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Le renforcement de la coopération militaire entre la Russie et l'Iran se fait surtout au détriment de l'industrie américaine

Par Louis et Claude Canac, consultants CEI pour le site www.dgse.org (titre, intertitres et rewriting de CheckPoint)

17 mars 2001


Rencontre entre les présidents Poutine et Khatami, le 12 mars 2001 à Moscou

La visite en Iran d'une délégation russe emmenée par le Ministre de la Défense Russe, le Maréchal Igor Sergueïev, du 26 au 28 décembre 2000, a déclenché de vives critiques de la part des Etats-Unis. En effet, le but de cette visite était de revoir les relations entre les deux pays dans le domaine de la vente d'armes et du soutien technique. Le Maréchal Igor Sergueïev a rencontré le président Mohammed Khatami (élu le 23 mai 1997, surnommé " Ayatollah Gorbatchev "), ainsi que son homologue iranien Ali Shamkhani.

La visite cette semaine du président Khatami en Russie, avec en toile de fond la perspective de contrats d'armement pour plusieurs milliards de dollars et une coopération étroite en matière de technologie nucléaire, a également suscité les critiques de la nouvelle administration américaine. Est-ce que le rapprochement entre Moscou et Téhéran constitue une menace pour le Proche-Orient et pour l'Occident, comme le sous-entend Washington, ou au contraire une concurrence gênante pour l'industrie américaine ?

 

Le contexte de la coopération

Rappelons en préambule que l'Iran a pour voisins à l'ouest l'Irak et la Turquie, au nord-ouest l'Arménie et l'Azerbaïdjan (pays membres de la Communauté des Etats Indépendants – CEI), à l'est de la mer Caspienne le Turkménistan (CEI) ; sa frontière orientale est commune avec l'Afghanistan et le Pakistan ; enfin, toute sa façade méridionale est bordée par le golfe Arabo-Persique et le golfe d'Oman, de part et d'autre du détroit d'Ormuz. Cette réalité géographique suffit à comprendre l'intérêt de la Russie pour ce pays.

Afin de bien comprendre la situation, il convient de connaître ce qui lie les différents protagonistes entre eux. Nous savons que l'Iran est ou était un client de la Russie pour l'armement. De même, nous savons que les USA et la Russie ont signé un accord obligeant cette dernière à arrêter ses ventes d'armes à l'Iran.

C'est dans le cadre de la lutte contre l'expansion du terrorisme international que le 30 juin 1995 la Russie et les Etats-Unis ont signé un accord (Albert Gore – Victor Tchernomyrdine). Pour Washington, l'Iran est une base d'islamistes fondamentalistes encourageant le terrorisme international. Dans cet accord il est prévu que la Russie cessera de vendre des armes ou d'apporter une assistance technique à l'Iran avant le 31 décembre 1999 et s'engage également à ne plus signer de nouveaux contrats d'armement avec l'Iran dans l'avenir.

 

Les contrats existants entre Moscou et Iran

Système de DCA russe S-300PMU1

Le délai prévu par cet accord s'explique par la nécessité, pour la Russie, de remplir ses obligations pour les contrats déjà signés. Ceux-ci étaient alors les suivants :

Le contrat du 5 novembre 1989, portant sur la livraison de 24 avions MiG-29 Fulcrum, 12 avions SU-24MK Fencer, 2 systèmes anti-aériens S-200 VE (SA-5 Gammon) et Ve-GA-E pour un montant de 1,3 milliard de dollars. Le matériel a été fourni entre 1990-1994, mais il reste à livrer 12,2 millions de dollars de munitions et pièces de rechange diverses. Le contrat prévoit également que durant dix ans à partir de la dernière livraison de matériel, la Russie fournira des pièces de rechange ;


Le contrat du 17 mai 1990 portant sur la livraison de sous-marins (projet 877 EKM et autres modèles). Les sous-marins ont été fournis entre 1993-1999, mais des produits spéciaux pour un montant de 1,2 million de dollars doivent encore être livrés. Le contrat est valable jusqu'en 2008 ;


Les contrats du 24 avril 1991 portant sur l'apport d'une aide technique dans la construction des installations et entretien des sous-marins. Il reste à fournir divers services pour un montant de 1,5 million de dollars ;


Le contrat du 13 novembre 1991 portant sur la vente des licences et organisation de la production en Iran de 1000 chars T-72, 1500 véhicules blindés BMP-2 et des munitions pour un montant de 2,2 milliards de dollars. Entre 1993-2000, 422 T-72 et 413 BMP ont été produits pour un montant de 668 millions de dollars. Le reste du contrat sera rempli avant 2011 ;


Il s'agit par ailleurs de relever qu'en 1998, l'Iran a émis le souhait de poursuivre sa coopération avec la Russie. Téhéran s'est dit intéressée d'acquérir 8 systèmes anti-aériens S-300PMU1 (SA-10 Grumble), 1000 missiles portables antiaériens 9M39 Igla, 25 hélicoptères Mi-17-1V, 8 avions SU-25 Frogfoot, 8 systèmes antiaériens S-200VE, des stations radar 67N6E Gamma-DE et 39N6E Kasta-2E2 (contre des objets respectivement à haute et basse altitude), ainsi que d'autres matériels pour un montant de près de 2 milliards de dollars.

 

Un préjudice de 4 milliards de dollars

Système de DCA russe à courte portée TOR-M1

On peut donc imaginer, vu les sommes colossales en jeu, que la Russie est contrariée par l'accord du 30 juin 1995. Le respect de cet accord ferme à la Russie un marché très important pour son complexe industriel d'armement ; selon les experts russes, le préjudice est d'environ 4 milliards de dollars. Dans ces conditions, la Russie a deux solutions : soit renier sa signature, soit trouver d'autres motifs permettant de revoir l'application de l'accord. Elle choisira la deuxième solution.

Lors du voyage des 27 et 28 décembre 2000 du Ministre de la Défense russe à Téhéran, les Iraniens se sont ainsi intéressés au missile antichar 9P135M1 Konkurs-M, développé par une société de Toula, capable de percer un blindage de 800 mm, avec une portée de 75 m à 4 km le jour et jusqu'à 2,5 km de nuit. Il remplacera les armes antichar française et américaine de l'armée iranienne.

En marge du voyage présidentiel, une délégation militaire iranienne a par ailleurs visité le 14 mars plusieurs usines d'armements, s'attardant en particulier à l'usine Kupol d'Izhvesk, qui produit les systèmes antiaériens Tor M1 et OSA-AKM dont la Grèce et la Chine ont fait l'acquisition.

 

L'accord de 1995 et son application

En raison de ces marchés potentiels, la Russie a donc revu l'application de l'accord du 30 juin 1995 en s'appuyant sur deux articles : l'article 5, qui prévoit que si la situation politique et générale en Iran évolue, les obligations des parties peuvent être revues ; et l'article 7, qui prévoit également que si des pays tiers revoient leurs positions par rapport à l'Iran, les obligations des parties peuvent être revues.

Outre ces deux articles, la Russie a motivé la révision de l'accord en déclarant que les Etats-Unis n'ont pas respecté leurs obligations. En effet, Washington n'a jamais cessé de fournir des armes à l'Iran par le biais de pays du Proche-Orient. L'armée iranienne est équipée de missiles de fabrication américaine. De plus, les Etats-Unis emploient activement le système de double standardisation afin de fermer ces marchés à la Russie. On peut facilement imaginer que des pièces de rechange de MiG-29 ne sont pas adaptables sur des F/A-18. Le choix du fournisseur d'armement d'un pays implique donc de garder ce même fournisseur durant toute la durée de vie de l'armement. C'est d'autant plus valable pour l'armement de haute technologie.

 

La menace des sanctions économiques

Hélicoptère russe Mil Mi-17-1V

La situation entre les Etats-Unis et la Russie a évolué après l'élection de Vladimir Poutine comme Président de la Fédération de Russie. Le Secrétaire du Conseil de Sécurité russe, Sergueï Ivanov, et le chef de la direction internationale du ministère de la Défense, le colonel-général Léonid Ivachov ont visité l'Iran. En novembre 2000, les Etats-Unis ont été informés que la Russie sortait de l'accord du 30 juin 1995.

En réponse au retrait unilatéral de la Russie de l'accord et à la reprise des relations avec l'Iran, les USA menacent la Russie de sanctions économiques. Le gouvernement russe a déclaré pour sa part qu'il maintiendra ses contacts avec l'Iran et ne prendra pas (ou plus) de décisions contraires à ses intérêts. De plus, la Russie confirme qu'elle ne vendra pas d'armes ou technologies permettant la prolifération d'armes de destruction massive conformément aux traités internationaux en vigueur.

Un exemple concret de l'effet des menaces de sanctions économiques de la part des Etats-Unis : au début des années 1990, la Chine a vendu de missiles balistiques M-11 d'une portée de 300 kilomètres. Les Etats-Unis ont suspendu immédiatement les autorisations de coopération des entreprises américaines avec les chinoises dans le domaine spatial y compris les lancements de satellites américains avec des fusées chinoises. Peu de temps après, la Chine suspendait les livraisons d'armement à l'Iran et les Etats-Unis retiraient leurs sanctions économiques.

 

Les perspectives de collaboration

Quelles sont néanmoins les perspectives de collaboration entre la Russie et l'Iran ? La collaboration entre la Russie et l'Iran sera très dense. Le gouvernement iranien a déjà préparé un programme de réarmement sur 25 ans avec l'appui technique de la Russie.

Concrètement, l'Iran est intéressé par une coopération avec la Russie dans les domaines suivants : création d'un système de défense antiaérien ;

création d'un système de défense antiaérien contre les missiles tactiques (nucléaires ou non) ; création d'une industrie militaire ; fabrication sous licence de matériels pour les trois armes (terre, air, mer) ; modernisation du parc aérien existant ; et création de centres de service, entretien et formation.

Le directeur général de la société " Rosoboponexport ", Victor Komardine, a fait partie de la délégation russe qui visité l'Iran en décembre 2000. Il a été chargé d'étudier les possibilités de coopération dans ces domaines. En outre, un des objectifs de cette visite en Iran était également la préparation de la vente d'une grande quantité de matériels militaires en 2001-2002.

Durant sa visite, le président Khatami n'a certes signé aucun contrat d'armement. Il a toutefois confirmé l'achat par l'Iran d'un deuxième réacteur nucléaire pour la centrale de Bouchehr, construite avec l'aide de Moscou.


Les intérêts de l'industrie US

Quelles conclusions peut-on tirer de cette situation ? Nous connaissons maintenant la position des trois protagonistes de cette histoire. On se rend compte que les menaces de sanctions économiques des USA à l'encontre de la Russie ne sont en aucun cas destinées à empêcher le gouvernement iranien de se procurer des matériels militaires.

Derrière une fausse justification, celle de vouloir combattre l'intégrisme et le terrorisme, Washington voudrait se préserver un marché d'armement très important. Entre 1970 et 1978, les Etats-Unis ont vendu à l'Iran pour 20 milliards de dollars d'armement et équipements militaires. Il est donc facile d'imaginer que les Etats-Unis voudraient retrouver un marché vierge de concurrence.

On peut dire que Washington a presque réussi puisque la Russie ne vendait plus d'armement à l'Iran et que l'armement américain se vendait par l'intermédiaire de pays tiers du Proche-Orient.

Maintenant, la situation est difficile pour les Etats Unis. En effet, la politique extérieure menée par Washington ne permet pas de reprendre directement contact avec l'Iran pour mettre en concurrence ses matériels militaires avec ceux des Russes. Ce serait pour Washington le désaveu de toute sa politique extérieure contre le terrorisme. En outre, le canal de vente, par le biais des pays du Proche-Orient, n'est pas compétitif face aux Russes.

En définitif, cette situation signifie pour les Etats-Unis la perte totale d'un marché important pour son industrie militaire. Dans ces conditions, on comprend mieux l'agacement et les vives critiques américaines.

Selon un sondage réalisé début décembre 2000 par la Fondation russe " Opinion Publique ", 47% des sondés désapprouvent la vente d'armement russe à l'Iran contre 34% qui sont pour. 39% pensent que la Russie perdra plus qu'elle ne gagnera à cause des sanctions économiques, 24% pensent au contraire que la vente d'armement à l'Iran sera bénéfique pour la Russie.




Louis et Claude Canac (rewriting: cap Ludovic Monnerat)    








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