Avec l'approbation du Conseil fédéral, la réforme Armée XXI et toutes ses innovations vont devenir réalité
3 juin 2000
Le mercredi 31 mai dernier, au cours de sa séance hebdomadaire, le Conseil fédéral a approuvé les Directives politiques pour le plan directeur de l'armée XXI. Mettant fin à de longues et parfois délétères spéculations liées à la réforme, une étape cruciale est donc franchie et un document essentiel est rendu public.
La lecture de ces Directives permet de mesurer l'ampleur et l'importance des innovations que l'armée XXI va concrétiser. Ce n'est pas une évolution, mais bien une révolution qui nous attend, avec des conséquences marquantes dans de nombreux domaines.
Les principales innovations
Avec leurs 23 pages, ces Directives comprennent en résumé - et parfois en filigrane - toutes les réformes globales et sectorielles préparées depuis juin 1999 par les quelque 80 collaborateurs du projet, sur la base du Rapport du Conseil fédéral sur la politique de sécurité 2000 (RAPOLSEC 2000). Les participants à des séances de présentation précédemment organisées sur l'armée XXI remarqueront que toutes les options alors dégagées y figurent. Bref, alors que certains médias dénoncent le manque d'audace du Département de la Défense et de son chef, il apparaît préférable d'étudier de plus près le texte.
Les principales nouveautés de la réforme sont au nombre de sept:
- Redéfinition et rééquilibrage des missions de l'armée selon le RAPOLSEC 2000;
- Réduction de l'effectif actif à 100'000 - 120'000 hommes, dont max. 8000 professionnels, avec une réserve à définir de max. 80'000 hommes;
- Accroissement du niveau d'instruction par l'augmentation du nombre de professionnels, la prolongation des services et le retour au rythme annuel des CR;
- Débuts d'instruction de base plusieurs fois par année avec des effectifs stables, 20% des recrues pouvant effectuer leur service en un bloc;
- Adoption d'une structure supérieure du commandement de l'armée indépendante de l'état de préparation et disponibilité permanence d'un état-major interforces;
- Adoption d'une structure modulaire pour les Forces et suppression de certains niveaux de commandement, en principe corps et régiments;
- Adoption d'une stratégie militaire prévoyant une coopération nettement accrue avec les Forces armées étrangères, pour les cas de défense également.
Nouvelle doctrine stratégique militaire
L'innovation majeure de l'armée XXI et ce qui lui donne notamment son caractère révolutionnaire, à notre sens, n'est autre que sa stratégie militaire. Celle-ci définit ses activités militaires majeures par rapport à trois zones distinctes:
- Les engagements de soutien à la paix se font dans l'environnement européen pour l'essentiel, c'est-à-dire grosso modo l'environnement stratégique, sous mandat de l'ONU ou de l'OSCE;
- Les engagements subsidiaires se font en Suisse et à l'étranger dans les régions limitrophes, en collaboration avec des partenaires dans le cadre de la coopération générale et souple en matière de sécurité (CGSS), fondés sur des structures de commandement régionales permanentes;
- Les engagements sectoriels de sûreté et de défense ont lieu en Suisse ET dans l'avant-terrain opératif, en coopération avec les pays concernés et après légitimation politique préalable.
Cet engagement en territoire étranger pour les cas de défense, dont les Directives politiques précisent qu'il doit être rapide et mené de manière dynamique, change notablement les paramètres tactiques et opératifs applicables à notre armée. En d'autres termes, cette nouvelle doctrine stratégique exigera immanquablement une nouvelle doctrine opérative et tactique.
Commandement: permanence et modularité
De nouveaux principes vont également régir le commandement de l'armée. Celui-ci devra s'articuler autour de l'engagement - et non de l'instruction - et ainsi disposer d'une disponibilité permanente. Par ailleurs, les modifications de l'état de préparation de l'armée n'auront pas d'influence sur les processus et l'organisation du commandement; l'armée XXI aura une structure comprenant un commandant en chef de l'armée en "temps de paix" également, ou jamais de chef militaire unique.
La planification et le commandement des missions de l'armée sera assuré par un état-major interforces disponible 24 heures sur 24, dont un groupe restreint au minimum sera engagé à plein temps. A l'échelon tactique, des états-majors d'engagement assureront le commandement, à l'exception des engagements subsidiaires, pour lesquels officieront les états-majors des nouvelles régions territoriales.
Avec l'adoption du principe de modularité, l'organisation des forces sera par ailleurs modifiée: les modules de base (bataillons/groupes) seront regroupés en fonction de la mission. De la sorte, l'armée XXI renoncera en principe aux échelons corps et régiment.
Effectifs: de 6 à 8 brigades de combat
Au niveau des effectifs, les Directives retiennent le principe d'une armée comprenant de 100'000 à 120'000 militaires actifs, plus une réserve encore à définir de 0 à 80'000 hommes. L'estimation utilisée limite à 20'000 les citoyens effectivement aptes au service par an, sur une conscription de 35'000 individus; la réserve comprend les militaires ayant effectué leur nombre de jours de service obligatoire, entre 250 et 300, ainsi que les militaires venant d'effectuer leur service en un bloc. L'âge limite de servir est fixé à 30-32 ans.
Ces effectifs permettront à l'armée XXI de compter de 6 à 8 brigades de combat, des formations logistiques et d'appui au combat, ainsi que des forces aériennes opérationnelles. Ce noyau de défense doit notamment fournir au pays le choix, en cas de menace conventionnelle, d'accroître sa coopération internationale ou ses propres prestations.
Forte augmentation des professionnels
L'une des innovations marquantes de l'armée XXI n'est autre que la forte augmentation de son personnel professionnel: en fixant une limite à 8000, sans inclure les enseignants spécialisés et le personnel administratif et d'exploitation, la nouvelle armée comptera donc presque deux fois plus de militaires professionnels. Ceux-ci seront divisés en deux catégories: les militaires de métier et les militaires contractuels.
L'importance relative de ces catégories reste à définir - elle dépend naturellement du succès que rencontrera le recrutement, dont les difficultés ne doivent pas être sous-estimées. Leur rôle est double: d'une part, assurer la formation de base et le perfectionnement des soldats, cadres et formations; d'autre part, occuper des fonctions importantes, notamment dans des formations permanentes ou des états-majors d'engagement.
Le rôle des cadres de milice va ainsi changer, abandonnant l'instruction pour se concentrer sur le commandement et l'engagement, et comprenant moins de travaux administratifs.
Instruction: crédibilité et reconnaissance
Cette proportion accrue de professionnels sera l'une des conditions décisives pour la crédibilité de l'instruction. Celle-ci doit être assurée aux yeux de la troupe, de la population mais aussi des Forces armées étrangères, par le biais d'un nouveau concept d'instruction reposant sur 4 axe majeurs:
- Prolongation de la durée de l'école de recrues, avec pour but au terme de l'ER d'assurer la capacité d'engagement des unités renforcées et des bataillons/groupes;
- Instruction des cadres portant avant tout sur le commandement de l'engagement;
- Réintroduction d'un cycle annuel pour les cours de répétitions, durant lesquels les formations seront entraînées;
- Intégration renforcée des technologies de l'information dans l'instruction.
Les écoles actuelles seront ainsi remplacées par des formations d'application, qui reposeront sur une infrastructure définie et jouiront d'une grande autonomie en matière de doctrine, d'instruction, de gestion du personnel, de finance et de logistique. Les corps de troupe effectueront par ailleurs une partie de leurs cours sous la direction des états-majors d'engagement, avec des formations d'appui au combat et de logistique. Si possible et si nécessaire, l'instruction se déroulera sur des places d'exercice étrangères.
Quelques nouveautés en détail
De nombreuses innovations sont comprises dans ces Directives politiques, dont la lecture détaillée est - cela va de soi - absolument incontournable. Plusieurs nouveautés particulières méritent cependant d'être soulignées:
- L'interopérabilité, aussi bien en Suisse qu'à l'étranger, devient clairement un objectif pour toute l'armée en tant que condition d'une coopération efficace;
- Le recrutement aura lieu sur des emplacements permanents, selon un découpage au niveau national, et durera de 1 à 3 jours;
- Le nombre de militaires en service long sera limité à environ 4000 par an;
- La contribution au maintien de la liberté d'action au niveau stratégique fera partie des prestations de l'armée;
- Dans les cas de défense, l'armée devra par ailleurs être capable de mener des actions dans la profondeur du dispositif adverse;
- Dans les zones montagneuses, des groupes de combat aéroportés et mobiles spécialement instruits seront engagés;
- Si la disponibilité de l'infrastructure de combat permanente aux frontières sera maintenue, elle sera en revanche réduite dans le secteur central;
- L'armée devra être prête à participer à la protection et au rapatriement de citoyens suisses, avec des militaires spécialement instruits et équipés ainsi que des capacités de transport aérien;
- Pour les engagements à l'étranger, la mise en place de 1 à 2 bataillons de militaires de métier sera étudiée;
- La logistique passera du principe de la fourniture passive de prestations à celui de la fourniture de prestations axée sur les besoins;
- Enfin, la dissolution dans la dignité des formations et des états-majors surnuméraires sera garantie.
Une année qui reste décisive
Au total, toutes ces diverses innovations fournissent une image particulièrement prometteuse, celle d'une réforme devant permettre à notre armée de milice de passer le cap du 21e siècle. Même si seule la publication du plan directeur donnera l'occasion de mesurer en détail la révolution qui nous attend, les grandes lignes doivent procurer dès aujourd'hui enthousiasme et confiance à tous ceux qui ont placé un grand espoir dans le projet.
En guise de conclusion, il convient néanmoins de souligner que, malgré l'approbation de ces Directives politiques, l'année en cours reste décisive pour la réforme Armée XXI. D'une part, il s'agit en effet de finaliser la révision de la Loi sur l'armée et l'administration militaire; d'autre part, il ne faut pas oublier l'initiative socialiste dite de redistribution des dépenses militaires qui, si elle était maintenue et acceptée, constituerait un écueil infranchissable pour la forme actuelle du projet.
Plt Ludovic Monnerat
Source
"Directives politiques du Conseil fédéral concernant le plan directeur de l'armée XXI", 31.5.2000