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Entretien avec le commandant du régiment territorial 15, le colonel Durgnat
18 décembre 1998
Voici un mois, le régiment territorial 15 vaudois a connu les honneurs de l'actualité grâce à sa mission d'encadrement de réfugiés dans les préalpes bernoises. Seulement 10% de l'effectif y ont toutefois pris part; l'essentiel du régiment a achevé son deuxième cycle CTT-CR depuis Armée 95.
Afin d'en tirer un bilan, son commandant sortant nous a accordé un entretien. Initialement fusilier de montagne, le colonel Olivier Durgnat a servi a notamment commandé le bat fus 213 avant de prendre le commandement du rgt ter 15 au 1er janvier 1995; au civil, il n'est autre que le chef du service de sécurité civile et militaire du canton de Vaud - l'équivalent du service des affaires militaires dans d'autres cantons.
CheckPoint: Mon Colonel, quel bilan tirez-vous du CR de votre régiment?
Col Durgnat: Un bilan très positif. L'instruction a été un succès complet; nous disposions d'un bon effectif - 1080 sur 1270 astreints - et nous avons pu consolider la NTTC et le Panzerfaust, comme introduire le MP90 et la tenue PIC. Nous avons également pu procéder à des exercices de bataillon durant 2 à 3 jours et comprenant un appui aux autorités civiles, des contrôles d'accès, etc. Il faut dire que la formation de fus ter intéresse beaucoup les jeunes, que cette instruction différente suscite beaucoup d'engagement et d'intérêt. De plus, les commandants de bataillon sont jeunes et complètement "dans le bain". La mission territoriale est passée dans les mœurs.
CP: Et comment s'est déroulé l'encadrement des réfugiés?
Col D.: Cette opération, que j'ai nommée ARAK (Accueil de requérants d'asile du Kosovo), a impliqué 102 cadres et soldats, provenant des sections d'assistance des cp EM ainsi que de la cp fus III/3. L'engagement était techniquement simple, car il s'agissait d'appliquer un règlement de maison de l'ODR (Office fédéral des réfugiés); les conditions psychologiques étaient en revanche particulières: ces gens avaient de la peine à communiquer avec nous, étaient en partie issus d'une guerre, mais étaient également mélangés avec d'autres gens de provenance moins connue - 12 nationalités étaient ainsi représentées. La mission aurait été plus facile si seuls des Kosovars avaient été accueillis: il s'agissait de familles très polies, visiblement marquées par la guerre. D'autres ethnies avaient une attitude très différente.
Globalement, tout s'est toutefois bien passé et l'expérience, du point de vue de l'armée, a été très favorable: la troupe a fait preuve d'une grande compassion et était pleinement volontaire. Au point que d'autres soldats du régiment, et même des hommes incorporés ailleurs et non en service, ont fait des demandes pour prendre part à cette mission.
CP: L'engagement de l'armée au début du mois de novembre a permis à une certaine presse de lancer une polémique, qui d'ailleurs a rapidement fait long feu, quant à la présence de soldats armés à l'extérieur des cantonnements. Quel était votre dispositif?
Col D.: Les deux cantonnements exploités, Untere Gäntrischhütte et Gurnigelbad, étaient chacun entourés d'un périmètre dans lequel aucune arme ne pouvait entrer; la troupe présente dans les bâtiments ou effectuant une surveillance dans leur périmètre étaient équipée d'un spray au poivre. Sur l'axe reliant les deux centres, un sous-officier et 4 soldats circulaient armés à bord d'un véhicule Puch; en cas d'intervention, le véhicule se serait toutefois arrêté à la limite du périmètre et l'équipe y aurait laissé ses armes, sous la garde du chauffeur. Nous disposions enfin d'une liaison avec la police cantonale afin de pouvoir communiquer les numéros de plaque de voitures repérées, car la présence de réfugiés dans cette région y a engendré un trafic routier supplémentaire. En tout, 60 hommes étaient présents dans les centres et 40 à l'extérieur; les réfugiés étaient 145 au Gäntrisch et 100 au Gurnigel.
Il faut souligner que cette mission était une mission de surveillance, et non de garde. Le régiment 44, qui nous a précédés, avait plutôt vu ça comme une sorte de camp de prisonniers; les troupes qui nous ont succédés ont d'ailleurs repris notre dispositif.
CP: Au plan national, plusieurs voix se sont élevées pour une intervention de l'armée à la source - c'est-à-dire l'envoi de soldats à l'étranger - plutôt qu'une mission d'encadrement en Suisse. Y êtes-vous favorable?
Col D.: J'étais favorable aux casques bleus, je le suis pour ce qui concerne les bérets bleus, comme pour l'engagement des bérets jaunes. Actuellement, nous n'avons que 90 hommes sur le terrain, alors que d'autres pays européens en ont envoyés plus d'un millier. Il faut de plus impérativement permettre l'envoi de gens armés. Lorsque Adolf Ogi rend visite aux bérets jaunes à Sarajevo, ce sont des soldats étrangers qui doivent assurer sa sécurité!
CP: Dans ce cas, quel devrait être selon vous le profil et l'équipement de militaires suisses armés envoyés à l'étranger?
Col D.: Il doit s'agir de volontaires dotés d'une certaine expérience militaire: une école de recrues et de 1 à 2 cours de répétition - on ne peut pas envoyer des gamins. Les soldats doivent être équipés de leur arme personnelle, de moyens de protection rapprochée comme le gilet pare-éclats, mais également d'un véhicule blindé à roues comme le char de grenadiers Piranha. J'espère que nous irons dans ce sens.
CP: Le Conseil fédéral, dans son arrêté relatif à l'engagement de l'armée au profit des réfugiés, demande au Parlement de pouvoir également engager la troupe en appui à la frontière. Que pensez-vous d'une telle mission?
Col D.: Il s'agit là d'une autre paire de manches. Cela exige une instruction particulière, qui n'est pas celle des fusiliers territoriaux. Il faut rappeler que, d'après les Directives concernant l'instruction pour les engagements subsidiaires de sûreté du 11 février 1998, la protection de la frontière en renforcement du Corps des garde-frontières incombe uniquement aux formations d'alarme, comme le régiment aéroport 4. Pour moi, une telle mission exige une instruction de la troupe durant au moins 15 jours ainsi qu'un équipement correct, c'est-à-dire des moyens de défense adaptés à la menace.
Durant les 4 années de mon commandement, je me suis appliqué à faire comprendre qu'on ne peut demander n'importe quoi aux fus ter. Le service d'ordre ne s'improvise pas; c'est l'affaire de professionnels s'entraînant de manière régulière et intensive. Les fusiliers territoriaux peuvent procurer un appui élargi à la police, mais en aucun cas effectuer des opérations "coup de poing"; il en va de même pour les grenadiers territoriaux.
Entretien: Lt Ludovic Monnerat
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