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La guerre sans règle développée par les théoriciens militaires chinois contre les Etats-Unis

22 février 2003

Chars T-98 chinoisS

i la Chine doit entrer en guerre à l'avenir, doit-elle employer les méthodes de combat occidentales et se limiter aux règles de la guerre définies par l'Occident ? La réponse hautement provocatrice de deux officiers chinois est négative.

Dans les années 90, les armes high tech semblaient avoir remodelé la manière avec laquelle les guerres seraient menées dans le futur. La Guerre du Golfe en 1991 et la guerre aérienne de l'OTAN contre la Serbie en 1999 ont démontré la puissance des théories et des armes occidentales. Le nouvel art de la guerre issu de l'Occident – souvent nommé la "révolution dans les affaires militaires" – semblait avoir triomphé.


«... Le principe central est le suivant : si la Chine doit se défendre, elle devrait être prête à mener une guerre au-delà de toute frontière et limitation. »


Mais deux colonels influents des forces aériennes chinoises n'en sont pas si certains. Au début de 1996, Qiao Liang et Wang Xianghui ont participé aux gigantesques exercices militaires chinois qui visaient à intimider Taiwan pendant la pré-campagne des premières élections présidentielles sur l'île. En retour, ces exercices incitèrent les Etats-Unis à envoyer deux groupes aéronavals dans le secteur, en guise de démonstration de force militaire.

Plus tard, les colonels se rencontrèrent dans une petite ville au sud-est de la province chinoise de Fujian, et réfléchirent à la faiblesse militaire chinoise en comparaison des Etats-Unis. Comment la Chine pourrait se défendre elle-même contre une nation si puissante – si jamais elle devait le faire ?



Le prix de la haute technologie

Le résultat fut un livre co-écrit intitulé "La guerre au-delà des règles : jugement de la guerre et des méthodes de guerre à l'ère de la globalisation" (Chao Xian Zhan: Dui Quanqiu Hua Shidai Zhanzheng yu Zhanfa de Xiangding), publié par la presse de l'Armée de libération populaire en février 1999. Le principe central est le suivant : si la Chine doit se défendre, elle devrait être prête à mener une "guerre au-delà de toute frontière et limitation".

Les règles existantes de la guerre, selon Qiao et Wang, comprennent un ensemble de lois et d'accords internationaux développés au fil des décennies par des puissances occidentales. Les méthodes de la guerre témoignent d'un culte touchant l'essentiel du monde développé pour la haute technologie et les armes nouvelles, des secteurs dans lesquels les Etats-Unis ont une avance nette. Mais ce qui est "juste" pour les Etats-Unis, affirment les auteurs, pourrait ne pas être approprié pour la Chine.

Les commentateurs occidentaux, qui en général n'ont pas lu "la guerre au-delà des règles" parce qu'il est écrit en chinois, se sont concentrés sur des sujets tels que le plaidoyer des auteurs pour le terrorisme, au cas où la Chine se trouverait dans une situation désespérée. Cependant, l'aspect le plus controversé du livre est peut-être sa critique – et sa contestation – de la doctrine militaire et de la stratégie américaines contemporaines.

F-22

Qiao et Wang commencent par expliquer – paradoxalement – que plus des armes sont inventées et déployées, moins chaque arme particulière va jour un rôle dans le combat effectif. Aucun type d'arme ne peut être décisif, à l'exception des armes nucléaires dans une guerre totale – un événement improbable.

Mais en raison des coûts croissants, soutiennent-ils, les armes de pointe conçues par la défense nationale peuvent à un certain niveau entraîner un effondrement économique. Ils défendent ainsi l'idée que les Etats-Unis puissent suivre l'Union Soviétique et mordre la poussière à leur tour en finançant une coûteuse révolution dans les affaires militaires.


«... Seule une nation aussi riche que les Etats-Unis peut se permettre des armes extrêmement chères pour les utiliser ensuite sur des cibles peu coûteuses. »


Les auteurs citent à l'appui les sommes extraordinaires investies dans le programme de bombardier furtif B-2, les montants encore supérieurs dépensés pour le programme de chasseur furtif F-22. Le fardeau financier pèse lourdement sur les Etats-Unis, et même davantage sur d'autres pays. Seule une nation aussi riche que les Etats-Unis peut se permettre des armes extrêmement chères pour les utiliser ensuite sur des cibles peu coûteuses, déclarent-ils. Mais même les Etats-Unis ont leurs limites. L'effondrement de l'empire soviétique n'a pas déclenché un vacarme bruyant, mais plutôt le sifflement d'une fuite d'air. Cela pourrait être la destinée ultime des Etats-Unis.

La force motrice derrière les programmes d'armements coûteux des USA et sa pensée stratégique est selon les auteurs la notion de "zéro mort". Les Etats-Unis équilibrent leurs buts stratégiques en fonction des possibilités de pertes subies en les atteignant. Ils sont de moins en moins désireux de risquer des vies pour atteindre leurs objectifs. Ce qui est une erreur, affirment les deux colonels.



Une révolution fondamentale

Mais une erreur plus grave est la perception que les conflits internationaux puissent être, si nécessaire, résolus de manière définitive sur le champ de bataille. Ainsi, les Etats-Unis se concentrent sur le maintien d'une capacité à mener et à gagner deux guerres régionales à peu près en même temps. Cependant, le type de guerre conventionnelle qui a tant caractérisé le XXe siècle est moins que probable au XXIe.

Attentat pétrolier Limburg

Les Forces armées chinoises devraient éviter ce piège. Elles ne devraient pas se précipiter elles-mêmes à la banqueroute pour mener des guerres high tech sur des champs de batailles. La Chine devrait plutôt se préparer à combattre sur différents fronts quels que soient ses moyens. Ce que les auteurs impliquent est résumé par l'expression anglophone commune, "thinking outside the box."

A la suite de la Guerre du Golfe, les chefs militaires chinois ont été tellement impressionnés par l'armement et la stratégie américaines qu'ils en ont presque accepté les définitions US de la guerre, argumentent les auteurs. Mais à la fin des années 90, ils commencèrent à avoir des doutes, largement en raison des gigantesques dépenses nécessaires.


«... En opposant les actions militaires non guerrières aux actions de guerre non militaires, les auteurs essaient d'étendre la définition de la guerre au-delà des limites admises. »


Les auteurs examinent ainsi la révolution dans les affaires militaires, de la stratégie défensive à l'organisation des forces en passant par la doctrine militaire. Ils admettent que les Etats-Unis sont des leaders dans l'imagination de nouveaux types de guerre, y compris la guerre de l'information, les frappes de précision, les opérations de combat interarmées et les "actions militaires non guerrières". Celles-ci sont particulièrement créatives, affirment-ils, parce qu'elles indiquent une possibilité d'employer les forces armées dans des fonctions variées, comme le maintien de la paix, l'aide humanitaire et le contre-terrorisme.

Mais les colonels insistent que la pensée militaire américaine n'a pas encore accompli une révolution complète, car ses théories n'intègrent pas le concept des "actions de guerre non militaires". En opposant les "actions militaires non guerrières" aux "actions de guerre non militaires", les auteurs n'effectuent pas un jeu de mot ; ce dernier terme essaie plutôt d'étendre la définition de la guerre au-delà des limites communément admises.

L'action militaire ne devrait pas définir la signification complète de la guerre ; elle n'est qu'une dimension de la guerre. Selon les auteurs, la révolution dans les affaires militaires à l'américaine n'est pas loin de constituer une véritable révolution dans la pensée militaire, mais elle est trop orientée vers la technologie militaire. La révolution ne peut pas s'arrêter au niveau des nouvelles technologies, des réformes systémiques et d'autres changements matériels. Une pensée authentiquement nouvelle doit être au cœur de la révolution – et dans ce domaine, les Chinois ne doivent pas se faire distancer

La sécurité géographique est selon les auteurs un concept dépassé, parce que les menaces à la sécurité nationale ne viendront pas d'invasions à travers les frontières, mais d'actions non militaires. Les définitions de la sécurité doivent désormais inclure la géographie, la politique, l'économie, les ressources, la religion, la culture, l'information, l'environnement et l'espace proche.



Le principe de l'addition

Les colonels reconnaissent que les lois internationales et les règles de la guerre sont censées limiter les manières de mener la guerre. Ce corps légal couvre un large spectre, allant de l'exigence pour les forces armées d'opérer en uniforme à la prohibition des tueries indiscriminées de non-combattants, en passant par l'interdiction des armes chimiques et biologiques ainsi que des mines antipersonnel.

Lance-fusées multiples chinois

Mais qu'un pays accepte ces règles de la guerre, affirment les auteurs, dépend du fait que ces lois soient favorables à ses propres intérêts nationaux. Les pays faibles invoquent les règles de la guerre pour protéger leurs intérêts. Les nations puissantes utilisent parfois ces règles pour contrôler les autres, par exemple en interdisant les armes biologiques et chimiques. Mais lorsque les règles sont en conflit avec leurs intérêts, la plupart des pays les sacrifient pour atteindre leurs propres buts.

En substance, les auteurs appellent la Chine à se sentir libre de combattre de toutes les manières possibles, sans exclure par avance certains moyens en fonction d'accords et de codes développés par les puissances occidentales.


«... La doctrine chinoise devrait embrasser le principe de l'addition, selon lequel plusieurs méthodes de guerre doivent être additionnées par atteindre le résultat attendu. »


La doctrine chinoise devrait embrasser le principe de l'addition, suggèrent-ils, selon lequel plusieurs méthodes de guerre peuvent et doivent être additionnées par atteindre le résultat attendu. A partir de ce schéma, ils esquissent les modes opératoires pouvant caractériser les guerres :

  • Militaires : nucléaires, conventionnelles, biochimiques, écologiques, spatiales, électroniques et terroristes – ainsi que la guérilla ;
  • Macro-militaires : diplomatiques, informatiques, renseignements, psychologiques, technologiques, contrebandières, guerre de la drogue et guerre simulée (appelée dissuasion en Occident) ;
  • Non-militaires : financières, commerciales, ressources, aide économique, légales, sanctions, médiatiques et idéologiques.

 

Les auteurs détaillent un grand nombre de ces méthodes. Certaines d'entre elles sont communément pratiquées par les Etats-Unis et d'autres nations, comme les embargos commerciaux. D'autres ne sont pas pratiquées, comme la manipulation des conditions environnementales de manière à produire, par exemple, de fortes pluies sur un territoire ennemi.



Inquiétude en Occident

La guerre au-delà des règles donne une importance particulière à la guerre asymétrique – comme la guérilla (surtout urbaine), les actions terroristes et les attaques cybernétiques contre les réseaux de données. L'idée est de frapper de manière inattendue des cibles vulnérables. Une vraie révolution de la guerre, disent les auteurs, combine les actions conventionnelles avec les actions non guerrières, militaires et non militaires. La guerre peut conjuguer un mélange d'avions furtifs et de missiles de croisière avec des attaques biochimiques, financières et terroristes.

Les nations ont utilisé indistinctement une variété de moyens pour se défendre depuis l'Antiquité. Combiner les méthodes de guerre est une addition simple, familière à tous, et qui produit un "cocktail magique" de stratégies offensives et défensives. Néanmoins, ajoutent les auteurs, aucun planificateur militaire dans l'histoire n'a jamais élaboré systématiquement l'art de l'addition en formulant une doctrine militaire avant sa mise en pratique. Lorsque par le passé les moyens de combat étaient empilés, la guerre avait généralement déjà été déclenchée.

Entraînement NBC des troupes US au Koweït

Pour les auteurs, "au-delà des règles" signifie en théorie aller au-delà de tout – penser "out of the box." Mais en réalité, il est impossible d'opérer sans certaines limites. Les militaires chinois devraient en fait fixer des buts limités, pouvant être atteints avec des moyens existants. Les buts limités contribuent à définir les moyens qui seront utilisés. L'engagement effectif d'armes nucléaires, par exemple, ne peut servir des buts limités. Leur valeur est strictement liée à la dissuasion de l'usage d'armes nucléaires par autrui.

Autrement, la Chine ne devrait pas hésiter – si elle doit se défendre – à utiliser autant de moyens de guerre que possible, y compris des armes qui ne sont pas "autorisées" par les lois internationales et les règles de la guerre, comme les armes chimiques et biologiques.


«... la Chine ne devrait pas hésiter – si elle doit se défendre – à utiliser autant de moyens de guerre que possible, y compris les armes chimiques et biologiques. »


"La guerre au-delà des règles" a retenu l'attention des hautes sphères en Chine. De nombreux officiers de l'armée en ont fait l'éloge. Mais lorsqu'un diplomate chinois à présenté le livre lors d'une conférence internationale en Russie, les participants américains et européens furent alarmés. Les grands médias américains n'en ont pas parlé jusqu'au 8 août 1999, lorsque le Washington Post a publié une description de l'ouvrage, avec une interview des auteurs. La Voix de l'Amérique a mis sur pied une discussion du livre le jour suivant. Les dépêches et commentaires en Occident ont suggéré que "La guerre au-delà des règles" se faisait l'avocat du terrorisme et d'autres méthodes de guerre vicieuses.

Bien que le livre ne constitue pas une politique officielle, certaines des méthodes extrêmes qu'il recommande amène les étrangers à s'inquiéter de l'engagement chinois envers l'interdiction des armes chimiques et biologiques. Cependant, le livre ne défend pas une politique expansionniste pour la Chine. Même si les moyens suggérés sont plus agressifs que la norme internationale, ils ne seraient employés que pour la défense nationale.



Un sentiment d'impuissance

"La guerre au-delà des règles" est un travail innovateur qui rompt les limites rigides caractérisant la pensée militaire chinoise. Les auteurs adoptent une vision réaliste des affaires militaires en observant les lois et les règles applicables à la guerre, et notent qu'ils sont originaires de l'Occident. La Chine, disent-ils, ne devrait pas leur être astreinte en défendant ses intérêts.

Que les auteurs émettent des arguments légitimes concernant la révolution dans les affaires militaires aux Etats-Unis est certainement matière à débat. Mais le livre est une réponse non occidentale et un défi à la pensée militaire américaine, ce qui en soi mérite l'attention des experts occidentaux.

"La guerre au-delà des règles" reflète également un tendance générale en Chine au sujet de l'ouverture. Le livre tranche par sa franchise sur les études passées concernant les méthodes et la doctrine militaires. En été 1999, la Chine a choisi la transparence et la dissuasion pour sa posture militaire en annonçant qu'elle possédait des bombes à neutrons. Elle a également annoncé l'essai de tir du DF-31, un missile balistique intercontinental de deuxième génération. Et de nombreuses nouvelles armes, allant des chasseurs aux missiles, ont été présentées en octobre 1999, lors du 50e anniversaire de la révolution.

Finalement, il vaut la peine de se demander pourquoi un livre qui s'oppose aux règles internationales a émergé en Chine, et pourquoi il a été bien accueilli par de nombreux officiers comme par le public. Dans son article du 8 août 1999, le Post relevait – à juste titre – que "le livre est une expression importante des sentiments d'impuissance de la Chine face à la puissance américaine."



Texte original: Ming Zhang, "War Without Rules", Bulletin of the Atomic Scientists, November/December 1999    
Traduction et réécriture: Cap Ludovic Monnerat
    






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