectifs ont amené les Forces armées à superposer jusqu’à 12 subdivisions successives, à l’époque des guerres mondiales, et c’est surtout la réduction des états-majors et la compression quantitative qui permettent aujourd’hui aux structures contemporaines de compter moins d’échelons. Pourtant, la superposition des niveaux hiérarchiques aboutit immanquablement à une différenciation de perspective, par laquelle l’engagement tactique est l’affaire des corps de troupes, la manœuvre opérative le propre des Grandes unités et l’action stratégique l’apanage du commandement politico-militaire. Face à des adversaires structurés en réseaux d’individus et agissant avant tout dans une perspective stratégique, cet échelonnement est l’assurance d’une asymétrie perpétuelle.

A l’avenir, les Forces armées adopteront donc une organisation horizontale et cellulaire, utilisant l’interconnexion des réseaux pour établir des liaisons intégrales et redondantes. A l’instar de l’ADN dans un organisme animal, chaque subdivision aura accès aux informations de base communes à l’ensemble et nécessaires à la cohérence de ses activités ; mais elle fera également partie de son système nerveux en transmettant et relayant les informations qu’elle génère ou reçoit, en un fonctionnement nodal permettant de surmonter les perturbations consécutives aux pertes. Indifférente aux échelons, cette continuité aura pour effet de renforcer le lien tactique quelle que soit la dispersion des formations, et de rendre inutile le cloisonnement pyramidal. Limites de secteur et subordinations rigides ne seront qu’une exception liée à des coopérations hétérogènes.

Le contact direct sera donc possible, voire parfois indispensable, entre les petites unités et l’autorité politique, et il permettra de fournir un aperçu en temps réel de la situation tout en orientant l’action entreprise au plus près des objectifs stratégiques. De fait, l’instabilité des environnements opérationnels ne feront plus des règles d’engagement un canevas résumant toutes les réactions concrètes aux menaces, et notamment leur médiatisation. Malgré le risque de dérive que représente la micro-conduite, la conservation d’échelons intermédiaires ne se justifiera que par leur contribution à l’efficacité opérationnelle. Ainsi, le maillage établi et maintenu entre toutes les unités feront de celles-ci un essaim sans forme, disséminé par ses activités multiples mais conservant la conscience de la situation ; un organisme unique alternant dureté solide, fluidité liquide et immanence éthérée.


Parallélisme préemptif

Un deuxième concept structurel est nécessaire à la concrétisation de cet objectif : le parallélisme préemptif. De nos jours, tous les échelons opératifs et tactiques effectuent une planification d’emploi complète avant de conduire et de contrôler l’action déclenchée ; il en découle un processus de commandement à la fois redondant et séquentiel, où chacun répète une procédure identique, qui entrave le rythme opérationnel et la spontanéité des formations. Une brigade recevant une nouvelle mission consacre désormais à la planification plus de 80% du temps nécessaire à son déclenchement effectif, alors que la procédure consistant à agir selon l’évolution d’une situation conduit immanquablement à céder l’initiative, ce qui suffit souvent aux adversaires asymétriques pour parvenir à leurs fins. Avec la multiplication des informations et la complexité accrue des environnements, ce processus n’a tout simplement aucun avenir : les chefs militaires ne pourront plus tout faire à la fois, les uns après les autres, en se portant aux avants-postes pour inspirer leurs subordonnés. Le mythe du panache blanc appartient à l’histoire.

Demain, les formations auront donc une articulation basée non sur les seules capacités opérationnelles, mais avant tout sur la séparation de quatre processus de commandement : la conception, le contrôle, la conduite et l’exécution des actions. L’échelon chargé de la conception prendra la forme d’un état-major interarmées qui planifiera de manière décentralisée les actions au niveau stratégique, opératif et tactique supérieur ; le contrôle de ces actions et les coordinations induites seront l’affaire d’états-majors d’engagement permanents, à qui seront attribués les moyens – militaires et civils – correspondant aux missions ordonnées, et qui agiront comme aujourd’hui les contrôleurs aériens ou les centrales d’engagement. La conduite de l’action sera assurée par les chefs des formations interarmes et interdépartementales constituées et engagées en vue de la mission, alors que son exécution concrète reposera sur les entités insécables qui constitueront la base des forces futures.

Bien entendu, cette spécialisation en fonction d’un processus ne sera pas complète, car la responsabilité opérationnelle implique la connaissance de tous les éléments ; mais la superposition d’échelons voués prioritairement à un processus distinct aura pour effet d’ériger ceux-ci en activités permanentes et parallèles, et ainsi d’inverser la procédure réactive de l’engagement. Confrontées à des menaces transversales et discontinues, les formations militaires exerceront donc leur influence par un modelage constant de l’environnement, au lieu de réponses ponctuelles aux faits et gestes d’autrui, et feront de l’action préemptive leur paradigme opératoire dans tout le spectre des missions. Dès lors, afin d’accélérer et d’optimiser leurs cycles de décision, elles procèderont à une systématisation de l’initiative individuelle dans le cadre stratégique en conférant à chacun de leurs membres une liberté d’action à la mesure de ses immenses responsabilités.


Modularité fractale

Ce qui exige l’introduction d’un troisième concept, qui doit être nommé modularité fractale. Les ordres de batailles tirés au cordeau restent en effet l’une des plaies de la hiérarchie militaire : d’une part, la rigidité qu’ils impliquent s’oppose à la dynamique de l’adversité et contraint souvent à procéder dans l’urgence aux réorganisations nécessaires ; d’autre part, le caractère intangible des bataillons et des unités est incompatible avec la discontinuité des menaces et la diversification des acteurs présents, qui nécessitent des actions sans cesse redéfinies. Enfin, le principe même de l’ordre de bataille permet à un observateur extérieur de comprendre le dispositif adopté en ne percevant qu’une fraction de celui-ci, et ainsi de cerner les intentions qui président à son déploiement. Tout ou presque plaide pour l’abandon de structures déterminées par avance en fonction d’une mission et d’un adversaire uniques.

Afin de doser avec précision l’ampleur des effets projetés, de recomposer rapidement les groupements en fonction des nécessités opérationnelles, ou simplement de donner une fluidité optimale aux mouvements de concentration et de dispersion, les formations militaires seront donc modulaires jusqu’aux plus bas échelons. La plupart des champs d’engagements de ce siècle, qu’ils occasionnent un combat digitalisé et semi-robotique ou une violence asymétrique et scénique, verront l’engagement de groupements interarmes dont les éléments insécables seront le groupe, le char, le véhicule ou la pièce. Toutefois, les missions les plus exigeantes seront accomplies par des formations à haut niveau qualitatif, dont le militaire individuel constituera l’échelon de base, sur le modèle des forces qualifiées aujourd’hui de spéciales – et dont la normalité s’imposera.

Mais la structure opérationnelle des formations ne reposera pas uniquement sur des principes objectifs, comme la sûreté ou la souplesse ; elle sera également dictée par l’impact subjectif de leur présence et par les capacités de leurs adversaires. La nécessité d’éviter les schémas, aisément reconnaissables avec le temps, fera ainsi de l’irrégularité une pratique usuelle, aussi bien au niveau des équipements, des apparences que des comportements. Le paradigme organisationnel de l’avenir correspondra à la géométrie fractale, qui reproduit l’ordre chaotique du monde naturel et évite la répétition par des équations non linéaires ; et ce sont la décentralisation maximale des moyens, l’adaptabilité des soldats et l’invariance de perspective entre les échelons qui permettront d’assembler les formations militaires en un organisme viable, sensible et mimétique.


Découplage pulsionnel

Pour ce faire, le dernier concept devant être développé porte le nom de découplage pulsionnel. De manière générale, les Forces armées contemporaines ont une maîtrise avérée de l’espace en trois dimensions, encore que la coordination air-sol reste délicate ; elles peinent en revanche à faire de même pour la dimension temporelle. L’héritage dogmatique de la guerre totale tend à générer un élan continu et hyperactif, qui entraîne bien souvent confusion, contre-productivité ou épuisement prématuré, alors que les affrontements stratégiques reposent avant tout sur des facteurs s’inscrivant à long terme. Pire, la continuité des processus enclenchés est en opposition directe avec le caractère discontinu des menaces modernes : le terme de basse intensité qui qualifie les conflits actuels n’est jamais qu’une moyenne artificielle, étrangère aux éruptions de violence extrême que la médiatisation peut transformer en symbole universel et durable.

Demain, le tempo opérationnel des formations militaires sera donc aussi variable que le rythme cardiaque, oscillant entre le surrégime passager, la veille prolongée et l’hibernation partielle. Toutes les fonctions seront liées à ce rythme par l’émission plus ou moins rapprochée de véritables pulsions, prenant la forme de données envoyées dans le réseau, d’informations générales ou ciblées, de biens logistiques livrés ou disponibles, ou encore de moyens supplémentaires venant en renfort. La communication des besoins exacts permettra de remplacer les flux continus et aisément identifiables par des transferts ponctuels d’éléments matériels ou immatériels, et ainsi d’adapter leur fréquence selon les actions engagées ; de plus, la surveillance des données émises et ses conséquences les plus simples seront à la portée de systèmes experts facilitant la tâche des contrôleurs de ces actions. La routine sera laissée à la machine, et l’homme pourra se focaliser sur l’incertitude.

Par ailleurs, les variations de rythme seront affectées par un découplage de perspective temporelle entre les différents échelons. Même en conservant une conscience de la situation stratégique, les unités interarmes chargées de conduire et d’exécuter les actions seront concentrées sur les effets à court terme correspondant à leurs objectifs ; au contraire, les états-majors auront la capacité de prendre en compte des phénomènes s’inscrivant à moyen ou long terme, et la nécessité de considérer cette portée génèrera une activité plus régulière. Le sommet de la hiérarchie militaire mènera ainsi en permanence des réflexions prospectives qui formeront et influenceront le cadre des opérations planifiées, et sera attentif à toutes les tendances qui modifieront l’environnement stratégique au fil des décennies. En définitive, seule la prescience de l’évolution pourra inspirer aux armées les mutations indispensables à leur efficacité.



Ancrage sociétal

La dimension des conflits que connaîtra ce siècle entraînera en effet une transformation radicale de la culture militaire, et l’idée d’un affrontement entre soldats réguliers, sur un champ de bataille délimité, en marge des populations civiles et à l’insu relatif du monde entier, relève de la nostalgie corporatiste. La violence ne perdra pas en intensité, mais son application à toutes les couches de sociétés globalisées multipliera les cibles et les vecteurs : pressions politiques, offensives financières, démarches diplomatiques, campagnes de presse ou actions écologiques appartiendront aux arsenaux des collectivités au même titre que la surveillance aéroterrestre, le blocus maritime et l'opération spéciale – ou encore les vagues d’attentats. Faite de force, de volonté et de morale, la guerre future sera un affrontement multipolaire, une lutte incertaine et permanente, où la distinction traditionnelle entre les armées et les populations ne sera qu’un souvenir. C’est donc tout l’aspect humain de l’action armée qui doit viser à affermir et à sauvegarder l’ancrage sociétal des formations militaires.


Prosélytisme individuel

Le premier concept nécessaire à cet impératif peut être défini comme le prosélytisme individuel. Aujourd’hui encore, les armées tendent à considérer comme une évidence la légitimité de leurs actions en raison des décisions politiques qui les fondent, et perpétuent ainsi les réflexes intellectuels hérités de la guerre totale, où la défense est dictée par la survie de la nation. Pourtant, c’est précisément le caractère légitime ou non des actions gouvernementales et de leurs modes opératoires qui fait désormais l’objet de controverses durables : les conflits déstructurés et surmédiatisés mettent en scène un enchevêtrement tellement diffus de valeurs antagonistes que le sens de l’action armée, quelle que soit la létalité de celle-ci, suscite rarement un large consensus. La démocratie implique la discussion contradictoire et la persuasion argumentative ; dès lors que toute opération déclenchée suppose l’approbation majoritaire – au moins a posteriori – de la population, refuser d’entrer dans le débat revient à mépriser l’avis de ses concitoyens.

Les Forces armées pratiqueront donc demain une communication prosélyte, visant à convaincre une audience aussi large que possible, et expliquant la signification et les contingences de leurs activités. Elles s’efforceront en permanence de développer et d’adapter leurs argumentaires en fonction des opérations projetées, menées ou effectuées ; ainsi, elles alterneront information réactive et préemptive, contribueront à façonner l’environnement du sens par des messages réguliers, tout en demeurant capables de contrebalancer les offensives adverses ou les résistances tierces en ce domaine. Dans la sphère incertaine et changeante du sens, les unités militaires seront par-dessus tout attentives aux images et aux locutions ayant valeur de symboles, aux éléments moraux véhiculés par leurs actions. Un mot ou une photo auront plus d’impact qu'une intention aussitôt mise en procès.

Bien entendu, du personnel et des structures spécialisés seront chargés de planifier, de contrôler, de conduire et d’exécuter les opérations informationnelles. Pourtant, l’élément central de toute communication sera le militaire individuel : il s’agira de le persuader et de susciter son adhésion, afin qu’il puisse lui-même répandre spontanément ses convictions en-dehors des rangs et que le feedback des cadres et soldats permette un ajustement constant des arguments. Objectives et ciblées, les informations externes seront ainsi complétées par des informations internes qui, conjuguées à une instruction exigeante et réaliste, créeront les bases d’un esprit de corps solide. Les soldats constitueront des médias au sens propre entre l’institution militaire – en tant que bras armé des autorités politiques – et les différents groupes socioculturels composant la nation ou le théâtre d’opérations.


Transparence interactive

Pour ce faire, nous avons besoin d’un concept relationnel nommé transparence interactive. Ce n’est pas un hasard si les armées sont traditionnellement qualifiées de « Grandes Muettes » : l’importance justifiée qu’elles vouent au secret dérive souvent en une obsession couvrant d’opprobre les métiers de l’information, alors que l’attachement à la mission amène parfois à diaboliser ses contempteurs. En conséquence, les propos schématiques et flous des militaires sont reçus avec suspicion, alors que le retard à aborder certains thèmes ou à fournir des précisions génère doutes et hypothèses irrationnels. Quand informer trop peu ou trop tard est assimilé à une manipulation permanente, le sens de l’action armée n’a aucune chance de traverser intact le prisme inégal des médias.

A l’avenir, les formations militaires feront donc en permanence preuve d’une transparence maximale, dont la seule limite restera la sécurité opérationnelle. Elle ne prendra pas la forme de spécialistes en communication habiles à juguler les journalistes, ou de conférences de presse à grand spectacle et retransmises en direct, mais deviendra une démarche standardisée pour l’ensemble des militaires. Ainsi, la majorité des rapports menés et des communications effectuées par les formations seront enregistrés et rendus publics ; de même, les capteurs engagés à bord des véhicules, sur les armes et dans les équipements, tout comme le champ visuel des soldats individuels, feront fréquemment l’objet d’enregistrements préparés pour une utilisation ultérieure. La caméra embarquée et le micro ouvert appartiendront à la routine militaire, et permettront aux armées de contourner l’hégémonie des médias sur l’information de masse – tout en montrant la réalité des engagements menés.

Par ailleurs, cette transparence formera également la base d’une communication bilatérale en temps réel par le biais de l’interactivité. Afin de rapprocher le public de l’institution militaire, les citoyens pourront d’une part se connecter et recevoir des images ou des sons retransmis en direct parmi un éventail de sources en ligne, lors de missions à bas risque ; dans certains contextes, ils seront d’autre part en mesure d’être reliés directement à des équipements d’observation ou à des organes de surveillance, et de transmettre leurs suggestions ou de collaborer à des tentatives d’identification. Ces liaisons sans intermédiaire et cette proximité généralisée ne mettront en péril ni la sécurité opérationnelle, ni la sphère privée ; ponctuellement, en ne dévoilant pas tout, elles contribueront même à la désinformation des adversaires. En faisant de chaque soldat un acteur potentiel et de chaque poste de commandement une régie, elles imposeront toutefois dans les rangs le renouveau d’une culture scénique en voie de désuétude.


Identification sociale

Dans cette perspective, le troisième concept nécessaire peut être défini comme l’identification sociale. Avec le développement de l’information en continu, il s’est créé une fracture béante entre la réalité de la vie militaire et sa perception dans le grand public. L’anonymat recouvrant les hommes et femmes sous les drapeaux, le formalisme à répétition des gestes et des paroles, l’emphase permanente sur les équipements de haute technologie, ou encore la mise en exergue des actions sans les réflexions qui les fondent, donnent souvent aux armées l’apparence de machineries collectivistes et insensibles, pour tout dire inhumaines. Une telle posture, tranchant avec des sociétés devenues individualistes et émotives, prête le flanc aux accusations de violence excessive et irréfléchie, au spectacle de souffrances filmées en gros plan. En opposant un robot impavide à l’homme martyrisé, le sens de l’action armée se noie dans le déluge émotionnel.

Les formations militaires s’efforceront par conséquent d’amener le public à s’identifier à leurs membres et à leurs activités. A l’exception des unités spécialisées dans les actions clandestines, les soldats feront ainsi l’objet d’une couverture médiatique – interne et externe – destinée à cerner leurs caractéristiques individuelles ; leur personnalité sera bien entendu mise en valeur, et leur nom, leur prénom, leur profession initiale comme leur origine seront systématiquement mentionnés, au même titre que leur fonction militaire et leur incorporation. Mais c’est surtout leur humanité qui sera soulignée : les aspirations, les sentiments, les doutes ou les réflexions des militaires de tous grades, au sujet des actions en cours ou accomplies, seront médiatisés dans l’exacte mesure des limites propres à la sphère privée.

Toutefois, cette identification ne sera optimale que si la composition des formations militaires correspond pour l’essentiel à celle de la société. Il ne s’agira pas d’établir des quotas selon les appartenances socioculturelles, ethniques ou religieuses, car les armées resteront des outils définis par l’efficacité ; mais leur personnel constituera une projection à haut niveau qualitatif de la population toute entière, en portant ses valeurs et son identité, et sa base de recrutement sera élargie au maximum. L’évolution accélérée des sociétés devra donc se répercuter au sein des Forces armées, dans une proportion et selon des modalités dépendant de leurs objectifs stratégiques. Dès lors que les conflits impliquent toutes les facettes des collectivités, la culture militaire traditionnelle devra se transformer et assurer la cohésion sociétale.


Réciprocité cognitive

Un dernier concept relationnel, la réciprocité cognitive, mettra un terme aux dérives de notre époque en ce domaine. Il est en effet absurde de penser que l’écart entre la société civile et les armées doit être réduit par la démilitarisation de celles-ci, par l’abandon d’une culture devant ses valeurs à toute l’histoire des guerres depuis l’Antiquité. Pourtant, les militaires tendent à se replier sur un savoir-faire technique et tactique et laissent la question du sens de l’action armée aux dirigeants civils, alors même que ceux-ci, rechignant à ces actes d’autorité tant déconsidérés par les médias, en viennent à exclure l’usage de la force en deçà d’un ultime et incertain recours. Le parallélisme de ces errances, face aux défis du siècle, montre l’importance des échanges cognitifs entre civils et militaires, et d’un rapprochement fondé sur la réciprocité. L’art de la guerre n’est pas une expression passée.

Demain, les armées s’ouvriront davantage aux connaissances acquises par les organisations civiles. Aujourd’hui déjà, l’évolution des télécommunications bouleverse les structures et les liaisons des organes de direction, l’interconnexion des réseaux impose le développement de la sécurité matérielle et logicielle, la globalisation des marchés et les flux migratoires multiplient l’appréhension de cultures différentes, alors que la concurrence accrue et les contrats internationaux transforment la logistique opérationnelle. Ce sont non seulement les corps constitués comme la police et les gardes-frontières, mais également de nombreuses entreprises et organisations non gouvernementales qui intéresseront les militaires ; et un processus constant d’acquisition, de développement et d’enseignement du savoir permettra de repousser la tentation de la privatisation.

Par ailleurs, les armées transmettront également leurs connaissances spécifiques à la société civile. L’éducation à la discipline et au sacrifice de soi dans un engagement désintéressé, l’instruction individuelle et collective aux risques sécuritaires et à leurs réponses, l’apprentissage de la conduite des hommes et de la maîtrise du stress en situation de crise, ainsi que la méthodologie optimisant la planification et l’exécution d’actions en milieu semi-permissif, resteront des acquis inestimables au sein d’une société démocratique et libérale. La dimension civique de l’instruction militaire fera donc partie intégrante des missions confiées aux armées, et celles-ci auront pour objectif essentiel, après l’adaptation de leur capacité opérationnelle, de rendre à la société civile des hommes et des femmes aptes à l’enrichir, à la fortifier, à en être les sentinelles invisibles. Comme par le passé, les meilleures armées de l’avenir seront citoyennes.



Conclusion

Les concepts approchés ci-dessus sont tout naturellement destinés à être discutés, et donc contestés. Ils sont théoriques, et seule l’expérimentation pourra les valider ; généraux, ils attendent leur élargissement à des aspects plus spécifiques. Ils sont également succinctement résumés, et leurs fondements doivent être approfondis ; loin d’être exhaustifs, ils devront en outre être étoffés par des réflexions supplémentaires. Mais la démarche intellectuelle n’en est pas moins nécessaire : les idées périmées, auxquelles on s’attache par habitude ou par peur du changement, ont déjà entraîné l’asservissement et la destruction de nations entières. Face à l’évolution du monde et à la dynamique de l’opposition, refuser de remettre en question ses principes fondateurs est un comportement suicidaire.

Ce n’est pas l’objet de cet article que d’aborder les conséquences des concepts mentionnés ou les transformations liées à leur concrétisation. De nombreuses questions de première importance sont certes soulevées, comme la délimitation entre formations militaires et civiles, le mode de recrutement et la place des femmes dans les unités, ou encore le terme de la prospective développée. Avant de définir la doctrine, l’organisation et les moyens des armées qui seront engagées demain, il convient néanmoins d’avoir une connaissance complète et détaillée des enjeux stratégiques propres à notre époque. Pour le penseur militaire contemporain, les sciences humaines, naturelles et exactes sont donc équivalentes aux grandes batailles les siècles passés : leur étude fournit à l’esprit de multiples sillons propices à la compréhension transversale, c’est-à-dire à la vision d’ensemble.

Se connaître soi-même, ne rien ignorer de ses forces et faiblesses, reste indispensable à une appréciation réaliste de la situation. En tant que bras armé d’une collectivité, les Forces armées dépendent étroitement de ses capacités, inclinations et inhibitions ; mais elles sont également empreintes d’un ensemble de valeurs sous-jacentes, ancrées dans l’inconscient collectif, et qui sont appelées à jouer un rôle majeur dans des conflits opposant les sociétés toutes entières. La psyché d’un peuple oriente sa manière de vivre, de croître ou de lutter. En ignorant ces caractéristiques profondes, ou en se focalisant sur l’émotivité superficielle des médias, on se forge une vision biaisée de l’avenir et d’autrui qui rend inéluctable la surprise stratégique. Ce sont les circonstances qui révèlent le vrai caractère des humains, et non l’inverse.

Mais l’inconscient collectif n’est pas gravé dans l’airain, il oscille et se transforme au fil des événements ; la notion même de communauté, et donc l’esprit national, exigent une attention constante pour rester vivaces. Dans la mesure où ce sont les premières fondations des Forces armées, celles-ci sont naturellement vouées à en assurer la pérennité. Sans protection des citoyens et sans défense des intérêts nationaux, c’est-à-dire sans réponse cohérente aux menaces présentes et futures, pareille ambition restera illusoire.



Lt col EMG Ludovic Monnerat    




Cet article a été publié initialement dans la Revue Militaire Suisse en mai et juin 2004, et l'auteur remercie son rédacteur en chef, le colonel Hervé de Weck, de l'avoir autorisé à le republier.

Par ailleurs, un exposé avec support PowerPoint développant et prolongeant les thèmes traités ci-dessus a été réalisé. Modulable de 60 à 90 minutes, cet exposé a déjà été présenté à plusieurs reprises, en particulier à l'Ecole d'Etat-major général. Toutes les organisations civiles et militaires intéressées à l'entendre peuvent sans autre prendre contact.








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