^{14 novembre 1999}

La fin de la guerre froide a entraîné de profondes réformes dans la totalité des Forces armées européennes; des réformes stratégiques et tactiques ayant d'importantes répercussions sur les effectifs, mais aussi sur l'équipement et les engagements internationaux.

Comment notre armée a-t-elle géré cette décennie d'incertitude et de transformation radicales? Comparaison et analyse chiffrées avec 4 pays comparables au nôtre: deux membres de l'OTAN, la Belgique et le Danemark, ainsi que deux neutres, l'Autriche et la Suède.

La vérité par les chiffres

A plusieurs reprises, ces dernières années, l'armée suisse a été accusée par ses opposants d'être "suréquipée"; lors du vote parlementaire sur le programme d'armement 1997 et son option sur la modernisation d'une troisième tranche d'obusiers blindés, ainsi qu'après la décision de placer 148 Léopard 2 et 108 M-109 "sous cocon" pour des raisons d'économie budgétaire, en juin 1998, plusieurs commentateurs ont mis en cause la quantité de véhicules de combat dont nous disposons.

Parallèlement, les effectifs de notre armée sont eux aussi considérés comme disproportionnés par certains "experts" de la chose militaire, alors que d'autres véhiculent encore l'image d'une armée surannée, engoncée dans des concepts datant de la guerre froide. Qu'en est-il réellement?

A ces assertions parfois intéressées, il convient d'opposer des chiffres intéressants, des données qui permettent de situer notre armée parmi celles de nations dont la population oscille entre 5 et 10 millions. Et de mettre en évidence les mutations de la décennie écoulée sur le plan matériel.

Autriche: un engagement exemplaire

Pays neutre de 8,1 millions d'habitants, la République fédérale d'Autriche a été en contact direct avec le Pacte de Varsovie pendant 44 ans; elle en a tiré la nécessité d'une défense nationale solide, s'appuyant sur un système de réserve à 2 niveaux: une première réserve immédiatement mobilisable et engageable, et une seconde demandant un certain délai d'adaptation. Ce système est encore appliqué, avec une diminution somme toute modeste des effectifs, 10 ans après l'ouverture des frontières et la chute des régimes communistes en Hongrie et en Tchécoslovaquie.

Sur le plan de l'équipement, les Forces armées autrichiennes en 1999 ressemblent beaucoup à celles de 1989. D'importants programmes sont certes en cours: le remplacement des chars de combat M-60 par des Leopard 2A4, l'acquisition de transporteurs de troupe blindés à roues Pandur, de construction nationale, la modernisation - suisse - des obusiers blindés M-109. Toutefois, plusieurs domaines montrent leurs limites, notamment celui de la défense aérienne.

Au niveau international, l'Autriche a cependant accru sa participation à des opérations de promotion de la paix, dans le cadre de l'ONU ou du Partenariat pour la Paix de l'OTAN: avec ses 1400 militaires engagés, elle indique sans conteste l'exemple à suivre pour notre pays - en ce domaine, comme en d'autres.

République fédérale d'Autriche

Belgique: un renouvellement incertain

Membre fondateur de l'OTAN, le Royaume de Belgique compte un peu plus de 10 millions d'habitants. L'effondrement du bloc communiste et sa participation à l'Alliance atlantique lui ont permis d'entreprendre une réduction drastique des effectifs, qui va encore se poursuivre puisque le nombre de réservistes sera abaissé à 62'000 ces prochaines années.

Cette professionnalisation accrue ne parvient cependant pas à cacher un retard important au niveau de l'équipement, dont l'essentiel a entre 20 et 30 ans d'âge et est parfois ouvertement mis en vente (Gepard, Mirage 5BR). Même si plusieurs programmes sont en cours, comme la modernisation des F-16 ou le remplacement des drones Epervier par des Hunter, les seuls domaines matériels où les Forces armées belges disposent d'un véritable atout restent les capacités aériennes (F-16, Agusta A-109, transport) et antiaériennes. Cela dit, la Belgique demeure une nation tournée vers l'extérieur, et ses engagements internationaux sont importants.

Royaume de Belgique

Danemark: effectifs accrus, matériel vieillissant

Membre de l'OTAN, le Royaume du Danemark et ses 5,3 millions d'habitants fait figure d'exception, puisqu'il est le seul des pays considérés à avoir augmenté les effectifs de ses Forces armées entre 1989 et 1999. De plus, ces chiffres ne comprennent les effectifs de la Home Guard, véritable armée parallèle dévolue aux tâches territoriales, qui s'élèvent à 65'300 volontaires en 1999.

En revanche, l'équipement global des militaires danois est sans conteste vieillissant. Seuls quelques programmes majeurs ont été entrepris ces 10 dernières années, dont en particulier l'acquisition de véhicules blindés à roues pour les missions de promotion de la paix, où le Danemark est particulièrement engagé.

Royaume du Danemark

Suède: un partenaire de choix

Pays neutre de près de 9 millions d'habitants, le Royaume de Suède a vécu la Guerre froide sous la menace directe du géant soviétique; sa volonté de défense militaire tangible, conjuguée une participation traditionnelle aux missions de promotion de la paix, ont pour conséquence une baisse modeste des effectifs, mais aussi des efforts marqués de modernisation.

Dans plusieurs domaines, les programmes d'équipement suédois constituent en effet un sommet qualitatif: le char de combat Leopard 2S (Strv-122), le véhicule de combat d'infanterie CV-9040 et le chasseur polyvalent Gripen n'ont pas de rival supérieur en Europe. Ces efforts nécessaires, au vu l'armement hérité en 1989, vont se poursuivre sur un rythme au moins équivalent, et font de la Suède un partenaire idéal pour notre pays.

Il est à noter que la Suède a décidé d'acquérir des transporteurs de troupe blindés à roues Sisu pour ses contingents engagés à l'étranger.

Royaume de Suède

Suisse: modernisation permanente

La réforme Armée 95, découlant du Rapport sur la politique de sécurité 1990, a eu des conséquences drastique sur nos Forces armées, et notamment une importante réduction des effectifs. Sur le plan de l'équipement, les efforts de modernisation sont restés constants entre 1989 et 1999, si bien que notre pays fait sans conteste bonne figure.

D'une part, des programmes importants sont en cours: acquisition des chars de grenadiers à roues 93 Piranha (515 commandés à ce jour), des véhicules d'exploration 93/97 Eagle (329 commandés) et des hélicoptères de transport Super Puma (12 supplémentaires), modernisation des obusiers blindés M-109 (456 d'entre eux) et des systèmes antiaériens (canons de 35 mm, Rapier et Stinger).

D'autre part, plusieurs programmes majeurs sont plus que probables - acquisition des chars de grenadiers CV-9030, de véhicules blindés à roues pour commandants de tir et d'avions de transport -, alors que des modernisations sont tout à fait possibles pour des éléments importants comme les Leopard 2 ou les chasseurs de chars Piranha TOW.

Ces efforts doivent toutefois avoir pour parallèle la poursuite des importantes liquidations décidées depuis Armée 95 (chars 68, obusiers de 105mm, canons de 20mm, Mirage III et Bloodhound). Dans la perspective d'une défense du territoire mobile et d'engagements internationaux, il devient en effet difficile de justifier le maintien de véhicules blindés poussifs (chars 68/88, M-113), d'avions de combat en fin de vie (F-5 Tiger) et de pièces d'artillerie fixes (tourelles Centurion et canons Bison surtout).

Une faiblesse majeure de nos Forces armées, sans entrer dans des questions de niveau d'instruction, reste bien entendu leur présence on ne peut plus limitée dans les missions de promotion de la paix à l'étranger.

Confédération helvétique

Comparaison: la Suisse bien placée

La juxtaposition des chiffres pour 1999 en quelques tableaux comparatifs (voir ci-dessous) permet de mettre en évidence plusieurs éléments d'importance:

• Les effectifs des Forces armées suisses sont nettement les plus bas des pays neutres étudiés, et ont subi la baisse la plus importante depuis 1989 derrière ceux de la Belgique;

• Nos Forces terrestres sont celles qui, de loin, disposent de la plus grande quantité de véhicules blindés. Or au moins 60% de ces véhicules auront plus de 30 ans de service en 2000;

• Au premier rang pour les chars de combat, les obusiers blindés et les chasseurs de chars, notre pays est pourtant celui dont le relief et les dimensions se prêtent le moins à l'engagement massif de forces mécanisées;

• La Suisse est également au premier rang des véhicules blindés à roues et le restera, grâce à ses véhicules de reconnaissance et les transporteurs de troupe blindés, qui sont les seuls capables de missions de promotion de la paix à l'étranger;

• En revanche, notre armée se situe au dernier rang des engagements à l'étranger, puisque ses contingents sont 6 à 7 fois inférieurs à ceux des pays comparés, malgré une augmentation drastique depuis 1996;

• Dans le domaine de la défense antiaérienne, notre pays dispose des systèmes de missiles sol-air les plus nombreux et les plus modernes;

• Toutefois, nos Forces aériennes se situent à l'avant-dernier rang des avions de combat modernes, ne devançant que ses voisins autrichiens;

• Enfin, notre flotte aérienne est la seule à ne compter aucun avion de transport léger ou moyen, un besoin qui toutefois a été pleinement identifié par l'Etat-major général.

Plt Ludovic Monnerat    

Comparaison des Forces armées 1999

Comparaison 1999: équipement moderne (horizon 2015)

Comparaison des évolutions 1989-1999

Sources