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Les limites de son offensive aérienne placent l'OTAN à la croisée des chemins

22 mai 1999


Bombardiers lourds B-1 sur la base aérienne de Fairford, en Grande-Bretagne

Deux mois après son déclenchement, l'opération Allied Force a entraîné d'immenses dégâts à l'infrastructure comme aux forces armées serbes.

Mais les objectifs initiaux - éviter une catastrophe humanitaire au Kosovo et contraindre Slobodan Milosevic à retirer ses troupes en acceptant une force internationale de maintien de la paix - n'ont pas été atteints. Et la décision semble encore longue à venir, malgré une augmentation constante des moyens engagés.


Allied Force: effets dévastateurs

Depuis le 24 mars dernier, les avions attribués à l'OTAN pour l'offensive aérienne ont en effet presque triplé, passant de 350 à un peu plus d'un millier. En 6000 sorties de combat et 16'000 sorties d'appui, l'aviation de l'Alliance a largué quelque 14'200 bombes, ciblant tour à tour défenses antiaériennes, aérodromes, postes de commandement, voies de communication, infrastructures industrielles et troupes au sol. Ceci complété par le lancement de plus de 200 missiles de croisière, à partir de navires ou de bombardiers lourds.

Les effets de ces raids se sont avérés absolument dévastateurs. L'OTAN a ainsi annoncé, le 19 mai, un impressionnant bilan des destructions:

  • 90% de l'artillerie serbe placée près des frontières de l'Albanie et de la Macédoine
  • 11 postes de commandements de brigade ou de bataillon
  • 556 pièces individuelles d'équipement au Kosovo, dont 312 chars, pièces d'artillerie et véhicules blindés
  • 75% des systèmes fixes de missiles sol-air
  • 12% des systèmes mobiles de missiles sol-air
  • 80% au moins des chasseurs polyvalents MiG-29
  • 30% des chasseurs MiG-21
  • 35% des chasseurs-bombardiers Galeb
  • 70% des hélicoptères et autres avions
  • La plupart des principaux axes routiers traversant le Kosovo et le Danube
  • Toutes les capacités de raffinerie de pétrole.

Ce bilan, qui apparaît cohérent en regard des moyens considérables engagés, n'a exigé de l'Alliance qu'un sacrifice minime: 2 pilotes décédés, 1 bombardier furtif F-117 Nighthawk, 1 chasseur polyvalent F-16C Fighting Falcon, 1 chasseur-bombardier AV-8 Harrier, 2 hélicoptères de combat AH-64 Apache et une dizaine de drones perdus.


Interopérabilité: un F-16 belge au décollage de la base d'Amendola

Interopérabilité de 13 nations

La machine de guerre alliée, pour sa première opération de combat, a donc démontré son efficacité technique: une interopérabilité exemplaire des 13 nations engagées et une chaîne de commandement qui gère sans anicroche un ballet aérien comportant plus de 700 sorties quotidiennes, auxquelles il convient d'ajouter d'autres centaines de vols dans le cadre, au sens large du terme, des opérations Deliberate Forge (non-survol en Bosnie) et Allied Harbour (assistance humanitaire en Albanie).

Cette chaîne fonctionne globalement de la manière suivante. L'ensemble des moyens de reconnaissance et d'observation alliés - drones, avions, satellites, voire éléments au sol - récolte des informations qui sont transmises, parfois en temps réel et d'autres fois via des structures nationales, au Centre de commandement des opérations aériennes de Vincenza; ce dernier les traite, les intègre à sa base de données existante et élabore de nouvelles missions dans leur intégralité - bombardement, couverture aérienne et électronique, ravitaillement - avant de les envoyer aux bases et porte-avions de l'Alliance. Après une préparation exigeant parfois plusieurs heures, les avions sont prêts à décoller; au retour, les caméras de bord sont analysées et le résultat retourne à Vincenza.


Pas de "real-time targeting"

La totalité du processus, pour la plupart des objectifs et notamment ceux d'ampleur stratégique, prend 24 heures au moins, et souvent plusieurs jours en raison du nombre d'appareils engagés et des conditions météorologiques. Pour les objectifs tactiques, le délai est inférieur, mais ne peut en aucun cas descendre en-dessous de 3 à 4 heures. Sauf bien entendu dans le cas d'une paire d'avions d'attaque au sol en patrouille "search and destroy".

Malgré la sophistication de leurs moyens, les membres de l'Alliance - et notamment les Américains - ne disposent pas encore d'un "real-time targeting", c'est-à-dire d'une capacité d'acquérir et d'assigner en temps réel un objectif à des avions capables de le traiter immédiatement. Pareille capacité requiert en effet un système de transmission de données plus perfectionné (transmission d'une carte de l'objectif directement de la source au cockpit d'un bombardier ou dans le GPS d'un missile de croisière), et surtout des moyens de détection au sol comparables à ceux que permettent en l'air des avions-radars Awacs (manque de satellites et difficulté des avions-radars terrestres JStars dans le terrain montagneux yougoslave).


MiG-29 serbe abattu au-dessus de la Bosnie, mars 99

Serbie: usure manifeste

Ce déficit n'empêche la cible de subir une usure dont les effets commencent à apparaître. Ramenée à son niveau économique de 1945, subissant de plein fouet d'immenses destructions industrielles et un embargo international sans faille, la Yougoslavie enregistre en outre des pertes militaires qui, malgré les dénégations formelles de Belgrade, engendrent protestations, manifestations et désertions par centaines. Certaines autorités locales n'hésitent pas, de plus, à mettre ouvertement en cause les pratiques de l'armée fédérale, laquelle dissimule fréquemment ses moyens de combat dans des zones urbaines à forte densité.

Loin de l'image insouciante et tenace d'une foule unie autour d'un chef adulé, la population yougoslave semble donc pour le moins lassée par deux mois de pilonnage. D'autant qu'au Kosovo les affrontements entre forces militaires ou paramilitaires serbes et séparatistes de l'UCK se poursuivent, et se révèlent d'autant plus meurtriers que les concentrations de moyens lourds sont vigoureusement combattues par l'OTAN. Même si aucune estimation des pertes militaires serbes n'existe, les dégâts matériels subis par l'armée fédérale font accroire un déficit non négligeable au niveau des effectifs.


Usure parallèle de l'Alliance

Cette usure manifeste trouve toutefois son pendant au sein des membres de l'OTAN engagés dans l'opération, dont l'unité initiale se lézarde peu à peu, entre partisans d'une offensive terrestre, de la poursuite des raids aériens ou d'une pause de ceux-ci. Sous la pression de plusieurs partis politiques, c'est le sens même de l'opération qui parfois est remis en cause. Avec à l'appui la médiatisation impressionnante des dommages collatéraux de l'opération, abondamment filmés par le régime serbe et présentés ainsi par de nombreux médias occidentaux: "encore une bavure de l'OTAN."

Il est vrai que la dizaine d'erreurs reconnues par l'OTAN, dont la moindre n'est pas le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade, auraient fait selon Belgrade plus de 300 morts civils. Certains bombardements meurtriers, comme celui de Korisa qui aurait fait quelque 80 victimes, ont par ailleurs été revendiqués par l'Alliance comme des attaques sur des "objectifs militaires légitimes". Des propos impossibles à confirmer de part et d'autre, en l'absence d'observateurs indépendants libres d'accès sur le théâtre d'opérations.


Tracteurs calcinés dans le village kosovar de Korisa, lors d'un raid que l'OTAN a justifié par la présence d'objectifs militaires

Une précision à double tranchant

Il convient toutefois de ne pas se tromper sur l'ampleur de ces dommages collatéraux: si l'on ajoute à ces erreurs reconnues les missiles et bombes égarés sont faire de victime, nous parvenons à moins d'une centaine de projectiles répertoriés hors cible. 100 bombes sur 14200, 20 bombardements ratés sur plus de 6000: même sans connaître l'ampleur des raids inefficaces sur des buts militaires, le taux d'insuccès technique oscille probablement entre 1 et 2% et s'avère donc exceptionnellement bas.

Si l'on écarte le faible pourcentage d'échecs, dus tant à de mauvaises informations qu'à des dysfonctionnements des systèmes de guidage laser, l'Alliance a même fait preuve d'une précision stupéfiante, parvenant à abattre en milieu urbain dense des immeubles entiers sans autres dégâts aux constructions voisines que quelques vitres brisées. Cette précision, témoignant d'une volonté de strictement réduire les pertes civiles, constitue cependant une arme à double tranchant, puisqu'elle induit un contraste saisissant avec les armes nécessaires au traitement d'objectifs dispersés, comme les bombes non guidées à sous-munitions, de même qu'avec les erreurs inhérentes aux opérations de combat.


Une guerre de l'image difficile

C'est que l'OTAN est bien moins dominatrice sur les ondes occidentales que dans le ciel yougoslave. Là où les porte-parole de l'Alliance ne peuvent montrer que des images prises par avion ou des clips vidéo de projectiles guidés, les caméras yougoslaves alternent plans fixes et travellings de ruines et de cadavres. Les mots n'ont qu'une importance secondaire: entre les dénégations incertaines de l'OTAN et l'outrance verbale des dirigeants serbes, le téléspectateur ne se laisse pas abuser. Mais les images, elles, font mouche. Or l'absence de caméras sur le terrain prive l'OTAN de toute initiative dans la guerre de l'image.

Ceci explique naturellement la médiatisation ouvertement encouragée des centaines de milliers de kosovars contraints à l'exil et leur dramatique accumulation dans les camps de fortune albanais ou macédoniens. Alors même que cela consacre son échec par rapport au premier de ses objectifs, l'OTAN annonce aujourd'hui les chiffres suivants:

  • 804'000 Albanais du Kosovo se trouvent désormais dans les pays voisins des Balkans
  • 170'000 ont trouvé refuge dans d'autres pays du monde
  • 580'000 personnes sont déplacées au sein du Kosovo
  • 130'000 n'ont pas été encore déplacées
  • 1,6 million de personnes ont fui leurs habitations sur une population de 1,9 million de personnes avant le conflit

Hélicoptère de combat AH-64 Apache écrasé en Albanie: le symbole d'une non-intervention annoncée

Allied Force: bilan contrasté

Après 2 mois, le bilan de l'opération Allied Force est donc pour le moins contrasté. La catastrophe humanitaire devant être évitée a eu lieu et Slobodan Milosevic n'a ni retiré ses troupes du Kosovo, ni accepté sur le territoire de la province une force internationale de maintien de la paix. Toutefois, les énormes dégâts subis par l'appareil militaire et l'infrastructure stratégique serbes prouvent que la décision approche. Mais peut-être elle atteinte avec la stratégie actuelle?

Le conflit paraît avoir à présent trois évolutions possibles:

  • Belgrade accepte les conditions internationales. Un retrait des troupes serbes du Kosovo est ordonné, entraînant l'arrêt des raids. Ce scénario serait idéal pour l'OTAN, qui commencerait aussitôt à déployer une force de paix dans la province.


  • Belgrade continue de refuser en bloc toute présence militaire internationale au Kosovo. La stratégie serbe du "gros dos" est poursuivie avec des mesures, déjà bien engagées, pour s'opposer à toute offensive terrestre. Les alliés seraient alors au pied du mur pour s'engager ou non début juin dans cette voie.


  • Belgrade choisit une voie médiane. Oui aux "principes" arrêtés par le G8, dont une "présence civile et de sécurité" sous l'égide de l'ONU; non aux "modalités" avancées par l'OTAN, soit une force militaire internationale robuste. Les signaux émis par les autorités serbes semblent annoncer une telle option.

L'issue du conflit demeure toutefois incertaine, car le temps joue contre l'ensemble des belligérants.


La croisée des chemins

Confronté à une pression croissante de l'OTAN, qui engage davantage de moyens et affine ses tactiques, Slobodan Milosevic subit en effet le harcèlement de l'UCK et risque une amplification des troubles intérieurs, au fur et à mesure des décès, des destructions et des privations. A la tête d'un pays que chaque jour ruine davantage, il peut craindre de perdre non seulement la stabilité de son régime, mais également de mettre à terme en péril le sort de la fédération yougoslave, dans ces Balkans toujours en proie aux irrédentismes ancestraux, faute d'un outil militaire suffisant. Mais le président serbe n'ignore pas que l'offensive aérienne alliée ne peut seule emporter la décision au Kosovo.

Pour l'OTAN, l'heure de reconsidérer son engagement semble sonner. Des divergences de vues croissantes entre alliés apparaissent jour après jour, au fur et à mesure que la situation apparaît sans issue: lorsque l'ensemble des cibles stratégiques yougoslaves auront été traitées et que l'armée fédérale - privée de l'essentiel de ses moyens lourds - se contentera de mener contre l'UCK une contre-guérilla, à quoi serviront les avions de combat alliés?

La seule option acceptable pour l'Alliance, si l'accroissement de sa puissance de feu air-sol ne suffit pas à faire plier le régime serbe, consiste à engager une offensive terrestre. Or celle-ci, pour avoir une chance de succès, doit impérativement être déclenchée avant la tombée des neiges sur la province montagneuse du Kosovo. Ce qui implique une décision devant être prise, au plus tard, au milieu du mois de juin.

Deux mois après le déclenchement des opérations militaires alliées, les deux adversaires apparaissent donc à la croisée des chemins. Ce qui constitue les meilleures conditions possibles pour une solution diplomatique.


Plt Ludovic Monnerat






Sources

Communiqués de presse OTAN et US Department of Defense, dépêches d'agence AFP, AP et Reuters, article Jane's Defence Weekly: "Allies still lack real-time targeting" (09.04.99)





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