Les affrontements discrets entre aviation et DCA dans le ciel irakien symbolisent une impasse politique
23 décembre 2000
Du 16 au 20
décembre 1998, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne frappaient le complexe
militaro-industriel de Saddam Hussein durant l'opération « Desert
Fox » : 650 missions d'attaque nocturnes effectuées par quelque 210 avions
de combat et 415 lancements de missiles de croisière avaient pour but de
réduire la capacité du dictateur irakien à produire des armements de
destruction massive.
Deux ans après
cette opération controversée, et presque dix ans après le début de la guerre du
Golfe, l'activité de l'aviation alliée au-dessus du sol irakien n'occupe plus qu'une
place marginale dans les médias occidentaux. Mais les accrochages avec la DCA
irakienne restent presque quotidiens, dans les zones de « non
survol » que Bagdad conteste, sur fond de sanctions économiques à
l'efficacité pour le moins contestable.
Le black-out des « no-fly zones »
C'est à la suite de la défaite irakienne que le
risque de représailles contre les Kurdes en révolte amena les Nations-Unies à
approuver, en avril 1991, une opération venant au secours des populations –
« Provide Comfort ». Afin d'appuyer cette opération et de faire
appliquer les résolutions 687 et 688, les Alliés ont alors établi une zone de
non survol au nord du 36e parallèle, complétée en août 1992 par une
autre zone au sud du 32e parallèle. Mais l'Irak n'a jamais reconnu
ces zones et des accrochages ont régulièrement eu lieu durant toute la
décennie, dans le cadre aussi bien de « Northern Watch » (qui a
succédé à « Provide Comfort » le 1er janvier 1997) que de
« Southern Watch ».
Après les frappes aériennes hautement médiatisées de
fin décembre 1998, la fréquence des affrontements dans l'espace aérien irakien
a encore augmenté. Parallèlement à la contestation croissante des sanctions
économiques dont les Etats-Unis sont les principaux partisans, l'information
fournie par Washington et Londres sur les moyens engagés et sur les détails des
accrochages s'est peu à peu amenuisée, pour aboutir actuellement à une sorte de
black-out sur les opérations. Pour sa part, la propagande irakienne annonce
avec régularité les incidents et accuse les Alliés de délibérément bombarder
des civils. Seule certitude : malgré la prime de 14'000 dollars offerte
par le maître de Bagdad, aucun avion américain ou anglais n'a été abattu par la
DCA adverse.
Ordre de bataille de « Northern Watch »
Les moyens aériens engagés pour empêcher l'Irak de
survoler près de la moitié de son territoire n'ont pourtant rien de symbolique.
Conduite par l'US European Command à partir de la base d'Incirlik, l'opération
« Northern Watch » a reçu le 17 décembre dernier le feu vert du
Parlement turc pour une prolongation de 6 mois supplémentaires, comme c'est le
cas depuis 1997. Près de 1100 militaires américains, 200 britanniques et 100 turcs
mettent en oeuvre la flotte approximative suivante :
- Avions de suppression des défenses antiaériennes : 18
F-16C/J Fighting Falcon ;
- Chasseurs-bombardiers : 4 F-15E Strike Eagle et 4
Jaguar GR3 ;
- Chasseurs polyvalents : 6 F-15C Eagle et au moins 4
F-16A/B Fighting Falcon ;
- Avions de guerre électronique : 3 EA-6B Prowler ;
- Avions de surveillance aérienne : 3 E-3A Sentry ;
- Avions ravitailleurs : 12 KC-135 Stratotanker et 2
VC10 C1K ;
- Avions d'opérations spéciales : 3 MC-130 Combat
Talon ;
- Avion de transport : 1 C-12 Huron.
Il convient d'ajouter à cette liste une escadrille de
sauvetage expéditionnaire comprenant 3 UH-60 Black Hawk et 3 HH-60 Pave Hawk.
Le total doit donc être estimé à 60 avions et 6 hélicoptères.
Ordre de bataille de « Southern Watch »
Conduite par l'US Central Command, l'opération
« Southern Watch » a pour mission de faire respecter une zone de non
survol 5 fois plus vaste au sud de l'Irak. Elle nécessite l'usage de bases en
Arabie Saoudite (Eskan, Al Kharj, Taif), au Koweit (Ali As Salem, Ahmed Al
Jaber), dans les Emirats Arabes Unis (Al Dhafra), dans le sultanat d'Oman (Al
Seeb) ainsi que sur l'île de Diego Garcia, mais aussi un groupe aéronaval
complet – actuellement autour du porte-avions Abraham Lincoln. Indépendamment
des éléments terrestres, environ 5000 aviateurs, 9200 marins et quelques
centaines de Marines américains sont à présent engagés dans l'opération,
appuyés par 2750 Britanniques. Les moyens aériens sont approximativement les
suivants :
- Avions de suppression des défenses antiaériennes : 8
F-16C/J Fighting Falcon ;
- Chasseurs-bombardiers : 10 F-15E Strike Eagle et 36 F/A-18C
Hornet ;
- Chasseurs polyvalents : 18 F-15C Eagle, 10 F-14B
Tomcat et 6 Tornado F3;
- Avions d'attaque au sol : 13 A-10 Thunderbolt et 8
Tornado GR1 ;
- Bombardiers lourds : 2 B-52 Stratofortress ;
- Avions de reconnaissance : 2 U-2 Dragonlady ;
- Avions de reconnaissance électronique : 4 RC-135 Rivet
Joint ;
- Avions de guerre électronique : 6 EA-6B Prowler ;
- Avions de commandement : 3 EC-130 ABCCC ;
- Avions de surveillance aérienne : 6 E-3A Sentry et 4
E-2C Hawkeye ;
- Avions de surveillance terrestre : 2 E-8C JSTARS ;
- Avions ravitailleurs : 12 KC-135 Stratotanker, 16
KC-10 Extender et 1 VC10 C1K ;
- Avions d'opérations spéciales : 3 MC-130 Combat
Talon ;
- Avions de lutte anti-sous-marine : 8 S-3B Viking ;
- Avion de transport : 2 C-130 Hercules.
Un total estimé à 180 avions, complété par 17
hélicoptères : 6 UH-60Q Medevac, 3 HH-60 Pave Hawk, 2 UH-60 Black Hawk et
6 SH-60 Sea Hawk. Par ailleurs, le groupe aéronaval de l'Abraham Lincoln a une
capacité de transport de 738 missiles de croisière Tomahawk.
Statistiques des accrochages
L'absence de statistique précise ou tenue à jour nous
empêche cependant de mesurer exactement l'activité de cette flotte aérienne
dans le ciel irakien. Le synopsis des accrochages est cependant connu avec
suffisamment de précision : un groupe d'avions alliés effectuant une
patrouille en milieu de journée fait l'objet de tirs de l'artillerie
antiaérienne, est illuminé par un radar de recherche, se voit pris pour cible
par un missile sol-air ou est approché par des avions de combat adverses. Les
règles d'engagement des pilotes alliés leur permettent de riposter dans ces
quatre cas, principalement par l'engagement de missiles AGM-88 HARM ou AGM-130
et de bombes guidées au laser, ainsi que par l'usage de missiles air-air.
Les chiffres pouvant être obtenus par le Pentagone
sont les suivants : pour la zone nord, plus de 170 accrochages ont eu lieu
depuis « Desert Fox » ; pour la zone sud, en 18 mois, ce sont
plus de 470 incidents qui ont été répertoriés. Mais ces incidents sont en forte
diminution, puisque plus de 520 ont eu lieu en 1999. Au total, il est possible
d'estimer que près de 700 accrochages se sont produits, chacun donnant lieu à
l'engagement de plusieurs missiles et bombes.
Efficacité floue des bombardements
Naturellement, l'efficacité de ces bombardements est
encore plus délicate à appréhender. D'une part, Washington a reconnu que les
zones de non survol ont pourtant été empruntées, plusieurs centaines de fois,
par les avions irakiens. D'autre part, malgré le matraquage permanent de
l'infrastructure de défense antiaérienne adverse, les avions alliés, quoique
évoluant à une altitude rendant vaine une partie de la DCA, restent toujours
sous la menace de missiles sol-air à guidage radar.
Pour sa part, l'Irak accuse systématiquement les
Alliés de frapper des zones civiles. Lors du dernier incident en date, le 22
décembre dans la zone sud, l'agence officielle INA a ainsi annoncé que des
raids sur des « installations civiles » avaient fait 1 mort et 2
blessés. Au total, Bagdad revendique 317 tués et 954 blessés depuis deux ans.
Des chiffres parfois repris sans autre par des organisations non-gouvernementales
dont l'idéalisme ne garantit pas nécessairement le discernement.
Un avenir guère prometteur
Il va de soi que l'aspect mitigé de ces opérations
militaires est étroitement lié à l'impasse politique des sanctions économiques
contre l'Irak et à la volonté affichée par Washington et Londres d'empêcher
tout développement de l'arsenal de Saddam Hussein. A ce sujet, les déclarations
décidées du nouveau secrétaire d'Etat américain, le général Colin Powell, ne
laissent pas augurer d'un avenir prometteur et les affrontements entre aviation
alliée et DCA irakienne devraient se poursuivre au moins plusieurs mois. Du
point de vue militaire, l'élément le plus important demeure toutefois la
disposition sur place d'une flotte de 240 avions et de plusieurs centaines de
missiles de croisière, ce fournit à tout instant la possibilité d'une opération
de bombardement massive sur l'Irak.
Cap Ludovic Monnerat
Sources
Communiqués DefenseLINK, American Forces Press Service et British Minister of Defence, Federation of American Scientists, Thirteen Defense Report of the House of Commons
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