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Les trois premières semaines des écoles de recrues sont une chance pour les chefs de section

2 mars 1998


Dès l'introduction d'Armée 95, le chevauchement école de sous-officiers - école de recrues et par conséquent l'absence de caporaux durant les trois premières semaines des ER ont soulevé de nombreuses critiques: méthodologie inadéquate, marche du service médiocre, ou encore rentabilité insuffisante de l'instruction.

Ayant vécu cette période comme recrue en 1995, caporal en 1996 et lieutenant actuellement, l'auteur va toutefois tenter de montrer dans les lignes qui vont suivre que ces trois premières semaines constituent une chance pour les chefs de section.


Instruction: exigence et perfection

La chance, c'est d'abord l'occasion de pouvoir instruire des recrues en partant de rien. Le chef de section est celui qui, sur une terre vierge, jette les fondements de toute l'instruction militaire; exigence et perfection - ne laisser passer aucune erreur, fût-elle minime - sont indispensables et requièrent une attention de chaque instant. Ceci tant au niveau du contenu que des explications nécessaires! Tolérer l'inexactitude deux jours durant, c'est s'exposer à 15 semaines de doutes. Or, de ce point de vue, la solitude du chef de section devient un avantage: elle évite une possible confusion, car les règlements ne précisent pas tout, et renforce la confiance donc l'intégration au système militaire des recrues. Un chef, un terrain, une mission.

Cette confiance, bien entendu, est étroitement liée à la personne même du chef de section. Dans Armée 95, ce dernier devient un emblème, une figure de proue; l'homme que l'on suivra jusqu'au bout du monde - parce qu'on l'a suivi durant les premiers jours, où tout est nouveau - et qui a su ne pas nous décevoir. Avec ses 347 jours de service minimaux au premier jour de l'ER, le lieutenant est au bénéfice d'un savoir technique et d'une expérience incontestables; c'est toutefois son autorité humaine qui est avant tout requise: il incarne l'exemple.

Cette chance est donc à double tranchant, car toute lacune dans l'instruction ou la conduite amputera son autorité, impliquera des compromissions qui feront vaciller, dans l'esprit des hommes, tout l'édifice; volonté de service comprise. Au terme de ces trois semaines, chacun aura montré ce dont il est capable.


Instruction: ubiquité et grand écart

Expérience faite, les journées d'un chef de section - c'est-à-dire le temps de travail effectif - oscillent entre 13 et 16 heures, le temps de sommeil moyen étant d'environ 4h45. Malgré le soutien d'un sous-officier effectuant son premier cours de répétition (ce qui n'est pas une généralité), malgré l'engagement très utile de membres du corps des gardes-fortifications pour l'instruction technique, essentiellement la NTTC F ass, la charge de travail pour le lieutenant est immense et exclut un contrôle de l'instruction autre qu'au jour le jour. Par ailleurs, en trois semaines, les différences de niveau entre recrues se creusent, et une soirée consacrée à l'instruction supplémentaire ne peut y remédier: on travaille au niveau section, le temps manque pour s'occuper de l'individu.

L'utilisation de postes d'instruction annexes, sous la direction éventuelle d'une recrue de qualité, ne constitue guère qu'un pis-aller: pour être rentables, ces postes doivent faire l'objet de contrôles, qui révéleront donc ces différences de niveau. L'instruction frontale, précédant un travail par paires intentionnellement inégales avec contrôle de chacune, se révèle plus rentable. Mais le chef de section ne peut être partout, et même s'il délègue quelques responsabilités à certaines recrues, seule l'intégration de plusieurs sous-officiers dispensant une instruction technique à de petits groupes permet d'obtenir des résultats probants, de passer de l'apprentissage à l'entraînement. Tout le reste n'est qu'illusion.


Intégration des sous-officiers

Il faut en avoir conscience, à l'instant de procéder cette intégration. Le contact direct permanent entre recrues et lieutenant, la confiance réciproque acquise ne doivent pas obérer la mission des caporaux: le chef de section doit impérativement se retirer derrière ceux-ci et respecter leur fonction de chef de groupe, et par conséquent la voie hiérarchique. Les recrues savent bien que, dans la section, le leader, le dépositaire du savoir et de l'expérience, reste le lieutenant. Une mise à l'écart des sous-officiers, comme cela survient parfois, trahit un échec de celui-ci.

Cette intégration doit donc faire l'objet d'une préparation. Le caporal, avec ses connaissances techniques et méthodologiques, est bien préparé pour l'instruction; mais conduire un groupe exige de lui qu'il s'acclimate rapidement à la section, à son esprit, à ses habitudes - ce qui est l'affaire de son supérieur direct. Si ses capacités techniques comme physiques méritent le respect, le sous-officier doit être adopté par les hommes pour être un vrai chef - c'est-à-dire conduire sans faire appel à son autorité formelle.


Armée: une autorité moderne

Les détracteurs de l'armée expliquent souvent que la stricte hiérarchie militaire est anachronique, que dans les entreprises on tend à niveler les structures. C'est oublier que les cadres des compagnies des ER sont miliciens, et que l'instruction de base s'effectue dans des sections comprenant un chef pour 20 à 50 recrues. Ce qui signifie que, dans notre armée, l'autorité formelle s'efface naturellement au profit de l'autorité technique et humaine. On ne perd plus de temps dans des activités de "cour de caserne", on ne répand plus le mépris par des chicanes de frustrés, on s'attache à informer, à expliquer, à convaincre des individus traités en adultes. Les chefs conduisent par leur exemple personnel, sont respectés pour leurs capacités, leur droiture et leur disponibilité - ou ne sont pas respectés. Comme au civil.

Cette modernité n'empêche pas la marche du service de conserver discipline et rigueur. Dès le départ, des principes sains doivent être appliqués: tout ce qui est ordonné est contrôlé, individuellement ou par pointage; tout ce qui est incorrect doit être refait. Point besoin d'être grand clerc pour comprendre que, dans ce cadre, les hommes doivent s'organiser entre eux pour atteindre rapidement les buts fixés en terme d'ordre et de propreté.


Les relations écoles-compagnies

Afin de concrétiser leur chance, les chefs de section reçoivent bien entendu le soutien des cadres professionnels. Les plans de leçons préparés par les écoles sont indispensables; en partie grâce à leur contenu, car ce dernier doit de toute manière être adapté, mais surtout par leur découpage des matières à instruire et le contrôle facilité qui en résulte. Par ailleurs, les cours de cadre permettent d'harmoniser l'instruction et de trouver une unité de doctrine pour les absences ou ambiguïtés des règlements, comme de remettre à niveau l'instruction de cadres ne maîtrisant pas pleinement les nouveautés. Enfin, les supports d'instruction - notamment pour l'instruction NTTC F ass - deviennent rapidement des auxiliaires précieux.

Les écoles doivent toutefois veiller à ne pas refaire ce qui a été fait, par exemple dans les écoles d'officiers, et décharger le plus possible les cadres de milice d'une paperasserie superflue pour leur permettre de remplir leur mission première, à savoir l'instruction. La conduite par objectifs telle qu'elle est définie dans le Règlement de service 95, de plus, s'applique également aux cadres professionnels: il est vain de vouloir collaborer dans la confiance avec des subordonnés responsables si l'on ordonne non seulement les buts à atteindre, mais également l'organisation personnelle à adopter à cette fin.

Pour les professionnels, gare à la tentation de la tour d'ivoire: les chefs de section et eux seuls, en définitive, créent la volonté de service, d'avancement, qui permet à l'armée d'assurer son avenir.


Un bilan plus personnel

Les trois premières semaines des écoles de recrues, sans caporal, comportent donc à mon sens une majorité de points positifs. Le chef de section a la chance, non pas d'instruire parfaitement ses dizaines de recrues, mais de former une section, c'est-à-dire un ensemble où chacun a sa place, où souffle un esprit positif et une volonté de relever les défis posés - un tout dont il est l'emblème, qui est prêt à le suivre et donc à travailler efficacement sous la conduite des sous-officiers. "Conduire des Hommes est un Honneur indissociable de la Passion", ai-je appris au premier jour de mon école d'officiers. Les faits n'ont rien démenti.

A l'aube de sa 4e semaine, la sct 2 de la cp fus/efa méc I de l'ER inf méc 1/98 - MA section - est au bénéfice d'une instruction de base correcte: les recrues maîtrisent les formes militaires comme leur arme personnelle - chacun a tiré en moyenne 200 coups, dont 140 en NTTC de 5 à 30 m -, ont effectué avec succès le jet formel de la gren main ex exp 85 et ont appliqué plusieurs fois les bases du service san comme du service de protection AC. Bien sûr, des imperfections techniques demeurent, pour la technique de jet gren main comme pour les dérangements au F ass, mais l'esprit de section, la camaraderie sont là. Et nos chants retentissent sur toute la place d'armes de Bière...

Bilan: quelle expérience passionnante!


Lt Ludovic Monnerat



Notes

Explications: lors de ma première instruction à la grenade à main 85, j'ai ainsi malencontreusement prononcé ces mots: "vous avez ici le levier de sécurité, cette pièce en forme de cuiller". Du coup, pendant une semaine, la moitié de ma section a systématiquement remplacé le terme "levier de sécurité" par cuiller. Gare aux raccourcis! Retour





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