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Rendues disponibles par les satellites commerciaux modernes, les images haute résolution de la Terre changent un paradigme stratégique 18 mars 2000 La mise en ligne d'images extrêmement précises des installations nucléaires pakistanaises sur le site Internet de la Federation of American Scientists (FAS), le 15 mars, a créé un choc: pour la première fois, un système satellitaire civil permet d'obtenir des images d'une précision comparable à celle des satellites espions militaires. Les implications de cette innovation sont multiples, notamment en raison des nombreuses applications civiles de l'imagerie spatiale en haute résolution. Toutefois, c'est bien la possibilité pour chaque Etat ou média d'obtenir des images d'ampleur stratégique qui constitue un changement de paradigme. Les premiers satellites militaires dès 1960 Depuis plusieurs décennies, l'obtention d'images de la totalité du globe sans survol du territoire photographié était en effet réservé à un cercle restreint de nations spatiales, et à leurs proches alliés. C'est en 1960, deux ans seulement après le lancement réussi d'Explorer, que les Etats-Unis mettent en service le premier satellite d'observation militaire, rapidement imités par l'Union Soviétique. En raison de leurs besoins respectifs en matière d'information, les deux super-puissances se livrent - dans ce domaine également - à une course poursuite endiablée, mettant au point des satellites sans cesse plus précis, plus lourds mais aussi plus chers. Au niveau de la précision des prises de vue, des dizaines de milliards de dollars ont ainsi été investis pour passer d'appareils photos ne transmettant que quelques images floues, d'une résolution de plusieurs centaines de mètres, à des systèmes fournissant en temps réel des vues incroyablement précises, approchant dix centimètres de résolution. L'importance de l'imagerie spatiale dans la gestion des crises et le besoin d'indépendance ont par ailleurs incité d'autres puissances à lancer leurs propres satellites d'observation: la Chine, l'Europe avec la série Hélios, ou encore l'Inde. Récemment, en avril 1999, c'est le Japon qui a annoncé son intention de lancer un système de satellites espions afin de mieux contrôler la menace de la Corée du Nord. Un programme qui pourrait toutefois souffrir de la concurrence commerciale. L'essor des satellites commerciaux Les premiers satellites d'observation civils ont été mis en orbite au début des années 70: la série Landsat, lancée par la NASA, fournit alors des images d'une résolution de 100 mètres, puis de 30 mètres avant que le Department of Defense n'oppose son veto à toute amélioration supplémentaire pour des raisons de sécurité nationale. Avec le lancement de SPOT-1 (Satellite Pour l'Observation de la Terre) le 22 février 1986, la France fait tomber ce rempart sécuritaire: pour la première fois, des images d'une résolution de 10 mètres sont librement disponibles. En 1987, c'est l'Union Soviétique qui met sur le marché des images satellites d'une résolution de 5 mètres; quoique datant de plusieurs années et limitées géographiquement, ces vues constituent une innovation marquante. En 1992, Moscou renforce son offre en mettant en vente des images d'une résolution de 2 mètres. Devant l'essor de cette concurrence autant commerciale que diplomatique, les Etats-Unis ont réagi de manière énergique: en 1993, l'administration Bush autorise la commercialisation d'images d'une résolution de 3 mètres obtenues avec des satellites civils; puis, en 1994, l'administration Clinton franchit le cap décisif en autorisant la mise en vente d'images d'une résolution de 1 mètre. Une décision dont nous vivons actuellement la concrétisation. La signification de la résolution L'augmentation drastique de la résolution, en moins de 30 ans, a également multiplié la quantité d'informations disponible sur une seule image. Par résolution, on entend la dimension de chaque pixel composant une image; ce qui dépend essentiellement de la qualité des senseurs, de leur agrandissement et de l'altitude du satellite. De manière générale, on peut définir de la sorte l'évolution de la capacité de discernement en fonction de la résolution:
Par rapport à des objectifs strictement militaires, les résolutions optimales pour détecter, reconnaître, identifier et décrire sont approximativement les suivantes:
Les meilleurs satellites militaires En matière de précision, les Etats-Unis conservent une avance majeure: leur plus récent modèle de satellite travaillant dans le domaine visible, désigné généralement comme KH-12 (KH pour key hole), dispose d'une résolution proche de 10 centimètres; il s'agit en fait d'un véritable téléscope spatial, comparable à Hubble, pesant 18 tonnes et capable de prendre des images sur une bande de plusieurs centaines de kilomètres par rapport à son orbite. Malgré son prix unitaire d'environ 1,5 milliard de dollars, le KH-12 n'est pas capable de lire le journal par-dessus votre épaule ou une plaque minéralogique, comme on peut parfois l'entendre. Il est en revanche équipé de capteurs infrarouges et d'intensificateurs de lumière pour prendre des images de nuit. Pour s'affranchir des conditions météorologiques, les USA possèdent par ailleurs des satellites comportant un radar à ouverture synthétique, les Lacrosse, capables de transmettre des images d'une résolution de 1 mètre. Un autre programme à base d'imagerie radar, Discovery II, est en voie de concrétisation, tout comme une série de satellites plus petits que les Keyholes, moins performants mais largement moins chers (Warfighter). Les performances des quelque 60 satellites militaires russes actuellement en orbite sont peu connues, quoique certainement inférieures à 2 mètres en terme de résolution; mais les trois-quarts d'entre eux ont dépassé leur durée de vie normale. Dans le domaine visible, les satellites européens Hélios atteignent pour leur part une résolution d'un mètre, encore qu'une performance légèrement supérieure soit possible. Un Hélios 2 fonctionnant dans l'infrarouge est prévu pour être lancé en 2003, mais le satellite radar Horus a été condamné par le retrait allemand du projet. Quant au Japon, son intention porte sur 4 satellites dont 2 avec radar, tous dotés d'une résolution équivalente à 1 mètre. Les meilleurs satellites civils Pas moins de 9 compagnies américaines ont signé un accord avec le Department of Defense, depuis 1994, pour la mise en service de 11 satellites à haute résolution. Actuellement, le plus performant d'entre eux est le satellite Ikonos, lancé le 24 septembre 1999 par une fusée Athéna de la base américaine de Vandenberg: il est le premier satellite civil capable d'obtenir des images monochromes d'une résolution de 1 mètre et polychromes d'une résolution de 5 mètres. Le mot "civil" devrait toutefois ici être remplacé par "militaro-industriel", puisque le consortium gérant le programme - Space Imaging Inc., basé à Thornton dans le Colorado - est une joint-venture de Lockheed Martin, Raytheon et Kodak, tous participant aux programmes Keyholes. Il s'agit donc plus d'une commercialisation d'un savoir-faire militaire que d'une innovation technologique. Les performances d'Ikonos n'en sont pas moins remarquables: évoluant à basse altitude (il effectue une orbite toutes les 98 minutes), il a une fréquence de "revisite" maximale d'environ 1,5 jour et prend des images d'une dimension de 13 x 13 km, qui peuvent être transmises à leur client en quelques heures. Le prix d'une image, qui pèse près de 50 mégaoctets sans compression, est d'au moins 1000 dollars. Autre satellite haute résolution, le QuickBird de la société américaine EarthWatch devrait être lancé ces prochaines semaines par une fusée Cosmos SL-8 de la base russe de Plesetsk. Doté d'une résolution de 1 mètre en noir/blanc et 4 mètres en multicolore, il transmettra des images d'une dimension de 22 x 22 km à un prix encore inconnu, dans un délai de quelques heures. Il s'agit par ailleurs de signaler que depuis 1994, le consortium américano-russe SPIN-2 commercialise les images obtenues à partir de plusieurs satellites russes Cosmos. D'une résolution de 2 mètres, ces images noir/blanc sont disponibles au prix de 25 dollars le km2, ce qui revient à 4225 dollars pour une zone de 13 x 13 km. Le délai pour obtenir une nouvelle image s'élève cependant à 30 jours: les Cosmos, dont le dernier lancement remonte à 1998, ne transmettent pas leurs images, mais larguent plusieurs capsules contenant des films devant être développés au sol. La fin du monopole gouvernemental Les enjeux commerciaux de l'imagerie spatiale sont énormes: couvrant des besoins aussi divers que le contrôle des ressources naturelles, la cartographie ou encore la planification urbaine, ce secteur devrait atteindre un chiffre d'affaires annuel de plusieurs milliards de dollars dans le courant de la décennie. Mais ses implications stratégiques sont plus grandes encore: avec la diffusion d'une image d'un complexe de production de missiles nord-coréen, le 17 janvier dernier, ou celle des vues de l'infrastructure nucléaire pakistanaise le 15 mars, Space Imaging a mis fin au monopole gouvernemental - et notamment américain - sur le renseignement par satellite. Lors de la décision de l'administration Clinton en 1994, cette conséquence avait d'ailleurs été soigneusement évaluée. Deux précautions majeures ont été prises par les Etats-Unis: Washington se réserve le droit, d'une part d'interdire à certaines nations ou individus suspects l'obtention d'images satellitaires commerciales, d'autre part de limiter l'accès à certaines zones en cas de crise. Les pertes d'influence ou de confidentialité au niveau diplomatique et militaire (des demandes d'images de la fameuse base américaine secrète Zone 51 ont déjà été reçues par Space Imaging) sont toutefois largement compensées, pour les Etats-Unis, par les avantages économiques de cette libéralisation, puisqu'un pan entier du complexe militaro-industriel ne dépendra plus entièrement des crédits fédéraux pour développer son savoir-faire. Implications stratégiques Les implications stratégiques des satellites espions civils n'en sont pas moins considérables. En permettant à chaque Etat, entreprise, média ou individu d'observer la situation de régions données, on accroît sans aucun doute la liberté de l'information, c'est-à-dire l'un des piliers de la démocratie. Il se peut même, pour les médias, que l'analyse d'images satellites devienne une activité aussi courante que la consultation de dépêches et communiqués. Il est d'autre part certain que la capacité de détecter certains préparatifs militaires - concentrations de moyens, déploiements de missiles, etc. - offre des atouts supplémentaires pour la prévention des crises, et ce même pour des Etats ne disposant actuellement d'aucune infrastructure de reconnaissance stratégique. La précision des images et la rapidité avec lesquelles elles peuvent être transmises sont ici des éléments primordiaux. Limitations opérationnelles Toutefois, disposer d'une imagerie spatiale précise ne garantit ni l'analyse correcte de son contenu, ni la transmission ponctuelle des informations obtenues: l'importance accrue du traitement des données est la contrepartie logique de l'amélioration des senseurs, ce qui exige un savoir-faire de taille. De plus, comme la liberté de l'information passe également par la connaissance des orbites des satellites, la possibilité de camouflage et/ou de déception ne disparaît pas. Enfin, il convient de ne pas oublier que le domaine visible reste très limité: pendant l'opération "Allied Force", le satellite européen Hélios n'a ainsi pu fonctionner qu'un jour sur deux en raison des nuages recouvrant la Serbie. Même si rien n'interdit la commercialisation d'images radars dans un futur proche, notamment en raison de leurs utilisations civiles nombreuses, les limitations opérationnelles des satellites espions civils restent de taille. Acquisition du savoir-faire En guise de conclusion, et sans entrer dans une prospective trop aléatoire, relevons les trois éléments suivants:
Plt Ludovic Monnerat Principaux satellites d'observation commerciaux
Principaux satellites d'observation militaires
Sources Federation of American Scientists; John Donnelly, "Satellites images for sale", Boston Globe, 16.03.2000; Joseph C. Anselmo, "Commercial Image Detail North Koran Missile Site", Aviation Week, 17.01.2000; William J. Broad, "Commercial Use of Spy Satellites to Begin; Private Ventures Hope for Profits", New York Times, 10.02.1997; The Satellite Image FAQ; Mary Graham, "High Resolution, Unresolved", Atlantic Monthly, juillet 1996; A. Andronov et R. Shevrov, "American Overhead Visual Reconnaissance Systems", Zarubezhnoye Voyennoye Obozreniye, No 3 1995; dépêches AFP, AP Sites connexes
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