50 ans après sa création, l'OTAN s'élargit à l'Est en accueillant trois anciens adversaires
13 mars 1999
Fondée le 4 avril 1949, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) a accueilli ce vendredi 12 mars 1999 trois nouveaux pays membres, issus de l'ancien Pacte de Varsovie: la Pologne, la République tchèque et la Hongrie.
Au grand dam de la Russie, ce mouvement d'élargissement devrait se poursuivre, plusieurs autres pays d'Europe orientale frappant avec insistance à la porte de l'Alliance. Même si les efforts et les coûts de l'intégration sont d'importance.
Une alliance de dissuasion nucléaire
Lors de sa création en pleine guerre froide, l'OTAN constituait bien entendu une alliance défensive, s'appuyant sur la dissuasion nucléaire pour faire face à l'imposant bloc soviétique. L'article 5 du Traité fondateur, toujours d'actualité, précise que l'attaque d'un des membres entraîne la riposte de tous les autres. Avec 11 membres initiaux, l'Alliance a atteint sa composition récente de 16 membres avec l'entrée de l'Espagne en 1982.
Le poids des Etats-Unis est toutefois resté prépondérant. La structure intégrée de l'OTAN est un dispositif pyramidal comprenant deux commandements stratégiques, Atlantique et Europe, détenus par les Américains; le Commandement Europe (SACEUR), basé à Mons en Belgique, est ainsi actuellement dirigé par le général Clark, alors que le QG Sud de Naples - convoité par la France - l'est par l'amiral Ellis. Une mainmise historique américaine qui semble toutefois tendre à diminuer.
Partenariat pour la Paix et interventions
La chute du mur de Berlin, en 1989, et partant la dissolution du pacte de Varsovie le 31 mars 1991, ont en effet profondément remis en question l'orientation de l'Alliance: en 1992, l'OTAN décide de sortir de son cadre défensif traditionnel pour participer à d'éventuelles opérations de paix, qu'il s'agisse de la maintenir ou de l'imposer. Ainsi, l'OTAN propose en 1994 à ses anciens adversaires est-européens et aux pays européens neutres un programme de coopération militaire, le Partenariat pour la Paix; 28 pays - dont la Suisse - y adhèrent. En mai 1997, elle signe avec la Russie un Acte fondateur qui ouvre la voie à de nouvelles relations par la création d'un Conseil permanent, avant deux mois plus tard d'accepter trois nouveaux membres.
Parallèlement, l'Alliance ouvre pour la première fois le feu en février 1994, lorsque 4 avions serbes sont abattus par 2 F-16 américains dans le ciel bosniaque. En décembre 1995, elle engage une force de paix en Bosnie (IFOR) de 60'000 hommes, suivie en 1997 par la SFOR, dont les quelques 31'000 membres contribuent à contrôler et renforcer l'application des accords de Dayton.
Enfin, une force de 26'000 à 28'000 hommes, la KFOR (Kosovo Force), devrait intervenir en cas d'accord entre Serbes et rebelles kosovars; le cas échéant, elle s'appuierait sur la Force d'extraction actuellement basée en Macédoine, dont les 1800 hommes sont sous commandement français (général Valentin).
Elargissement: trois nouveaux membres
Dès la dissolution du pacte de Varsovie, plusieurs pays ont publiquement fait état de leur intention d'adhérer à l'Alliance atlantique, ou du moins de s'ancrer politiquement et stratégiquement à l'Ouest. A l'instigation des Etats-Unis, l'OTAN décide également d'entreprendre des études concernant son élargissement. Le processus a connu sa première étape fondatrice le 9 juillet 1997 lors du sommet de Madrid, lorsque trois candidats ont été retenus pour l'adhésion: la Pologne, la République tchèque et la Hongrie.
Ce choix, imposé par les Etats-Unis, entraînait de fait le rejet de neuf autres demandes: Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie, Macédoine, Albanie, Estonie, Lettonie et Lituanie. La porte reste toutefois ouverte, notamment pour les quatre premiers nommés qui comptent entrer à court terme dans l'OTAN. Si tant la Macédoine que l'Albanie voient leurs chances rester très faibles en raison de leurs ressources insuffisantes, les pays baltes se voient exclus par leur appartenance à l'ancienne Union soviétique - une "ligne rouge" qui incite l'Alliance à la prudence.
La Russie opposée mais impuissante
La Russie a toujours manifesté son hostilité face à l'élargissement de l'OTAN, dont elle voit à présent les limites s'approcher de ses frontières. Impuissante à empêcher l'adhésion d'anciens pays communistes, elle considère toutefois comme une menace pour sa sécurité l'entrée d'une ex-république soviétique à l'Alliance atlantique, même si celle-ci s'est engagée à ne pas déployer dans un avenir prévisible des armes nucléaires et des troupes de combat sur le territoire des nouveaux adhérents. Une "menace" réelle.
Si les pays baltes ont en effet clairement affirmé leur intention d'intégrer l'OTAN - ainsi que l'Union européenne -, l'Ukraine y songe aussi sérieusement. Plusieurs membres de la CEI, de plus, ont récemment annoncé leur intention de quitter ce traité. Plus inquiétant pour la Russie, l'Azerbaïdjan, qui a une frontière commune, a annoncé fin janvier être prête à accueillir sur son sol des troupes américaines ou de l'OTAN. Mais que peut la 2e puissance nucléaire mondiale contre les élans populaires?
Nouveaux membres: des efforts considérables
Dans les trois nouveaux membres, la population soutient en effet l'intégration à l'OTAN: ces retrouvailles avec leur héritage culturel et spirituel occidental est approuvé par 60% des Tchèques, 65% des Hongrois et plus de 70% des Polonais selon des sondages d'opinion. L'enthousiasme montré par les Hongrois lors du référendum de 1997 n'a pu cependant dissimuler les efforts considérables d'adaptation qui devront être fournis.
Au contraire de pays occidentaux aux forces armées modernes, comme la Suède ou la Suisse, l'interopérabilité avec l'OTAN et la conformité à ses normes pose de véritables problèmes aux trois anciens pays communistes. Au niveau humain, le défi principal n'est autre que la maîtrise de l'anglais: en Pologne, sur quelque 100'000 militaires professionnels, 5000 environ possèdent des notions d'anglais et seulement 1000 le parlent bien, alors que 500 officiers parlent allemand et 150 français. Les mentalités doivent également évoluer, officiers et sous-officiers ne pouvant plus se contenter d'exécuter les ordres mais devant prendre des initiatives.
Matériel: à 80% d'origine soviétique
Au niveau du matériel, son origine comme son âge - 80% de matériel soviétique principalement des années 50 et 60 en Hongrie, par exemple - nécessiteront également des efforts considérables. Traditionnellement privés des meilleurs équipements par l'Union soviétique, ces anciens pays communistes ont lancé de vastes réformes, conjuguant réduction des effectifs, abandon ou modernisation de matériel et acquisition d'équipement moderne occidental.
Pour les trois prochaines années, la République tchèque va ainsi consacrer le 90% de ses investissements militaires à moderniser ses Forces aériennes, les actuels chasseurs MiG-21 russes devant être mis hors service en 2003, les MiG-23 étant inutiles depuis la fin 1998 et les derniers Sukhoï Su-22 prévus pour l'élimination en 2007. L'entrée à l'OTAN aura donc un coût particulièrement lourd.
Le coût de l'adhésion à l'OTAN
Les conséquences financières pour les nouveaux membres sont connues. Sur une quinzaine d'années, la Pologne va ainsi investir 1,5 milliard de dollars, avec une cotisation annuelle fixée à 2,48% des enveloppes militaire et civile de l'Alliance, qui représentent la moitié du budget annuel de 2 milliards de dollars. Pour sa part, la République tchèque déboursera environ 13 millions de dollars en 1999 (y compris 0,9% de cotisation), alors que la Hongrie y consacre cette année 29,5 millions de dollars, en plus de leur participation de 0,65%.
Mais l'élargissement implique également des coûts pour les membres actuels de l'OTAN. Sujet d'une véritable guerre des chiffres entre Américains et Européens, cet investissement - portant notamment sur l'extension aux nouveaux membres du système de défense antiaérien de l'Alliance - s'établit finalement à 1,5 milliard de dollars: 700 millions au profit de la Pologne, 266 millions de la République tchèque et 315 millions de la Hongrie, le reste (200 millions) étant prévu pour l'agrandissement des bâtiments de l'Alliance.
Du 23 au 25 avril prochain, un sommet de l'OTAN se tiendra à Washington pour le 50e anniversaire de l'Alliance. S'il apparaît probable qu'aucune décision n'y sera prise quant à une deuxième vague d'intégration, afin de mener à bien la première, le trait est à présent définitivement tiré sur les divisions de l'Europe imposées par Staline à Yalta.
Plt Ludovic Monnerat